Bulgarie : tensions entre enquêteurs et magistrats sur fond d’affaires médiatico-judiciaires

Par Stéphan Altasserre (sources : Kapital, Praven Svjat, Médiapool))

Strahil Kamenički, un enquêteur du Service national d’enquête, l’équivalent de la Direction centrale de la Police judiciaire française, a récemment déposé plainte contre le procureur Borislav Sarafov et lui a demandé 26.000 levas (13.000 euros) de dommages et intérêts. Le Tribunal de grande instance de Sofia a été saisi de l’affaire.

S.Kamenički est en charge de l’enquête sur l’accident de train survenu à Šumen le 10 décembre 2016. Chargé de GPL et de propylène, le train a déraillé dans le centre-ville, provoquant la mort de 7 personnes et dévastant une bonne partie de la ville. Si, depuis le début de l’enquête, la vétusté de l’infrastructure ferroviaire est mise en cause, l’erreur humaine est l’hypothèse privilégiée. Les deux conducteurs n’ont toutefois pas fait immédiatement l’objet de mesures coercitives, leur état de santé ne leur permettant pas d’abord d’être entendus.

Lors d’une réunion d’enquête, B.Sarafov aurait fait part de son mécontentement à l’égard des enquêteurs et leur aurait reproché leur absence de réactivité, voire une certaine «oisiveté». Il s’en serait pris directement à S.Kamenički, le tançant pour ne pas avoir placé en détention les deux conducteurs de train impliqués, et aurait laissé entendre qu’il pourrait engager une procédure disciplinaire à son encontre et à celle de ses collègues. Ces propos ont été perçus comme une menace par S.Kamenički, qui a donc décidé de déposer plainte et de saisir la juridiction sofiote.

Le cas d’espèce pourrait paraître anecdotique, si une plainte n’avait pas déjà été déposée contre B.Sarafov en mai 2016 pour des pressions qu’il aurait exercées sur l’enquêtrice Ljubomila Cenova du Service de lutte contre la criminalité organisée. L’intéressée était en charge des investigations dans l’affaire instruite contre Agromah, une grande société de construction routière soupçonnée d’avoir fraudé l’État bulgare pour un montant de 14 millions de levas (7 millions d’euros). Le magistrat s’était finalement excusé de son comportement, qu’il justifiait par l’extrême médiatisation de l’affaire, et la policière avait finalement retiré sa plainte.

Dans l’affaire opposant S.Kamenički à B.Sarafov, le Tribunal de grande instance de Sofia a mis fin aux poursuites contre le procureur, le 1er mars, arguant de son immunité fonctionnelle. Il a fondé sa décision sur l’article 132 de la Constitution qui précise que «les procureurs, les juges et les enquêteurs ne portent pas de responsabilité pénale et civile pour leurs actions officielles, à moins que l’acte soit d’ordre criminel et intentionnel».