ARYM: Une candidature «ouverte» à l’adhésion à l’UE…

Le rapport de suivi annuel 2009 de la Commission européenne sur l’Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM) évalue positivement les réformes entreprises par les autorités du pays. Toutefois, suite au veto grec à l’adhésion de l’ARYM à l’OTAN, lors du sommet de Bucarest en 2008, résoudre la question de son nom devint une condition préalable à l’adhésion à l’Union européenne et donc un critère informel d’adhésion. Mais le vrai défi pour le pays est d’assurer la viabilité de sa société multiethnique. Ce qui a pour préalable la meilleure issue possible concernant le problème de sa dénomination.


Le 14 octobre 2009, la Commission européenne a adopté son paquet d’élargissement[1] qui comprend le rapport de suivi annuel sur trois pays candidats (la Turquie, la Croatie et l’ARYM) et cinq autres pays des Balkans qui souhaitent rejoindre l’UE. L’Ancienne République Yougoslave de Macédoine est devenue officiellement un pays candidat à l’intégration européenne en décembre 2005. En termes généraux, le rapport de suivi de la Commission est positif concernant les réformes structurelles et la transposition de l’acquis communautaire entreprises par Skopje. Même si des efforts supplémentaires sont exigés, la Commission considère que les critères de Copenhague[2] sont satisfaits et recommande l’ouverture des négociations d’adhésion.

Sans surprise, la Commission européenne poursuit donc sa stratégie positive en matière d’élargissement. Elle loue les efforts fournis et encourage de poursuivre le processus de modernisation. Toutefois, cette attitude en faveur de l’élargissement connaît depuis quelques années des ajustements significatifs. Si la Commission continue de soutenir l’européanisation des pays aspirant à devenir membres de l’UE, le processus qui conduit à leur intégration a été modifié.

Le processus d’adhésion à l’UE « en construction »

Selon les principes fondamentaux du droit international, la viabilité d’un État et la stabilité de ses institutions constituent des conditions nécessaires pour son intégration aux organisations internationales ou régionales. Dans le cas de l’UE, passant en revue les différentes vagues d’élargissement, l’on constate un changement structurel progressif concernant la « méthode d’intégration ». En effet, la viabilité d’un pays candidat et sa stabilité institutionnelle ne sont plus des pré-conditions pour être candidat (conditions d’éligibilité), mais elles constituent désormais les objectifs informels du processus d’adhésion lui-même.

Compte tenu de ce nouveau cadre de la diplomatie multilatérale européenne, le processus d’adhésion d’un pays peut ainsi rester ouvert tant que les conditions émises (formelles et informelles) ne sont pas atteintes. Il s‘agit d’un processus «en construction». En d’autres termes, l’admissibilité d’un État au processus de négociation en vue de son adhésion garantit beaucoup moins que par le passé l’issue positive finale. Ainsi le principe de conditionnalité[3] est modifié : un principe exclusivement positif auparavant, il peut devenir négatif. La satisfaction des critères formels, mais aussi informels – critères de Copenhague et autres – est exigée, et dans le cas contraire, l’interruption du processus de négociation (totale ou sur certains chapitres) ou, plus radicalement, son échec, ne sont pas à exclure.

Une conditionnalité multiple dans le cas de l’ARYM

En matière économique, selon la Commission européenne, le bilan concernant la mise en place d’une économie de marché viable est assez satisfaisant dans le cas de l’ARYM. Mais la crise économique internationale alourdit le déficit budgétaire du pays et, par conséquent, pourrait exacerber les faiblesses structurelles de son cadre réglementaire et détériorer ses finances publiques.

En matière de réformes politiques, la situation s’avère plus ambivalente. Selon la Commission, les priorités clés du partenariat d’adhésion, à savoir la réforme de la police, du secteur judiciaire et la lutte contre la corruption, ont été généralement appliquées. Des progrès sont à noter en matière de réformes de l'administration publique, notamment celle du service public, qui est une priorité essentielle du partenariat pour l'adhésion. La Commission souligne que le pays devrait fournir des efforts supplémentaires afin de renforcer sa capacité administrative pour la transposition et l’application de l’acquis communautaire.

Par ailleurs, Bruxelles confirme que les élections présidentielles et locales de 2009 se sont déroulées en très grande partie selon les normes internationales. Des observateurs politiques ont néanmoins signalé des fraudes et mis l’accent sur un certain nombre de violences pendant le scrutin. En dépit de ces réserves, la Commission considère que le dialogue politique entre les différentes forces politiques s’est substantiellement amélioré et que la stabilité du régime permet à la coalition au pouvoir (VMRO-DPMNE et l’Union démocratique d’intégration) et aux autres formations politiques de coopérer. Force est de constater que cette stabilité montre quelques faiblesses et cela pour deux raisons. D’une part, même si la Commission européenne souligne que le cadre juridique et institutionnel concernant les droits de l’homme et la protection des minorités a largement progressé, il faut tenir compte d’une situation assez tendue sur le terrain, surtout en ce qui concerne la minorité albanaise. D’autre part, la population est en attente de voir si le Premier ministre N. Gruevski réussira à conclure avec la Grèce un compromis au sujet de l’appellation du pays. Une de ses promesses préélectorales était l’organisation d’un referendum à ce sujet. Prendra-t-il le risque de le faire ?

