Artek, camp pionnier de l’ère soviétique

Fondé en 1925, le camp d'Artek a pris sa véritable ampleur alors que Khrouchtchev était au pouvoir. Lieu de "vacances des pionners", Artek se voulait formateur d'hommes nouveaux.


Le camp avait également pour but de donner une image idéale de l'Union Soviétique à l'étranger, le camp accueillant des enfants du monde entier. Dès 1928, Clara Zetkin, un des personnalités les plus connues du parti communiste allemand déclarait: "Si vous voulez voir des enfants libres et heureux, allez au camp d'été Artek!"[1]

Historique du camp

L'idée d'accorder du "repos" aux soviétiques revient à Lénine, qui proclama quelques années après la révolution la Crimée, "lieu de repos des travailleurs". C'est le médecin Simoniev Soloviow, un compagnon de route de Lénine, qui fut, en 1925, à l'origine de la construction d'un camp de loisirs en Crimée.

Le choix du lieu, près de la ville de Yalta, est lié au climat doux et agréable, au paysage méditerranéen à la végétation luxuriante et à la surface disponible - le camp s'étend sur une surface de 230 hectares et longe la mer sur plusieurs kilomètres.

Le camp d'Artek a d'abord accueilli des enfants malades de la région de Moscou. L'installation était d'abord très rudimentaire quatre grandes tentes d'équipage de toile servaient d'abri. Il y avait alors un confort minimal: il n'y avait pas d'électricité, les toilettes étaient improvisés, et la cantine était une installation provisoire en bois.

Le 16 juin 1925, les premiers enfants du camp hissèrent le drapeau. Depuis, on célèbre chaque 16 juin l'anniversaire d'Artek. En 1928, les tentes ont été remplacées par des baraques militaires. Cela permettait de loger plus d'enfants et d'accueillir des groupes de l'étranger.

Pendant la guerre, le camp a été occupé par les Allemands, mais il a subi relativement peu de dommages et a donc pu être remis en service dès la fin de la guerre.

L'arrivée au pouvoir en Union Soviétique de Nikita Khrouchtchev en 1953, a marqué sur le plan international le "temps du dégel" et en ce qui concerne Artek l'agrandissement et le nouvel aménagement du camp. En 1957, un concours d'architecture ést organisé pour développer le camp. Il est remporté par la jeune équipe de l'architecte Anatoli T. Polianski . En cinq ans, la construction de trois groupes de bâtiments a permis de tripler la capacité d'accueil du camp. Dans les années soixante, Artek est considérée comme une véritable ville de pionniers, avec plus de 250 batiments en béton, métal et verre L'architecture novatrice et ambitieuse, était à l'image de ce que voulait l'administration Khrouchtchev : un nouveau camp pour un nouvelle génération de Soviétiques.

Vers la formation d'hommes nouveaux 

Le pionnier est la meilleure représentation de cet "homme nouveau", car sa jeunesse le rend plus malléable et plus perméable aux idéologies, d'autant plus que lors du camp, il est loin de sa famille et de ses repères habituels. Lénine avait très vite compris l'enjeu que représentait la jeunesse: Les organisations de jeunesse communiste, le "Komsomol" et les "Jeunes Pionniers", ont ainsi été fondés en même temps que le parti communiste afin d'assurer l'intégration des jeunes dans la politique. Les séjours à Artek étaient un des moments forts de la vie de pionnier: ils récompensaient et motivaient les jeunes garçons et filles engagés dans les organisations de jeunesse communiste pendant toute l'année.

Le camp est donc un lieu d'idéologie, et cela se retrouve partout. D'abord, l'organisation du camp - dortoirs, utilisation de la transparence dans les bâtiments, est faite en fonction des besoins de la vie en commun: à Artek, l'individu disparaît derrière le groupe.

Artek est un lieu de vie collective, mais qui cherche à mettre en valeur l'excellence individuelle et à la placer au service du régime. Ainsi, un "complexe de la science, de la technique, de l'histoire et du sport" est créé pour promouvoir les meilleurs talents du pays. Dans les panneaux d'affichage du complexe on trouve les noms de Serguei Bubka, champion du monde de saut à la perche, ou de Gari Kasparov, champion du monde d'échecs. Le complexe comporte un stade de 10 000 places, ce qui montre l'ampleur des moyens consacrés à la recherche d'une "élite" soviétique.

Artek au service de l'idéologie communiste

Le camp permet également d'affirmer les valeurs qui se veulent proprement soviétiques. C'est ce qu'illustre un "témoignage" qui semble peu spontané, car utilisé pour la propagande du camp en Union Soviétique et à l'étranger[2]. On y trouve des aphorismes tels que : "Ici n'est pas la place des hommes qui reculent devant le travail" ou la règle de vie à Artek: "Fais tout toi-même et n'attends pas la nourrice". Ces phrases différencient le camp d'Artek des camps scouts auxquels il s'apparente par ses activités - comme le montre le témoignage: "les enfants apprennent ici à s'orienter dans la nature, monter une tente, allumer un feu, marcher en colonne, à jouer du clairon et du tambour et les chants des Pionniers". En effet, elle montre une importance particulière accordée à la discipline et à l'autonomie.

