Attente à Jazince

Frontière de la Macédoine et du Kosovo. Ce 17 avril, le timide soleil et le fort vent qui parcourent le plateau montagneux verdoyant de Jazince renforcent l'impression de tristesse qui émane de la frontière. Deux drapeaux claquent au vent et s'affrontent en silence: une ligne imaginaire sépare les hommes, deux bouts de tissu matérialisent le malheur de quelques milliers d'êtres ballottés au gré d'événements dont ils n'arrivent plus à comprendre la cause.


Frontière de la Macédoine et du KosovoAttendre. Voilà un mot banal qui, pris dans son sens le plus strict, peut avoir une résonance insoupçonnée, terrible. Des masses de réfugiés se pressent contre le poste frontière yougoslave, s'écrasent contre les barrières métallisées placées ici et là afin de parquer le flot humain ininterrompu. L'horreur de la situation n'a d'égale que sa simplicité, sa trivialité: la fuite de paysans, de citadins qui ont vu leurs maisons détruites, leurs villages incendiés. Des vieillards, des enfants, des hommes et des femmes se pressent dans un champ jonché de détritus qui sont les vestiges de leurs infortunés prédécesseurs. A l'extrémité de ce minuscule espace surpeuplé, deux bâches de toiles noires dressées à la va-vite font office de toilettes. La misère est réduite à sa plus simple expression.

Du côté macédonien c'est une autre attente; les appareils photos des journalistes crépitent, une pile de vivres s'amoncelle sous l'action simultanée de plusieurs ONG, des ballets incessants de voitures de l'OSCE, de la Croix-rouge instaurent une activité fébrile, des enfants jouent sur un tas de bois, des réfugiés espèrent voir leurs parents ou leurs amis restés en arrière. La discussion est amère. "L'attente peut durer deux heures ou dix jours", nous assure un jeune réfugié qui a traversé cette frontière voilà quelques jours de cela... Et toujours ce flot continu, inlassable, qui s'étend aussi loin que peut le permettre l’œil humain assisté d'une paire de jumelles qu'a amené un diplomate espagnol chassé de Yougoslavie.

De temps en temps, un grondement de réacteur se fait entendre dans le ciel, précédant de quelques minutes le bruit d'une détonation sourde. Les yeux d'un adolescent s'éclairent: "NATO" nous confie-t-il d'un air de victoire quelque peu désabusé.

L'atmosphère est électrique, les militaires sont sur les nerfs ; les patrouilles macédoniennes se succèdent et arpentent systématiquement les abords de la frontière truffée de mines antipersonnelles. Ici, la possession d'un appareil photo n'est pas un gage de sympathie, comme nous le fait comprendre le regard irrité et menaçant d'un soldat macédonien armé d'une kalachnikov... Au loin, côté yougoslave, les patrouilles serbes ratissent le périmètre d'un village désormais fantôme.

Brusquement, c'est l'alerte: une silhouette s'est détachée du no man's land où sont parqués les réfugiés et court dans un champ voisin. Les soldats mis immédiatement en branle, se lancent à la poursuite de cette ombre humaine qui finit par s'accroupir dans le champ et par retirer son pantalon. Fausse alerte pour cette fois, l'atmosphère se détend aussitôt et les rires fusent, fustigeant l'excès de zèle des soldats quotidiennement soumis à une forte pression; mais combien de personnes ne seraient-elles pas tentées, face à une telle situation, de s'échapper malgré les mines disséminées dans la nature ? "

La semaine dernière, il y a eu une explosion dans les montagnes" entend-on dans les rangs des spectateurs. Les regards redeviennent sérieux, la torpeur recommence à s'emparer insidieusement des corps figés par l'attente.Peut-être arrivera-t-il ce moment tant attendu où la frontière laissera déverser son surplus de réfugiés ? Un bus fait marche arrière vers le poste frontière yougoslave; quelques minutes plus tard, un deuxième puis un troisième lui emboîtent le pas... De là à en déduire une délivrance proche, il n'y a qu'un pas qui n'est pourtant pas aisé à franchir. Le camp allemand de réfugiés, basé à Neprosten, côté macédonien, n'est pourtant pas loin ! Tout dépend de la bonne volonté des autorités macédoniennes, tout dépend, encore une fois, d'intérêts incompréhensibles ou incompatibles avec la simple conduite que la moindre parcelle d'humanité dicterait en pareil cas...

 

Auteur de l'article : François VILALDACH

Photo : © François GREMY