Droits des minorités LGBTI dans les Balkans occidentaux: un baromètre de l’intégration européenne?

La situation des minorités sexuelles et de genre (LGBTI) dans les Balkans occidentaux a longtemps été particulièrement précaire. À mesure qu’avance l’intégration européenne de ces pays, une évolution semble se faire jour.


La stabilisation politique et l’engagement vers l’intégration européenne des pays balkaniques sont des phénomènes récents, loin d’être garantis pour certains. La question des droits des minorités sexuelles et de genre[1] est à cette image. Aujourd’hui encore, la situation de ces dernières est très précaire, même si leurs conditions diffèrent selon les États. Alors qu’en Croatie, de réels progrès ont été accomplis ces dernières années et que la Serbie s’ouvre peu à peu, l’Ancienne république yougoslave de Macédoine continue d’afficher ses réticence.

Un contexte peu favorable

Les lieux sont rares dans le monde où la défense et l’avancée des droits des minorités sexuelles et de genre se sont faites dans le consensus. À cet égard, les Balkans présentent un profil défavorable. Ce constat se fonde notamment sur une caractéristique que l’on retrouve ailleurs avec les mêmes conséquences sur les minorités LGBTI : la prégnance de la religion. Dans une région où l’identité et la nation sont si importantes politiquement et dont les religions constituent une composante essentielle, ces minorités sont mal acceptées. Or, avant même de parler de reconnaissance d’unions ou d’adoption, les droits LGBTI relèvent d’abord des droits fondamentaux, au titre desquels la protection contre la violence et la discrimination.

L’Europe d’aujourd’hui s’est construite sur la défense des droits humains. Les États doivent mettre en œuvre un corpus de droits réunis dans la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. De fait, si l’UE ou le Conseil de l’Europe ont toujours veillé à rester en retrait sur la reconnaissance des couples et sur l’adoption, ils proscrivent toute forme de discrimination basée sur l’orientation et l’identité sexuelles[2]. Les États des Balkans occidentaux ont accepté ces exigences. Tous sont devenus parties de la CEDH et ont pris la voie de l’intégration à l’UE. Les instances européennes attendent donc d’eux un engagement ferme et incontestable en faveur de la garantie et de la protection de ces droits.

Ceci rentre dans le cadre de ce qu’on a appelé « l’européanisation » : un rapprochement des normes mais aussi des valeurs et des repères sociaux. La question LGBTI est concernée, au moins sous l’angle des discriminations et, dans les Balkans, ce point est prioritaire. La Croatie, la Serbie et la Macédoine représentent trois cas de figure différents, trois stades d’avancement à rapprocher de leur cheminement vers l’intégration européenne.

Les encourageantes avancées croates

À de nombreux égards, la Croatie fait office de meilleure élève des Balkans occidentaux. Elle a parachevé son ambition européenne en adhérant à l’UE le 1er juillet 2013 et, deux semaines après, le Sabor (Parlement croate) a adopté une loi créant une union civile. Réservée aux couples homosexuels, celle-ci est possible après 3 ans de cohabitation. Cette union garantit les mêmes droits que le mariage, à l’exclusion de l’adoption, et le statut de beau-parent a été reconnu. Cette avancée des droits, réalisée rapidement et qui va plus loin que ce que l’adhésion à l’UE exigeait, est le fruit de la volonté du gouvernement de Zoran Milanović, conforme aux engagements «progressistes» pris par son Parti social-démocrate.

Le chemin fut pourtant long: la première édition de la Gay Pride à Zagreb, en 2002, avait donné lieu à de nombreuses violences de la part de contre-manifestants. La première loi sanctionnant les crimes de haine basés sur l’orientation sexuelle ne date que de 2006, et l’interdiction des discriminations basées sur le genre ou l’orientation sexuelle n’a été intégrée au Code pénal qu’en 2009, participant de l’objectif d’adhésion à l’UE alors clairement établi.

Ces avancées doivent pourtant être envisagées avec prudence. La loi sur l’union civile fait suite au référendum qui, avec 65 % des voix, a défini dans la Constitution le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme. La pétition à l’origine du référendum avait recueilli pas moins de 710 000 signatures (sur 4,2 millions de citoyens). En juin 2011, 53,5 % des Croates interrogés se disaient hostiles aux Gay Prides et, d’après l’Agence des droits fondamentaux de l’UE, les Croates LGBTI sont plus nombreux à être victimes de discrimination ou d’agressions que la moyenne européenne[3]. Mais un retournement progressif de l’opinion n’est pas à exclure, à l’image de l’ancienne Première ministre Jadranka Kosor (ex-membre du HDZ), qui s’est prononcée en 2013 contre l’interdiction constitutionnelle du mariage pour les couples de même sexe et en faveur de l’Union civile. Si elle n'a pas énoncé de raison claire pour justifier son évolution, elle a tout de même précisé que, sans être favorable au mariage, pour des raisons de conviction religieuse, elle s’opposait à son interdiction qu’elle juge stigmatisante. Dans son sillage, nombre d’associations et de personnalités publiques –comme la chanteuse Severina– contribuent à sensibiliser les Croates aux droits LGBTI. L’édition 2012 de la Gay Pride, à Split, s’est déroulée sans heurt alors que celle de 2011 avait dû être annulée face aux menaces. D’autres défilés se sont déroulés sereinement à Osijek, Rijeka ou Pula. Reste à voir ce que le HDZ, vainqueur de l’élection présidentielle de janvier 2015, entend faire et s’il envisage de supprimer la loi.