Le fonctionnement presque militaire du camp apparaît en effet, notamment lors des rassemblements, ce que montre la même source: "Au commandement jovial montent et descendent des milliers de mains d'enfants. Une, deux, trois; une, deux, trois..." ou "Maintenant le timbre du clairon signale l'appel: Debout! Levez-vous!". Ces rassemblements sont décrits comme des moments exceptionnels, où apparaît la force du mouvement pionnier, et par ricochet, communiste: "il [le rassemblement] est toujours d'une gravité solennelle. Des ordres précis. L'annonce est faite. "Toi, cote à cote avec les camarades, tes contemporains". Ces minutes sont inoubliables".

Artek se veut donc un lieu de perfection, d'utopie. C'est d'autant plus important que le lieu se voulait ouvert sur l'étranger

Artek était pour beaucoup d'enfants étrangers leur seule vision de l'URSS - d'où la nécessite de laisser une bonne impression. Le témoignage déjà ainsi cité insiste sur la bonne alimentation dans le camp- au moins 3200 calories par jour -, sur sa régularité et sur l'hygiène - "les pionniers du groupe de service font attention que les enfants aient les mains propres et soient correctement vêtus dans le réfectoire". Les soins apportés par le régime à ce camp permettent de donner à tous ceux qui le visitent une image idéale de l'URSS et du communisme. Cela explique certaines professions de foi, comme celle de l'écrivain Henri Barbusse qui, après une visite à Artek dans les années soixante, qualifiait le camp de "véritable paradis pour les enfants".

Que reste-t-il d'Artek ?

Après la chute de l'URSS, Artek est passé sous l'autorité du gouvernement ukrainien. Le camp est toujours en activité, même si son activité et son rayonnement international sont moins importants.

Aujourd'hui, 3000 enfants - dont très peu d'étrangers- contre 5000 autrefois participent au cycle d'été. L'aspect idéologique du camp de pionniers a bien sur était gommé - on y trouve plus comme auparavant de cours centrés sur l'idéologie communiste.

Toutefois, des détails de l'époque communiste demeurent. Les fresques représentant Lénine sont toujours visibles, les bus conduisant au camp datent des années soixante-dix. Les enfants du camp ne portent plus le costume pionnier mais ils doivent toujours porter une tenue unique, bleue. Malgré les changements, Artek a encore le regard tourné vers son heure de gloire, celle du communisme des années cinquante et soixante.

une architecture à la mesure de l'ambition du projet

La renaissance du camp en 1955 s'accompagne d'une nouvelle forme d'architecture Avec ses nouveaux bâtiments construits au début des années soixante, Artek apparaît comme un champ expérimental des ambitions de l'ère Khrouchtchev. Cette nouvelle architecture à base d'éléments préfabriqués possède à la fois des avantages économiques et des qualités esthétiques. Les bâtiments d'Artek montrent que les constructions préfabriquées ne sont pas forcément synonymes de monotonie et d'uniformité. L'architecture ne s'arrête pas à la construction : les décoration - et la présence de la couleur- sont pour beaucoup dans la réussite architecturale du camp. On peut prendre comme exemple le motif de navire, présent dans la forme de la plupart des bâtiments. Le navire représente "l'architecture de l'espoir", selon la terminologie communiste. Ainsi, le plan du navire prévoit les mêmes tailles de cabines pour tous les passagers, à l'image d'une communauté sans hiérarchie, conforme à l'utopie communiste. En outre, le navire, en tant que produit technique, souligne la supériorité technique et scientifique que l'Union soviétique s'est efforcée d'affirmer à la fin des années cinquante. L'architecture du "Nouvel Artek" - celui de Khrouchtchev - n'est pas seulement intéressante sur le plan esthétique, elle a également une signification idéologique.

A la redécouverte d'Artek

En 1995, l'achat d'un vieux livre sur le camp d'Artek aux puces de Kiev a donné l'idée à plusieurs étudiants en architecture de Weimar et de Leipzig de se rendre en Crimée. Le livre, écrit par l'architecte du camp, Poulanski, montrait l'organisation d'Artek, son originalité sur le plan architectural et sa "réussite" idéologique. Le voyage, financé principalement par l'université de Weimar, a eu lieu en 1999. Il a duré une dizaine de jours, et a permis aux participants de prendre plusieurs centaines de photos et de rencontrer les différents responsables du camp. Cette expérience a donné lieu à plusieurs films, des articles (d'Arne Winkelmann et Martin Fröhlic in Bauwelt, Berlin, avril 2000). Un livre consacré à cette "redécouverte" du camp pionnier d'Artek, devrait prochainement être publié.

Composition de l'équipe : Sebastian Haufe, Jan Musikowski, Arne Winkelmann, Andreas Lange, Matthias Häßner, Matthias Ammann, Martin Fröhlich et Sven Fröhlich.

 

Par Clémentine BLONDET

[1] la documentation de cet article a été fournie par l'équipe d'étudiants allemands partis à Artek -cf encadré 2. Elle repose sur un livre de l'archirecte du camp, et également sur ce qui a été recueilli sur place.
[2] Stanislas FURIN, Evgueni RYBINSKI, Le camp pionnier Artek, Moscou, APN, 1995.