Gazoduc Nord Stream 2 : quand Varsovie fait plier Moscou et Berlin

Par Céline Bayou (sources : UOKIK, Forbes, Natural Gas Europe, Kommersant, Atlantic Council)

La Pologne est en train de faire vaciller le projet de gazoduc sous-marin Nord Stream 2, censé relier la Russie à l’Allemagne et permettre à terme l’acheminement de 110 milliards de m3 de gaz russe vers l’Europe, contre 55 milliards aujourd’hui par cette même voie baltique.

En effet, le 12 août, Gazprom et ses cinq partenaires européens (les allemands Uniper et Wintershall, le français Engie, l’autrichien OMV et l’anglo-néerlandais Royal Dutch/Shell) ont annoncé qu’ils renonçaient à créer la société mixte qui devrait réaliser le projet. Cette annonce a fait suite à l’avis défavorable rendu par l’autorité polonaise de la concurrence. Ce renoncement est présenté par certains médias comme une victoire de la Pologne dans la bataille qui l’oppose à la Russie et à l’Allemagne, bataille engagée dès le début des années 2000 lorsque les deux pays ont lancé le projet du premier gazoduc sous-marin baltique.

Le consortium chargé de la construction du Nord Stream 2 envisageait une mise en service du tube en 2019 et un coût d’installation oscillant entre 8 et 11 milliards de dollars. Fortement soutenu par l’Allemagne, ce tube visait notamment pour la Russie à évincer l’Ukraine en tant que voie de transit de son gaz vers l’Europe. Parmi les pays réticents à voir se réaliser ce projet, la Pologne est toujours apparue en pointe, notamment parce que le renforcement de la coopération gazière germano-russe la place dans une situation de grande vulnérabilité compte tenu de sa position géographique et de sa forte dépendance. Le doublement du gazoduc pourrait en particulier fragiliser son tout nouveau terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) situé à Świnoujście.

Varsovie semble donc avoir trouvé la parade: même si le consortium n’est pas enregistré en Pologne, il relève bien de la législation nationale sur la concurrence, les entreprises impliquées menant de multiples affaires dans le pays. L’UOKIK (Urząd Ochrony Konkurencji i Konsumentów, Office de protection des consommateurs et de la libre concurrence) a lancé une étude à ce sujet en décembre 2015 et ses conclusions, rendues en juillet, ont confirmé que le niveau de concentration prévu pourrait mettre en cause celui de la concurrence dans le secteur: Gazprom a d’ores et déjà une position dominante en tant que fournisseur de gaz à la Pologne et le projet renforcera encore cet état de fait, au détriment des consommateurs locaux. Selon l’Office polonais, la société mixte ne peut donc être créée. L’UOKIK avait donné quatre semaines aux six partenaires pour répondre à ses objections, ce qu’ils viennent de faire.

C’est un coup sérieux porté au Nord Stream 2, alors que la Commission européenne étudie depuis quelques mois la question de sa conformité au 3e Paquet énergétique, qui interdit la possession exclusive d’un tube par lequel une compagnie fait transiter et vend son propre gaz (Gazprom et le gouvernement allemand arguent du fait que cette législation communautaire ne doit pas s’appliquer à des tubes qui ne sont pas exclusivement communautaires).