Par ailleurs, la question du nom de l’ARYM qui n’appartient pas officiellement aux critères de Copenhague est devenue, depuis 2008, un critère informel d’adhésion. L’accord intermédiaire bilatéral signé en 1995 avait permis le développement des relations politiques et économiques de l’ARYM et de la Grèce, la question du nom devant être réglé dans le cadre des Nations Unies[4]. Cependant, à travers son veto à l’adhésion du pays à l’OTAN au sommet de Bucarest au printemps 2008, la Grèce a transformé de facto la question du nom en condition préalable d’adhésion de l’ARYM à l’UE. Dans le rapport de suivi 2009, l’appel aux relations de bon voisinage s’avère ainsi bien plus important que prévu[5]. Y est soulignée l’importance d’une solution négociée et acceptable par les deux pays sous les auspices des Nations Unies. La résolution du problème se transforme en critère informel et décisif pour que le processus de négociation puisse être lancé.

Le nom, catalyseur du processus d’adhésion ?

A présent, l’ARYM doit négocier la question de son nom sous les auspices des Nations Unies et d’une manière qui n’est pas strictement bilatérale puisque l’UE exercera une pression forte sur le processus. Les États-Unis souhaitent l’intégration du pays au plus vite pour éviter la pénétration russe dans la péninsule balkanique. De son côté, la Commission européenne considère que dans le contexte de crise économique, la Grèce devrait montrer une certaine indulgence et contribuer à la résolution du problème le plus vite possible.
Le lendemain de l’adoption de la Stratégie annuelle d’élargissement de l’UE par la Commission en octobre 2009, et lors de la réunion de la Commission parlementaire du Parlement européen « Affaires étrangères », un certain nombre d’eurodéputés ont exprimé leur soutien à la proposition du Commissaire Olli Rehn, sous forme de recommandation au Conseil, en faveur de l’ouverture des négociations. D’ailleurs, la résolution du Parlement européen pour l’élargissement, qui a été adoptée par la plénière le 26 novembre 2009, rejoint clairement la proposition de la Commission.

Mais l’européanisation récente du problème du nom fait que l’ouverture des négociations reposera probablement moins sur les critères techniques que sur la gestion du bras de fer entre la Grèce et l’ARYM.
En octobre 2009, la Commission avait proposé aux États membres de donner leur feu vert à l’ouverture des négociations d’adhésion avec Skopje, qui requiert l’unanimité des 27 États membres. Mais le texte final des conclusions du Conseil des Affaires générales du 7 décembre 2009 n’engage en rien l’UE en la matière. Tandis que le texte initial stipulait que la date pour le lancement des pourparlers serait fixée en mars 2010, le texte finalisé, faute d’accord grec, note juste que le Conseil réexaminera la question au cours de la prochaine Présidence tournante espagnole, plutôt vers la fin du premier semestre de 2010[6].
Il faut noter qu’auparavant N. Gruevski avait essayé à maintes reprises de mettre en avant le même argument que T. Erdogan avait utilisé avec succès en 2005 concernant le lancement des négociations d’adhésion avec la Turquie. En essayant de dissocier en quelque sorte les deux enjeux, celui de l’adhésion à l’UE et celui de la dénomination du pays, il appelait la Grèce à donner son feu vert afin de poursuivre les négociations sur les deux questions de façon parallèle. L’ARYM a ainsi subi un revers mais la population estime néanmoins que l’élection de G. Papandreou comme Premier Ministre grec en octobre 2009 constitue un signal positif. Ce dernier est toujours considéré comme l’architecte du processus de Thessalonique[7].

Sans doute, l’UE continue à avoir intérêt à poursuivre sa stratégie positive en matière de l’élargissement. Mais cette attitude coexiste avec une peur, implicitement exprimée, concernant les conséquences institutionnelles des élargissements à venir. La fragmentation des Balkans en plusieurs États aura des effets considérables sur le fonctionnement futur de l’UE. Leur représentation séparée devrait être assurée dans tous les organes institutionnels de l’UE (inflation de la représentation institutionnelle).

L’ARYM est un État jeune, multiethnique et pour cela fragile politiquement. Les progrès en matière politique restent largement subordonnés à la résolution du problème de l’appellation du pays. Une solution perçue comme non satisfaisante par la population ou les élites politiques nationales, pourrait causer à nouveau de l’instabilité politique dans le pays. Le vrai défi pour ce pays est de réussir là où le Kosovo et la Bosnie ont échoué, à savoir assurer la viabilité d’une société multiethnique. Cette réussite a pour préalable la meilleure issue possible concernant le problème de son appellation.
Dans ce contexte ambivalent, la Commission européenne détient un outil diplomatique indéniable. Elle peut faire jouer la tactique du «processus ouvert», comme dans le cas de la Turquie, et tenter d’imposer en quelque sorte ses conditions et/ou celles des États membres.

[1] http://ec.europa.eu/enlargement/press_corner/keydocuments/reports_oct_2009_fr.htm
[2] http://europa.eu/scadplus/glossary/accession_criteria_copenhague_fr.htm
[3] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/europe-balkans/adhesion-ue.shtml
[4] Les deux pays ont formalisé leurs relations bilatérales par le biais d’un Accord Interim signé à New York en septembre 1995.
Voir le document officiel http://untreaty.un.org/unts/120001_144071/6/3/00004456.pdf
[5] The FYROM 2009 Progress Report, SEC (2009) 1335, European Commission, 14.10.09, p.25.
[6] Voir le communiqué de presse (version provisoire) du Conseil des Affaires générales du 7 décembre 2009, p. 16-17.
http://blogs.eliamep.gr/wp-content/uploads/2009/12/2984th-GENERAL-AFFAIRS-Council-meeting-PROVISIONAL-VERSION-Brussels-7-December-2009.pdf
[7] http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/03/860&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=en

* Fondation hellénique de Politique européenne et étrangère (ELIAMEP) & Chercheuse associée, GSPE, Université de Strasbourg.