«Guerre des générations» en République tchèque Un pays qui ne voudrait plus de ses seniors?

Les élections législatives des 28 et 29 mai 2010 en République tchèque ont révélé l’ampleur du fossé qui sépare désormais les générations dans le pays. Il semble que la transition post-communiste de la société tchèque rentre désormais dans une nouvelle phase.


Les seniors, qui ont passé la plus grande partie de leur vie sous le régime communiste, donnent toujours le ton dans le pays, tandis que les jeunes, qui ne connaissent le communisme qu’à partir des manuels d’histoire, commencent à se faire entendre. Les deux générations n’ayant pas la même vision de l’avenir du pays, on parle désormais d’une «guerre des générations».

La campagne électorale comme terrain d’affrontement

La polémique autour de la «guerre des générations» a été déclenchée à l’occasion de la campagne électorale. Deux jeunes acteurs très populaires dans le pays, Jiri Madl (né en 1986) et Martha Issova (née en 1981) ont lancé sur Youtube une vidéo de quatre minutes intitulée «Convaincs ton vieux et ta vieille» qui demande aux jeunes d’inciter leurs grands-parents à ne pas voter pour la gauche[1]. «Si la gauche l’emporte, ce sera à cause des vieux», expliquent d’emblée les acteurs. Ils utilisent des expressions familières, voire vulgaires, prenant pour cible les seniors qui, en votant pour la gauche, auraient une mémoire sélective et ne se rappelleraient plus des exactions du communisme. Les acteurs rappellent également la divergence d’intérêts entre les deux générations: «La gauche va endetter l’Etat et, alors que les vieux mourront tranquillement, nous passerons le reste de notre vie à rembourser ces dettes!»

Cette vidéo a déclenché une polémique sur les relations inter-générationnelles et la place des seniors dans la société tchèque, divisant le pays en deux camps. Les uns condamnent ces «gosses gâtés» qui ne savent pas ce que sont la guerre et la faim. Force est de constater, à travers les critiques adressées à cette vidéo, que la polémique dépasse bien souvent le cadre de la campagne électorale: «Toutes les grand-mères ne sont pas bêtes et n’ont pas besoin qu’on leur conseille pour qui voter. De toute façon, je ne me ferai pas conseiller par les jeunes d’aujourd’hui qui auraient eux-mêmes besoin qu’on leur dise comment se comporter», s’insurge la chanteuse Yvonne Prenosilova, née en 1948.

D’autres, parmi lesquels figurent également des seniors, apprécient au contraire que les jeunes expriment à leur manière leur opinion sur la vie politique du pays. «Je n’en ferais pas toute une montagne, nous avons aujourd’hui la liberté d’expression. Il est bien que les jeunes se soient réveillés car, jusqu’à maintenant, ils n’ont pas eu de place dans la politique», estime ainsi Vera Caslavska, ancienne championne olympique de gymnastique, née en 1942.

Et, en effet, le but des acteurs était d’inciter les jeunes à s’intéresser à la politique. Les deux protagonistes tiennent à préciser que cette initiative est la leur et qu’elle n’a été financée par aucun parti politique. «L’affrontement des générations a été une nouveauté de ces élections. La vidéo ‘Convaincs ton vieux et ta vieille’ a servi de catalyseur d’une sorte de ‘guerre des générations’», conclut le sociologue Daniel Hanzl.

Le résultat des élections consacre la victoire des jeunes

D’après le politologue Michal Klima, le résultat du scrutin constitue un vrai tremblement de terre politique. Les jeunes y ont joué un rôle déterminant, car la gauche a essuyé une énorme défaite avec 31% des votes contre 53% pour les partis de droite[2]. Le Parti communiste s’est retrouvé pour la première fois depuis 1989 à la quatrième position. «Je me disais que, vingt ans après le fameux novembre, il fallait enfin que le Parti communiste recule de sa troisième place habituelle», se félicite Karel Schwarzenberg, leader du nouveau parti TOP 09.

Le résultat des élections peut donc être considéré comme une victoire des jeunes. «A la différence des autres pays européens, de nombreux jeunes électeurs tchèques votent pour la droite», explique le politologue Tomas Lebeda. En effet, de nombreux partis politiques de droite se sont efforcés de mobiliser les jeunes, notamment par l’intermédiaire de l’Internet.

