Elections européennes en Bulgarie : la crédibilité de l’UE en jeu

Cinq mois à peine après l’adhésion de leur pays à l’Union européenne le 1er janvier 2007, les Bulgares viennent d’élire pour deux ans [1] leurs dix-huit représentants au Parlement européen. Comme il est de coutume lors de tout scrutin, des signaux ont été adressés aux responsables politiques locaux.

Retrouvez l'entretien réalisé avec le maire de Sofia, Boïko Borisov, par François FRISON-ROCHE pour le Courrier des Balkans : "Général proche des citoyens", maire de Sofia ... et futur Premier ministre de Bulgarie?


Avec un taux de participation de moins de 30% –le plus bas depuis dix-sept ans–, une constatation s’impose: globalement, les responsables politiques bulgares n’ont pas su motiver les électeurs sur les enjeux de ces élections. Pour ce premier scrutin européen, c’est un échec manifeste sur lequel il serait bon qu’ils s’interrogent. Bien sûr, il faut examiner les chiffres de cette participation avec attention, région par région par exemple, et tirer quelques enseignements sur les raisons de la mobilisation de certains électeurs et l’apathie des autres. D’une façon générale, les Bulgares ne se désintéressent pas de l’Europe et des valeurs qu’elle incarne. Ils ne rejettent pas les avantages qu’elle procure au pays, sur le plan économique en particulier. Peut-être est-ce une question de personne. Encore une fois, il semble que les Bulgares ont «sanctionné» les principaux acteurs politiques en leur manifestant une certaine défiance.

Les résultats obtenus par les différentes forces politiques sont instructifs. Comme lors de toutes les élections, il y a des perdants et des gagnants. Qui sont-ils aujourd’hui?

Une droite traditionnelle désunie

Alors qu’elle est dans l’opposition et regroupe environ 9% des suffrages exprimés, la «droite» traditionnelle s’est présentée en ordre dispersé (SDS -Union des forces démocratiques-: 4,73% et DSB -Démocrates pour une Bulgarie forte-: 4,34%). Comme le seuil électoral était fixé à 5,56%, elle est donc éliminée du jeu et n’aura pas de représentants à Strasbourg. C’est tout à fait regrettable pour l’image du pays car elle a joué un rôle déterminant dans l’orientation européenne de la Bulgarie. Après son grave échec lors de l’élection présidentielle de l’automne 2006, les représentants (souvent auto désignés) de cette tendance politique –qui est évidemment nécessaire dans une démocratie équilibrée– doivent se sentir personnellement responsables de cette situation. Il est dommage que la tête de liste de l’Union des forces démocratiques (SDS), l’ancien président de la République Petar Stoïanov, qui avait indiqué au lendemain de cet échec qu’il avait «sa démission dans sa poche», ait mis plusieurs mois pour la sortir de celle-ci et tirer les conséquences de son incapacité personnelle à rassembler. A droite, il n’est d’ailleurs pas le seul à avoir atteint ce que l’on pourrait appeler un «seuil d’incompétence» et il faut espérer que cette nouvelle sanction par le suffrage universel marquera le renouveau des hommes et des idées dans ce segment de la scène politique qui souffre surtout de désunion. Il y a urgence avant les prochaines échéances électorales locales de l’automne. Si elle ne se réforme pas, cette «droite» divisée deviendrait alors le meilleur «allié» de la gauche pour faire gagner cette dernière.

L’érosion du Parti socialiste

A gauche, le nombre de sièges obtenus (5) ne doit pas faire illusion. Avec à peine plus de 414.000 voix obtenues, le Parti socialiste (BSP) est le second grand perdant de cette élection. On pourrait avoir la cruauté de rappeler ici le nombre de voix obtenues par le Président, Gueorgui Parvanov, il y a quelques mois à peine et surtout les résultats des élections législatives de juin 2005 (1.130.000 voix). Alors qu’il est le seul vrai parti politique structuré de Bulgarie, l’hémorragie électorale que vient de subir le BSP est symptomatique et apporte la preuve que les choses ne sont plus comme avant. Même si ces élections ne sont «que» des élections européennes, sa principale force, la discipline de parti, s’est érodée. Il n’a pu compter le 20 mai que sur un «noyau dur» qui est l’expression d’une faiblesse politique. Sa crédibilité est également atteinte. Les récentes révélations sur plusieurs scandales financiers, auxquels seraient mêlées quelques «grandes figures» du Parti, ont certainement contribué à brouiller son image dans l’opinion si ce n’est porté atteinte à sa légitimité à gouverner comme il l’a fait jusqu’à présent. Lui aussi a besoin de se régénérer si, demain, il ne veut pas payer électoralement le prix fort pour ses erreurs et son aveuglement d’aujourd’hui.

Siméon de Saxe-Cobourg résiste

Alors que les sondages indiquaient une inéluctable érosion électorale depuis 2005, le NDSV (Mouvement national Siméon II) de l’ancien Premier ministre, Siméon de Saxe-Cobourg, semble avoir su tirer son épingle du jeu lors de ces élections. Avec un élu, son score n’est pas brillant (surtout si l’on prend pour référence les suffrages obtenus lors des élections législatives de 2005) mais il semble avoir plutôt bien résisté à la concurrence de l’autre «pôle centriste», le GERB, qui n’est pas confronté à ce que l’on appelle familièrement «l’usure du pouvoir».

