Bosnie-Herzégovine : vives tensions au sein de la Présidence

Par Stéphan Altasserre (sources : Slobodna bosna, Avaz))

Le 4 octobre 2016, Bakir Izetbegović, assurant la direction de la Présidence bosnienne, a missionné le juriste Sakib Softić, en poste à La Haye, afin de réaliser un audit sur l’implication de la Serbie dans les crimes de guerre perpétrés entre 1992 et 1995. Au début de l’année 2017, le diagnostic de l’expert semblait en voie d’achèvement. Ses conclusions pourraient aboutir à une demande de révision de l’affaire instruite et jugée par la Cour internationale de Justice de la Haye (CIJ) contre la Serbie. Cette perspective ne reçoit pas un accueil favorable auprès des élites politiques serbes de la région, non seulement à Belgrade, mais également à Banja Luka (République serbe de Bosnie).

C’est dans ce contexte que le 3 février 2017 le Bosno-serbe Igor Crnadak, ministre des Affaires étrangères de Bosnie-Herzégovine, a envoyé une lettre à la CIJ pour lui faire part de l’opposition du gouvernement à toute révision de l’affaire. Il affirmait alors qu’une telle procédure serait à la fois « illégale et inconstitutionnelle », sans pour autant apporter d’argument juridique justifiant cette position. Le 18 février, le Bosno-serbe Mladen Ivanić, qui assurait la direction de la Présidence depuis novembre 2016, a vivement réagi en avançant que S.Softić n’avait pas la compétence pour demander la réouverture et la révision du procès au nom de la Bosnie-Herzégovine. Le quotidien Slobodna Bosna a récemment révélé que le représentant bosno-serbe avait affiché sa différence avec son homologue bosniaque à ce sujet dès juillet 2016. M.Ivanić avait alors envoyé un courrier à la CIJ, où il émettait déjà des réserves sur l’étendue des prérogatives de S.Softić. Ce faisant, il contredisait directement la position officielle de B.Izetbegović, alors en exercice à la Présidence. L’aspect le plus gênant était que les prises de position publiques respectives des deux dirigeants brouillait le discours officiel de la Présidence.

Face à la remise en cause publique du rôle de S.Softić, la CIJ a adressé une lettre à la Présidence de Bosnie-Herzégovine dans laquelle elle lui demandait des éclaircissements sur le statut de cet expert. L’institution a cependant rappelé que l’intéressé avait été missionné auprès de la CIJ dès le 4 octobre 2002, afin de vérifier l’état des procédures en cours et de demander que des poursuites soit engagées dans l’intérêt et au nom de l’Etat bosnien. La Haye a également relevé que le mandat de l’expert bosnien faisait suite à une décision souveraine de la Présidence bosnienne, validée par l’ensemble de ses composantes. Elle plaçait ainsi l’exécutif bosnien devant ses propres contradictions, sans prendre parti dans la polémique autour du mandat de S.Softić.

Le 23 février 2017, la Présidence s’est réunie pour évoquer cette affaire, mais sans parvenir à un consensus. D’un côté, M.Ivanić campe sur sa position et de l’autre, B.Izetbegović s’oppose toujours à la remise en cause de la légitimité de S.Softić dans un dialogue de sourd. Le représentant bosniaque joue la montre, sachant pertinemment que sans unanimité au sein du triumvirat présidentiel sur la question, la contestation de la légitimité de l’expert bosnien perdra tout crédit et ne pourra être prise en compte par la CIJ. De plus, dans cette affaire, La Haye demande à Sarajevo de lui fournir des arguments juridiques valables justifiant la limitation des prérogatives de S.Softić. Un point que B.Izetbegović n’a pas hésité rappeler à M.Ivanić lors de ses prises de paroles publiques les 27 février et 1er mars 2017. Le représentant bosniaque a également critiqué lors de ces occasion l’« interprétation de la position officielle de la Bosnie-Herzégovine » de son collègue bosno-serbe, l’estimant trop partisane et pas suffisamment présidentielle.