La Serbie à la croisée des chemins

Après des années de tergiversations et de tentations nationalistes, la Serbie semble s’être engagée vers l’UE. S’agissant des droits LGBTI, les autorités avancent aussi et les timides progrès accomplis sont à mettre à ce compte, afin de se conformer aux exigences européennes tout en se contentant du minimum. En 2014, pour la première fois, une Gay Pride a pu se tenir à Belgrade sans interdiction ni violence. Le gouvernement a pris quelques initiatives: l’âge de la majorité sexuelle pour les rapports homosexuels est désormais le même que pour les hétérosexuels, une loi anti-discrimination a été adoptée en 2009, les opérations de changement de sexe peuvent être prises en charge par la Sécurité sociale depuis 2012. La même année, les crimes de haine basés sur l’orientation sexuelle ont été introduits dans le Code pénal. Le leader d’extrême-droite Mladen Obradović a ainsi été condamné à 10 mois de prison pour incitation à la haine contre les minorités LGBTI. Mais, en mai 2014, Amnesty International classait encore la Serbie comme l’un des pays les moins engagés dans la lutte contre l’homophobie et la transophobie[4], tandis qu’un vrai substrat homophobe persiste au sein de la société. L’interdiction constitutionnelle du mariage pour les couples de même sexe a été adoptée dès 2006 alors qu’aucune reconnaissance de ces unions n’est envisagée.

La très influente Église orthodoxe se distingue régulièrement par ses déclarations hostiles. Ainsi, le Patriarche Irinej se demandait en 2013 « si l’homosexualité [étant] promue, alors pourquoi pas la pédophilie, qui est très répandue à l’Ouest, et l’inceste ? », liant au passage intégration européenne et protection des droits LGBTI.

Le scandale macédonien

De tous les États de la région, l’Ancienne république yougoslave de Macédoine est celui qui, de façon générale, suscite le plus d’inquiétudes. De vives tensions communautaires y persistent et l’économie du pays stagne. Alors que cet État avait été le premier des Balkans occidentaux à se voir attribuer le statut officiel de candidat à l’UE en 2004, il a été depuis rejoint, voire dépassé, par ses voisins.

Sur le plan des droits LGBTI, la situation est catastrophique et va empirant. Un sondage du Centre for Civil and Human Rights montrait en 2002 que 80% de la population percevaient l’homosexualité comme un désordre psychiatrique et que 65% la concevaient comme un crime méritant l’emprisonnement. Un rapport de l’Institut danois des droits de l’homme, qui reprend ces chiffres, déplore une homophobie fermement ancrée dans l’opinion[5]. Il n’y a pas eu de nouvelles études depuis, mais les faits semblent acter une persistance de cette perception. Ainsi, le centre LGBTI de Skopje a été la cible de six attaques en deux ans.

Le sentiment général qui prévaut dans la population est en outre fortement relayé par les politiques. En 2010, le gouvernement de Nikola Grueski a par exemple retiré l’orientation sexuelle de la liste des motifs visés par la loi interdisant la discrimination au travail alors qu’elle y figurait originellement. Les médias contribuent eux aussi à cet état de fait. On peut citer l’exemple du quotidien Vecer qui, le 1er février 2013, a publié une liste dénonçant l’homosexualité supposée de journalistes. Le 20 janvier 2015, le Parlement a, quant à lui, voté l’interdiction constitutionnelle du mariage et de toute autre forme d’union entre personnes de même sexe. Alors que la Macédoine s’enfonce dans le marasme économique et l’instabilité politique chronique, et que les tensions intercommunautaires s’aggravent, il semble que la minorité LGBTI soit devenue un défouloir pour les responsables politiques.

Si le choix d’accorder ou pas le droit au mariage et à l’adoption aux minorités LGBTI relève de la souveraineté nationale, il est en revanche inenvisageable de transiger sur les droits fondamentaux des citoyen-ne-s que sont, entre autres, la protection contre les violences et la discrimination. Les pays qui ne protègent pas une partie de leurs citoyens au motif que ces derniers sont LGBTI ou qui affichent une complaisance vis-à-vis de l’intolérance, non seulement sont en infraction avec leurs engagements internationaux mais aussi en rupture avec les valeurs essentielles de l’Europe. Cette posture pourrait dès lors amener à considérer qu’ils ne sont pas dignes d’une place au sein de la famille européenne. Cette donnée a probablement joué un rôle moteur pour faire évoluer la Croatie et la Serbie. La force de l’Europe tient précisément à sa capacité à amener ses (futurs et potentiels) membres au respect de ses valeurs.

Notes :
[1] Les minorités sexuelles et de genre seront aussi désignées par « LGBTI » (Lesbiennes, Gay, Bisexuel-le-s, Transgenre et Intersexes).
[2] Article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Au sujet de la protection des droits LGBT par la CEDH.
[3] Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, Rapport 2012.
[4] Communiqué d’Amnesty International.
[5] Study on Homophobia, Transphobia and Discrimination on Grounds of Sexual Orientation and Gender Identity Sociological Report: the former Yugoslav Republic of Macedonia, Institut danois des droits de l’homme, Copenhague, 2010.

Vignette : Image capturée par la vidéo de surveillance du Centre LGBTI de Skopje lors d’une des attaques homophobes dont il a été la cible en 2013.

* Thibault BOUTHERIN est consultant en affaires européennes, spécialisé sur les Balkans occidentaux. Il est diplômé de l’Inalco, de Sciences Po Paris et du Collège d’Europe.

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