Présenté comme attestant le pivot que la Russie effectuerait actuellement vers la Chine, le gazoduc Force de Sibérie a été mis en service le 2 décembre 2019 au cours d’une cérémonie officielle particulièrement solennelle, manifestement destinée à traduire l’importance de l’événement.
L’accord de livraison de gaz russe a été signé en 2014 entre Gazprom et CNPC. Il porte sur 30 ans, 400 Mds de $ et des livraisons annuelles de 38 Mds de m3 de gaz par an. En 2020, ce sont moins de 5 Mds m3 de gaz seulement qui seront acheminés sur 3 000 km via ce tube, depuis les champs gaziers de Tchaïanda (Yakoutie) et de Kovykta (région d’Irkoutsk) vers le nord-est de la Chine. Mais, d’ici 2024, le tube sera à plein régime. Au-delà, la Russie a annoncé son intention de faire passer la capacité du tube à 50 mds de m3 par an.
Souvent présenté comme « géant », ce contrat l’est indéniablement par sa durée et le coût de son installation, mais les volumes transportés restent modestes (pour comparaison, le seul tube Nord Stream 1 via la Baltique est doté d’une capacité de 55 mds de m3 par an et il est en passe d’être doublé). Plus qu’une désaffection de la Russie pour le client européen, Force de Sibérie traduit surtout une mise en valeur assez naturelle de ressources situées en Sibérie orientale, c’est-à-dire… à proximité de l’Asie.
Le problème de la longue montée en puissance de Force de Sibérie est que, simultanément, la demande chinoise de gaz marque des signes de ralentissement : elle croît désormais moins vite et est en partie satisfaite par la hausse plus rapide de la production intérieure et par la diversification des fournisseurs. Les importations chinoises de gaz naturel liquéfié (GNL) apparaissent déjà comme une variable d’ajustement importante. Or, actuellement, le prix du GNL sur les marchés spot est particulièrement faible.
Pour le moment, la guerre commerciale qui oppose la Chine aux États-Unis semble plutôt favorable aux tubes, Pékin ne souhaitant pas se lancer dans l’achat massif de GNL américain. Mais le prix et la flexibilité du gaz liquéfié pourraient amener le client chinois à passer outre ses différends politiques avec Washington, tandis que rien ne l’empêche d’acheter du GNL qatari ou australien, voire russe auprès de l’entreprise Novatek.
Le prix du gaz consenti dans l’accord russo-chinois n’a pas été dévoilé mais la partie chinoise insiste pour préciser qu’il est lié aux cours mondiaux du pétrole. Compte tenu de la faiblesse de ces derniers, il n’est pas exclu que le contrat -l’unique client de ce gaz étant la compagnie CNPC- soit donc révisé à la baisse. Ce qui ne serait pas du tout dans l’intérêt de Gazprom.
Sources : Independent Commodity Intelligence Services, Svoboda.org, Nastoïachtchee Vremya, Rossia 24, Bloomberg.