Dzurinda en apnée

Mauvaise année pour le Premier ministre slovaque Mikulas Dzurinda.


Plus d'un an après avoir été reconduit dans ses fonctions à la suite des élections législatives de septembre 2002, il fait de nouveau l'expérience d'une impopularité croissante. Plus grave, il se voit depuis quelques mois comparé à l'ancien Premier ministre Vladimir Meciar en raison de son comportement autoritaire. Déjà sous-entendues à la fin du printemps, les accusations de ce type se sont renforcées à la suite de sa décision de démettre Jan Moyzis de ses fonctions de directeur de l'Office national de sécurité (NBU), chargé en particulier de donner son agrément à la nomination de tous les fonctionnaires civils ou militaires détachés auprès de l'Otan.

Le NBU est statutairement indépendant du gouvernement, du Parlement et de la justice. C'est cette indépendance que M. Dzurinda a ouvertement bafouée. Après avoir invoqué l'existence de "petits groupes" dont l'objectif était le discrédit de la République et la déstabilisation de ses institutions, il a affirmé à plusieurs reprises vouloir se débarrasser d'un homme qui avait "perdu sa confiance". La volonté de Dzurinda de se défaire du chef de la NBU a provoqué une cassure au sein de la coalition. D'un côté le SMK et les démocrates-chrétiens, appuyés par le ministre de la Défense Ivan Simko. D'un autre, la SDKU (moins Simko) et le "pragmatique" ANO de l'ex-magnat de l'audiovisuel slovaque, Pavol Rusko.

Le ministre de la Défense, Ivan Simko, a payé le conflit de son poste. Après avoir refusé de voter pour la destitution de Moyzis début septembre 2003, il a été démis de ses fonctions ministérielles. Les motifs réels de la passe d'arme sont encore inconnus du grand public, mais ils ont produit un effet désastreux même si les partenaires occidentaux de la Slovaquie ont évité de jeter de l'huile sur le feu. Le remplaçant de J. Moyzis n'a toujours pas été nommé fin décembre 2003, alors que le gouvernement Dzurinda est devenu minoritaire au Parlement slovaque. Le 8 décembre, Ivan Simko et sept autres députés ont effet quitté le groupe SDKU. Le gouvernement ne dispose plus que de 68 députés dans un parlement de 150 députés.

Mikulas Dzurinda paie lourdement cet événement. Sa côte de popularité a brutalement dévissé pour s'établir à 3,3 % début décembre 2003 (source : Office de statistique de la République slovaque), en huitième position, derrière tous les leaders de l'opposition, le chef du parti magyar et le (probable) futur candidat de la SDKU à la présidentielle du printemps, le ministre des Affaires étrangères Eduard Kukan. La SDKU en tant que telle n'a pas souffert excessivement de l'image dégradée de son Premier ministre. Elle reste à son étiage de 8-9 % qui la place très loin derrière le Smer de Robert Fico, crédité de plus de 30 % des intentions de vote et qui pourraient bientôt reconstruire la gauche slovaque en absorbant l'ancien Parti de la gauche démocratique, brutalement éjecté hors du Parlement en septembre 2002 avec moins de 2 % des suffrages exprimés. Bien qu'isolé, le HZDS de Vladimir Meciar reste potentiellement le deuxième parti du pays. Enfin, le Parti de la coalition magyare (SMK), de Béla Bugar, reste plus que jamais certain du vote " ethnique " de la forte minorité magyarophone du pays et est stabilisé autour de 10 % des intentions de vote.

Après les séries de scission qui avaient affecté ses principaux concurrents (HZDS et SNS notamment) avant les élections de 2002, après surtout que la Slovaquie a assuré son entrée dans l'Union européenne et dans l'OTAN, la marge de manoeuvre du Premier ministre se réduit. Dans l'hypothèse où des élections anticipées devaient être convoquées au printemps, il ne pourrait plus bénéficier de l'éclatement de ses rivaux et ne pourrait pas plus jouer la carte du " chantage " à l'intégration qui avait parfaitement fonctionné, in extremis, en septembre 2002. La situation est d'autant plus délicate que les Slovaques ne savent pas gré au gouvernement d'avoir adopté un train de réformes particulièrement douloureuses et que le pessimisme est grand sur les effets de celles à venir. Ceux qui prédisent depuis longtemps l'arrivée de Robert Fico à la tête du gouvernement pourraient finir par avoir raison. Celui-ci continuera à jouer de la geste patriotique et de sa sensibilité sociale pour agréger autour de lui la gauche slovaque, les patriotes en rupture de meciarisme, et tout ce que la Slovaquie compte de " victimes " des réformes libérales que le gouvernement impose actuellement.

 

Par Etienne BOISSERIE