Résultats des élections législatives tchèques des 28-29 mai 2010

Tableau réalisé par l’auteure (%)

Les explications de l’échec de la gauche sont multiples. Mais l’hypothèse est avancée selon laquelle elle aurait, précisément, sous estimé l’importance des jeunes électeurs. Ainsi, le Parti social-démocrate vient d’annoncer -un peu tard!- son intention de s’adresser à l’avenir aux jeunes pour s’adapter aux changements de la société. Ce parti a indéniablement mené, qui plus est, une campagne très populiste. «Jiri Paroubek[3] a pris les vieux pour des ‘cons’ en pensant qu’ils lui donneraient leurs voix pour ses promesses irréalistes», estime ainsi la sociologue Jirina Siklova[4]. En outre, la gauche a sapé sa position en se montrant hostile à la tenue des «Elections des étudiants»: celles-ci ont été organisées par une ONG, un mois avant le vrai scrutin, dans les lycées tchèques. Il s’agissait de sensibiliser les jeunes à la politique. Lors de ces élections blanches, la droite l’a largement emporté, ce qui confirme une nouvelle fois les préférences politiques des jeunes.

De l’autre côté, plus d’un tiers des retraités auraient voté pour la gauche. «Ils continuent dans la logique de ce que nous avons construit pendant toute notre vie, alors que les nouveaux leaders politiques ont tout pillé», explique Bozena Paskova, de Prague, née en 1930. Une fois de plus, ce choix s’inscrit dans l’affrontement des générations.

La République tchèque, un pays qui ne serait pas fait pour les «vieux»?

La «guerre des générations» est donc bien lancée, pour l’instant essentiellement sur Internet, mode de communication privilégié des jeunes. Sur le réseau social Facebook, des jeunes ont créé un groupe qui vise les seniors, intitulé: «Leur terrain de chasse sont les hypermarchés et leur vitesse est redoutable -les retraités! Leurs adversaires sont les jeunes, les prix élevés et les marches. Les retraités tchèques font toujours la leçon aux autres, cherchent les réductions et emplissent les bus jour et nuit». Au départ, il s’agissait d’une plaisanterie. «J’ai rejoint ce groupe parce que son nom est marrant et parce que, il faut être honnête, tout le monde en a parfois marre que les retraités passent leur temps à prendre les transports publics!», explique Martina Stranska. Cependant, il ne s’agit plus d’une initiative marginale: le nombre d’adhérents a dépassé 250.000 membres et le ton se durcit.

Les sociologues se penchent donc sur la question des relations intergénérationnelles pour tenter de comprendre d’où viennent ces rancunes à l’encontre de la population âgée. Ils estiment d’une part que l’une des raisons de cette désaffection est liée à l’ignorance, alors que ni l’école ni les médias n’évoquent jamais (ou presque) les seniors de manière positive. D’autre part, il faut chercher des explications dans le manque de contacts. D’après un sondage réalisé en 2005 par l’Académie des sciences, le nombre de jeunes vivant avec leurs grands-parents a baissé de moitié par rapport à la génération précédente. On constate certes la même évolution à l’étranger mais cette transition est particulièrement rapide en République tchèque.

La sociologue Jirina Siklova, née en 1935, s’interroge: «Ce pays n’est pas fait pour les vieux?» On peut également se demander si cette évolution de la société tchèque est un héritage du régime communiste ou si, bientôt, elle concernera également d’autres pays.

[1] Voir la video: http://www.youtube.com/watch?v=Vbkmw0NtZaY
[2] Les deux grands partis ont rassemblé peu de voix par rapport aux sondages: 22% pour le Parti social-démocrate (gauche), grand favori du scrutin, et 20% pour le Parti démocratique civique (droite). Les votes pour les petits partis du centre-droit, présents sur la scène politique tchèque depuis peu de temps, ont au contraire dépassé toutes les attentes: presque 17% pour le parti TOP 09 et presque 11% pour le parti Affaires publiques. Ces nouveaux partis vont entrer au Parlement et vont probablement participer à la formation d’un gouvernement de droite avec le Parti démocratique civique.
[3] Jiri Paroubek était le chef du Parti social-démocrate. Au lendemain des élections, il a présenté sa démission.
[4] Le populisme de J.Paroubek a été pris pour cible par ses adversaires politiques qui ont lancé une campagne pour ridiculiser son parti. Ils ont payé une campagne publicitaire qui le présentait comme celui qui était prêt à ressusciter Elvis Presley, décréter un week-end de cinq jours ou baisser le prix de la bière à 2 couronnes (8 centimes) !

 

Par Zuzana LOUBET DEL BAYLE
Photo: Extrait de la vidéo diffusée sur Youtube.