Biélorussie: la «Génération Jeans» sur les planches

«Ladies and gentlemen: Welcome to the war zone». C’est par cet avertissement que le couple de comédiens dramaturges Nikolaï Khalezine et Natalia Koliada, fondateurs du Théâtre Libre de Minsk en 2005, présente sa dernière création, Generation Jeans, un monologue sur les jeans, la musique rock et la liberté.


Censurés par les théâtres officiels de Biélorussie, les comédiens du Théâtre Libre de Minsk ont trouvé refuge en Europe et aux Etats-Unis. Avec une dizaine de pièces à leur actif, ils se sont produits dans une quinzaine de pays, mais aucun théâtre biélorusse n’accepte aujourd’hui leurs représentations, pour des raisons a la fois esthétiques et politiques.

Seuls au monde

Le metteur en scène de la troupe, Vladimir Scherban, diplômé de l’Académie des Arts de Minsk, s’est vu supprimer son emploi dans le plus grand théâtre national il y a quelques années, après avoir voulu représenter des pièces - volontairement provocatrices - des auteurs anglais Mark Ravenhill ou Sarah Kane. C’est depuis lors qu’il officie pour le «théâtre libre», dont les représentations à Minsk ne peuvent avoir lieu que dans des lieux privés tenus secrets. Les spectateurs sont prévenus par SMS ou par Internet.

Dans un entretien diffusé le 14 juin lors du débat «Y a-t-il des pièces dangereuses?» organisé par la Comédie Française à Paris, N.Khalezine explique: «Nous avons trois titres de gloire, dont nous ne sommes pas si fiers: nous sommes le seul théâtre biélorusse sans aucun lien avec l’Etat; nous sommes le seul théâtre clandestin en Europe; nous sommes les seuls au monde à avoir été arrêtés par la police avec nos spectateurs»…

De la génération jeans a la génération Loukachenko

Pour Nikolaï Khalezine, auteur et seul interprète de la pièce, Génération Jeansest un monologue sur les jeans, la musique rock et la liberté. L’histoire commence durant la période soviétique, en des temps où jeans et rock étaient interdits. «Si tu vendais des jeans, tu étais attrapé par le KGB!» Puis l’intrigue évolue, progressivement, de cette époque à celle, contemporaine, du régime dictatorial biélorusse. La pièce sillonne au gré des histoires d’arrestations (celles du héros principal, de ses amis) et de celles de disparitions forcées. Aux dires de Natalia Koliada, tous les acteurs du Théâtre Libre sont allés au moins une fois en prison, et tous se sont fait licencier des théâtres d’Etat. N.Khalezine présente son spectacle comme «une ode à des générations d’individus qui ne se définissent pas par des critères d’âge et qui luttent pour les libertés dans leur pays. Chaque pays a sa génération. Le héros parle de la Lituanie, de la Pologne, de la Tchécoslovaquie…» A moment donné, dans la pièce, N.Khalezine évoque son «ami qui ne l’a jamais connu», l’étudiant tchèque Jan Palach, mort après s’être immolé par le feu sur la place Venceslas, le 19 janvier 1969, dans le but de protester contre l’invasion de Prague par les troupes soviétiques…

L’Europe, terre d’accueil

Le pouvoir biélorusse a-t-il peur de ces auteurs dissidents? Guidée par les idéaux de justice sociale et de liberté, la «génération jeans» est aujourd’hui réfugiée dans l’art et la littérature, disciplines nobles dont certains discutent néanmoins l’efficacité immédiate.

Quoi qu’il en soit, le Théâtre Libre de Minsk semble avoir de beaux jours devant lui en Europe: il a reçu, le 10 décembre 2007, le Prix des droits de l'Homme de la République française, décerné par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH), ainsi qu'une mention spéciale au Prix Europe pour le théâtre dans la catégorie «Nouvelles réalités théâtrales» en avril 2008, sur nomination des dramaturges Vaclav Havel, Harold Pinter et Tom Stoppard. Il poursuit actuellement sa tournée internationale, et est attendu prochainement en Suède, puis en Autriche.

 

Par Emile FELTESSE et Marie-Anne SORBA

Site officiel du Théâtre Libre de Minsk: www.dramaturg.org