Entretien avec Oskaras Korsunovas, jeune metteur en scène lituanien, mars 1999

Retour sur le théâtre lituanien.


oskaras_korsunovasPensez-vous qu'il y ait une spécificité du théâtre lituanien ?

Oskaras Korsunovas : Historiquement peut-être, la force du théâtre lituanien, c'est la forme de la mise en scène. Pendant les trois dernières décennies, le héros principal au théâtre, c'est le metteur en scène. C'est un théâtre de la mise en scène. Et le texte au théâtre n'a pu s'épanouir qu'à travers les concepts qu'avaient les metteurs en scène sur le texte jusqu'à maintenant. Dans tous les cas, le plus important, c'était non pas ce qui était fait mais comment c'était fait, c'est-à-dire la forme.

Y avait-il déjà un caractère propre du théâtre lituanien à l'époque soviétique ?

Ce qui était important encore une fois, c'est non pas ce qui était fait mais comment c'était fait. Par exemple des spectacles de Jonas Vaitkus ou de Nekrosius représentaient des actes de résistance. Le théâtre lituanien était très important socialement pendant toute la période soviétique. C'était comme une institution sociale. Cependant c'était une situation assez paradoxale en fait. Le théâtre était très soupçonné par l'Etat comme scène politique, comme moyen de communication politique. Et dans toute l'Union soviétique c'était la même chose. Mais le paradoxe réside dans le fait que la censure existait et cet endroit politique qui était entièrement censuré est devenu le lieu de la résistance spirituelle. Et c'est à cause ou grâce à cette censure qu'un langage de la métaphore est né et que beaucoup de spectacles sont nés. Et c'est peut-être un des traits les plus importants du théâtre lituanien. C'était un endroit de complot, c'est-à-dire de manifestation tacite, silencieuse, il y avait un lien très sensible entre la scène et le public. Mais il faut aussi se rappeler que la Lituanie est un pays très catholique, mais catholique dans un sens particulier - le théâtre était considéré comme une sorte de remplaçant de l'Eglise. Comme l'Eglise ne pouvait être publique à cette époque, c'est le théâtre qui a pris tous les attributs de l'Eglise. Dans l'Eglise catholique en Lituanie, le rituel et la forme sont plus importants que le contenu de la parole. C'est peut-être ça aussi qui explique pourquoi le théâtre lituanien est plutôt un théâtre de l'image, de l'action et de la forme. C'est sa première problématique.

Il faut dire aussi qu'en grande partie notre théâtre a été influencé par le théâtre russe (M. Tchékhov est venu en Lituanie, beaucoup de metteurs en scène ont été formés par la méthode Stanislavski) ainsi que par le théâtre occidental à une certaine période (par exemple, à travers Meltinis qui a fait ses études à Paris et a beaucoup influencé Vaitkus).

Il faut aussi parler de la place de l'acteur. Ce qui est différent entre les acteurs de l'école russe et ceux de l'école lituanienne, c'est qu'il n'y pas vraiment chez nous cette forte émotion comme chez les Russes. Cette émotion passionnée ne serait pas tolérée ici. Tout cela est dû aux conditions que je viens de mentionner et aussi certainement au trait de caractère des Lituaniens.

Quelle est à votre avis la différence entre le théâtre lituanien et le théâtre russe ?

Je pense qu'ici il y a plus de sobriété. Les comédiens se sentent comme faisant partie du tissu de la mise en scène. Il y a peut-être plus de concentration intérieure. L'école lituanienne est plus introvertie que l'école russe. Mais c'est aussi dû à la spécificité de la langue. Ici peut-être qu'on ne peut même pas parler de la passion - même si les acteurs sont passionnés par ce qu'ils font ! - mais si nous parlons d'émotion, c'est comme dans la rue, les émotions sont cachées et sont plutôt intérieures. Le théâtre russe, c'est beaucoup plus la culture de la parole, le fait de parler qui est très important. C'est pourquoi le comédien russe fait beaucoup plus attention à ce qu'il dit, alors que chez nous, c'est peut-être plus important ce qu'il cache, c'est-à-dire ce qu'il ne dit pas. Je pense que c'est une des différences les plus importantes.

Maintenant que ce n'est plus l'époque soviétique, ressentez-vous une difficulté à créer de la part des artistes, et plus particulièrement des metteurs en scène ?

Oui, je pense que c'est devenu plus compliqué pour un artiste puisqu'il doit trouver son propre espace de résistance et des "sujets interdits". Dans une société démocratique il y a beaucoup moins de sujets interdits, donc c'est beaucoup plus difficile d'être actuel. Parce que le théâtre est actuel seulement lorsqu'il se fraye un chemin à travers les zones interdites. […]

 

 

Par Anne LAVAL

Vignette : Oskaras Korsunovas

Oskaras Korsunovas présentera sa dernière création, Le Maître et Marguerite, d'après le roman de Mikhaïl Boulgakov, au Festival d'Avignon en juillet prochain dans le cadre du projet THEOREM.