Communautarisme et extrémisme confortés

Deux partis, le DPS (Mouvement des droits et des libertés, qui regroupe les Bulgares d’origine turque et les Roms) et Ataka (mouvement extrémiste), semblent avoir conforté leurs positions. Malgré une loi électorale en sa défaveur [2], le DPS a fait le plein de ses électeurs (391.711), toujours aussi disciplinés (4 sièges). Rien ne semble l’atteindre au fil des élections, ni les dures conditions de vie que son électorat pourrait reprocher à ses dirigeants au pouvoir, ni même les scandales financiers auxquels il semble que ces derniers soient mêlés. Le DPS est un parti politique «à part» sur l’échiquier politique bulgare et le restera tant que son électorat trouvera dans cette forme de communautarisme polymorphe une réponse satisfaisante.

Par rapport aux élections de juin 2005 (296.848 voix), Ataka n’a perdu qu’environ 20.000 suffrages. Certes, on n’est plus dans les sommets atteints lors de l’élection présidentielle mais force est de constater que les messages «anti-tout» et xénophobe de ce mouvement trouvent toujours un écho au sein d’un électorat très mobilisé. Ataka aura 3 sièges au Parlement européen. Il sera intéressant de voir si ce vote protestataire se maintiendra encore lors des élections locales de cet automne, ce qui signifierait qu’il s’enracine. La question que l’on peut se poser est de savoir, sur le plan politique, au profit de qui?

Le nouveau parti du maire de Sofia plébiscité

Le GERB («Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie») est le mouvement politique (centre droit) que l’on peut considérer comme le vainqueur de ces premières élections européennes (5 sièges). Pour plusieurs raisons: il a été créé il y a quelques mois à peine et cette consécration par le suffrage universel est une première réussite encourageante pour son « dirigeant informel », le maire de Sofia, Boïko Borisov. Réussir à faire mieux, en terme de voix obtenues (419.301), que le Parti socialiste est une seconde victoire. La différence est infime, c’est vrai, mais c’est une victoire psychologique très importante. Toutes proportions gardées, le GERB est devenu en mai 2007 la première force politique en Bulgarie. A l’étranger on garde présent à l’esprit que, lors des élections législatives de 2005, le parti socialiste à revendiqué (et obtenu) le poste de Premier ministre parce qu’il était arrivé en tête. Désormais, le GERB «existe» en dehors des sondages et il exprime une dynamique politique qu’il sera difficile de ralentir dans les mois qui viennent. Même si l’on peut considérer qu’il est prématuré d’envisager une telle situation, l’idée de susciter des élections législatives anticipées a été immédiatement lancée par les dirigeants du mouvement.

Indirectement, les électeurs bulgares ont peut-être aussi envoyé quelques petits messages à l’Union européenne. En «boudant les urnes» ils indiquent que l’Europe n’est toujours pas assez «visible» dans le pays, n’exigeant pas assez en terme de respect par les autorités bulgares actuelles de certaines normes et valeurs fondamentales: malgré quelques améliorations, la justice reste toujours globalement déficiente, l’impunité de certains exaspère de plus en plus la population, la criminalité et la corruption gangrènent trop la vie politique... Après dix-sept ans d’attente, ce n’est pas dans un futur plus ou moins lointain que les Bulgares veulent être «Européens», c’est maintenant!

Le 27 juin, la Commission européenne devrait rendre public son Rapport sur les progrès de la Bulgarie depuis son adhésion. Au travers de ses recommandations, c’est aussi la crédibilité de l’Europe qu’elle va jouer devant l’opinion.

Appartenance politique et noms des députés bulgares élus lors des élections européennes du 20 mai 2007:
«Citoyens pour un développement européen de la Bulgarie» (GERB) : 5 sièges (Douchana, Zdravkova, Vladimir Ouroutchev, Nikolaï Mladenov, Petia Stavreva, Roumiana Jeleva)
« Plateforme des socialistes européens » (BSP et partis alliés) : 5 sièges (Christian Viguenine, Iliana Iotova, Atanas Paparizov, Maroussia Loubtcheva, Evgueni Kirilov)
"Mouvement des droits et des libertés" (DPS) : 4 sièges (Filiz Housmenova, Mariela Baeva, Metin Kazak, Vladko Panaïotov)
« Ataka » : 3 sièges (Dimitar Stoïanov, Slavi Binev, Dimitar Tchoukolov)
Mouvement national Siméon II (NDSV) : 1 siège (Biliana Raeva)

* François FRISON-ROCHE est chargé de recherche au CNRS ; CERSA – Université Paris 2.

[1] Le renouvellement global du Parlement européen aura lieu en 2009.
[2] François Frison-Roche, «Bulgarie : premières élections européennes après l’adhésion à l’UE », 8 mars 2007, www.colisee.org/article.php?id_article=2355