Édito Dossier 67 : « Portrait du Bélarus »

À quoi ressemble le Bélarus en 2014 ? Vingt ans après la première élection d’Aliaksandr Loukachenka à la présidence, ce dossier souhaite se focaliser sur le show business, la campagne arriérée et les galeries bobo. Sans oublier les manifestations du régime autoritaire et les orientations de politique étrangère analysées notamment à la lumière de la crise ukrainienne.


Devenu indépendant en 1991, le Bélarus n’a connu qu’un court intermède de démocratie, avant qu’il ne tombe, à partir de 1994, sous la présidence autoritaire de A.Loukachenka[1] et son régime cherchant «à restaurer symboliquement une continuité entre l’avant et l’après 1991»[2]. Vingt ans sont passés et de nombreuses évolutions sont à signaler: renforcement de l'emploi du russe qui a le statut de langue officielle aux côtés du bélarussien, retour aux symboles de la République socialiste soviétique de Biélorussie (nom du pays de 1919 à 1991), des changements constitutionnels illégaux pour un renforcement du pouvoir présidentiel, des élections non démocratiques, des libertés et des droits humains constamment bafoués, une culture et des artistes devant respecter l’idéologie de l'État et obéir au pouvoir. Comment vivent les Bélarusses face à ces contraintes? Et pour combien de temps ce président, saura-il trouver les moyens de s’assurer de leur soutien?

À l’opposé, les partisans d’A.Loukachenka considèrent que celui-ci a rétabli la stabilité politique, économique et sociale dans un pays tampon entre l’Occident et l’Orient européens. La stratégie présidentielle a plutôt conduit à un rapprochement de la Russie: le pays est devenu membre de plusieurs organisations régionales dont l’«État d’union du Bélarus et de la Russie». Le Bélarus sait toutefois prendre ses distances par rapport à la Russie, pour améliorer ses relations avec l’Union européenne (UE) notamment à l’approche des élections.

Une culture contrôlée par le haut

La politique nationale ne cherche pas à favoriser une culture libre. Face à cette situation, les artistes bélarusses ont apporté différentes réponses: certains ont choisi de partir à l’étranger, d’autres ont préféré rester et expriment une vision dépolitisée de l'art. Entre ces deux postures, la jeunesse a pris depuis quelque temps l’initiative de s'ériger, dans les limites du possible, un espace de liberté avec la mise en place de galeries d’art contemporain à Minsk. Autre exemple, dans le domaine musical, pour éviter d’être fiché sur la «liste noire», les artistes doivent obéir aux règles du pouvoir en place et créer ainsi une musique au parfum de naphtaline. Finalement, les musiciens bélarusses qui veulent devenir célèbre dans leur pays avec leur propre musique, doivent le devenir au préalable dans les pays voisins.

Cependant, les Bélarusses qui empruntent la voie de l’exil, ne le font pas toujours au nom de l’art. Ainsi, s’offrir une éducation épargnée par l'idéologie du régime constitue, pour certains, une priorité. L’Université Européenne des Sciences Humaines (UESH), initialement ouverte à Minsk et basée à Vilnius depuis 2004, en est le symbole. Toutefois cette université, un des seuls espoirs de la société bélarusse, est sujette à une crise interne de fonctionnement.

État des lieux des évolutions sociétales et géopolitiques

À l’intérieur du pays, les autorités persistent dans la violation des droits humains, enfermant les opposants politiques et encadrant de manière de plus en plus restrictive toute expression d'un point de vue divergent. Ce fut le cas des manifestations organisées en avril 2014 à l’occasion de l’anniversaire de l’explosion de Tchernobyl, des manifestations interdites car selon le président A.Loukachenka ces régions ne seraient plus contaminées. Cependant, des États comme l’Espagne continuent d’apporter leur soutien aux populations encore touchées par les conséquences de l’explosion nucléaire de 1986.

Enfin, le printemps 2014 a été ponctué de changements géopolitiques importants au sein de l’espace post-soviétique. Dans ce contexte, quelle place le Bélarus peut-il occuper sur le continent eurasiatique? Un état des lieux de vingt ans de politique étrangère comme des relations du Bélarus avec l’UE, d’une part, et avec la Russie, de l’autre, s’impose. Mais le Bélarus saurait-il se limiter à ces partenaires traditionnels? Se contente-t-il de soumettre ses décisions au bon gré de son grand frère russe? Très récemment, la réaction bélarusse face à la crise ukrainienne fut un bel exemple d’un double discours du président. Ainsi, tout en faisant profil bas face à la Russie, A.Loukachenka a rencontré son nouvel homologue ukrainien. Et à la lumière de cet épisode, compte tenu de l’approche de l’élection présidentielle de novembre 2015, quels acteurs politiques et sociaux peuvent jouer un rôle dans la campagne, et quelles questions intéressent le plus les Bélarusses eux-mêmes?

Notes :
[1]Biélorussie, mécanique d’une dictature, Jean-Charles Lallemand & Virginie Symaniec (dir.), Les Petits Matins, Paris, 2007, p.28; Horia-Victor Lefter, «Bélarus: Identité et citoyenneté en mouvement», Regard sur l’Est, 15 décembre 2011.
[2] Ronan Hervouet, «Biélorussie. Mémoires et ruptures de vie de citoyens soviétiques», in Jérôme Heurtaux & Cédric Pellen (dir.), 1989 à l’Est de l’Europe, ditions de l’Aube, Paris, 2009, p.203-204.

Vignette : Minsk, Anaïs Marin, 2014