Bulgarie : ce que la ‘chasse aux migrants’ dit de la déliquescence de l’État

Par Céline Bayou (sources : Novinite, bTV, Facebook)

Une vidéo circule depuis quelques jours sur les réseaux sociaux, montrant des «volontaires» bulgares intervenant violemment auprès de migrants arrivés de Turquie. Ces derniers, à terre, sont ligotés et insultés. La ministre de l’Intérieur, Roumiana Bachvarova, a réagi sur la page Facebook de son institution pour condamner l’incident et regretter d’avoir désormais à se préoccuper, outre des migrants qui traversent illégalement la frontière, de ceux qui s’en prennent à eux, «que ce soit pour de l’argent, ou pour une célébrité à bon prix et dangereuse

Pourtant, ce sont bien les autorités qui, par la voix du Premier ministre Boïko Borissov et de la police des frontières, ont encouragé il y a quelques mois la création de patrouilles de volontaires, chargées de surveiller les frontières. Une chaîne de tv a même fait, en février 2016, de Dinko Valev –un habitant de la ville de Iambol âgé de 29 ans– un «super-héros» de la chasse aux migrants: celui-ci, tel un Petit tailleur de conte, s’est vanté d’avoir arrêté au moins 20 migrants «à mains nues». Dans le sillage imaginaire du héros Valev et avec l’assentiment des autorités, des groupes se sont donc formés pour patrouiller le long des frontières. Certains s’en sont émus, parmi lesquels le Comité Helsinki pour la Bulgarie qui a adressé une lettre ouverte au Premier ministre afin de protester. Depuis, celui-ci a fait marche arrière, appelant les volontaires à ne pas abuser de leurs droits.

Pour certains, le scandale qui éclate aujourd’hui est le symptôme d’une gouvernance défectueuse. Le pays est abandonné à son sort et il serait trop simple de n’y voir que le résultat de la stagnation économique ou de la corruption. Il est clair que, dans les villages du sud du pays, situés à proximité de la Grèce ou de la Turquie et loin des grandes villes, la peur l’emporte. La perspective de voir déferler des migrants qui ont eux-mêmes tout perdu et seraient, dès lors, prêts à piller –voire pire–, effraie une population qui se sent livrée à elle-même, abandonnée des autorités, isolée et peu protégée par la loi.

Sans doute les volontaires qui se sont fixé pour mission de venir en aide à un État à la peine pour remplir ce qu’ils supposent être sa mission sont-ils sincères dans leur démarche. D’autant que la gloire médiatique qu’ils espèrent en tirer est peut-être l’une des dernières choses sur lesquelles ils peuvent compter, notent certains analystes. Ces «patriotes» qui s’imaginent défendre leur pays ont été à bonne école depuis quelques mois avec la mise sous les feux de la rampe de Dinko Valev.

Alors, aujourd’hui, certains médias mettent un point d’honneur à ne pas médiatiser les nouveaux Valev, tandis que d’autres continuent d’assurer la couverture de ces justiciers d’un jour, persuadés d’avoir mis hors d’état de nuire de dangereux terroristes. Et les disciples de Valev ont proliféré: l’Organisation pour la protection des citoyens bulgares (OZBG) se targue même d’avoir dépassé son maître. Le 3 avril 2016, lors d’une ronde dans les bois, opportunément accompagnés de la chaîne de tv NOVA, les membres de l’organisation ont arrêté un groupe de 23 migrants et aussitôt alerté la police, relayée ensuite par l’armée.

Deux hypothèses sont retenues pour expliquer la posture du Premier ministre en particulier: en activant les ressors du populisme, il a pu vouloir retrouver la confiance de certains électeurs qui se sentent de plus en plus éloignés des institutions. En jouant sur les peurs de la population, il aurait tenté de faire oublier l’absence d’État. Ou bien, conscient du manque de fonctionnaires aux frontières et de la pression grandissante sur eux dans le contexte actuel, il a réellement eu l’espoir de mobiliser la population. Le résultat est un échec patent parce que, quelle que soit l’option retenue, elle atteste la volonté des autorités de déléguer leurs responsabilités au peuple, réduit à prendre conscience qu’il ne peut compter que sur lui-même.