« Il venait de la Ville Noire. Souvenirs d’un Arménien du Caucase » Nikita Dastakian Ed° L’inventaire / CRES

Véritables « confessions d'un enfant du siècle », ces « souvenirs d'un Arménien du Caucase » racontent le destin hors du commun de Nikita Dastakian.


couverture du livre "il venait de la ville noire"Né en 1897, cet Arménien a en effet participé à tous les grands événements qui ont fait l'histoire de la Russie puis de l'URSS au XXème siècle. Tout commence à une époque heureuse où, dans le Caucase, Arméniens et Tatars vivent en paix. Le père du petit Nikita, Abraham, s'installe alors en périphérie de Bakou, dans une de ces « villes noires » pour devenir un notable incontournable : il est Directeur général de l'Association des producteurs de pétrole.

Mais avant d'en arriver là, Abraham Dastakian a connu la vie trépidante pétersbourgeoise, et les geôles de la Forteresse Pierre-et-Paul où l'on jetait ceux qui, comme lui, soutenaient le célèbre mouvement Narodnaïa Volia. En racontant les origines de sa famille, Nikita Dastakian nous permet surtout de saisir la complexité d'un empire russe qui parvient difficilement à garder la main-mise sur ses minorités et ses richesses naturelles.

L'enfance de Nikita est plutôt idyllique. Il raconte la ville, le quotidien d'un peuple tranquille heureux de profiter du soleil toute l'année. Les portraits des notables arméniens et tatars sont croustillants, les anecdotes incroyables. On est loin des soucis de l'empire russe.

Mais les premiers massacres d'Arméniens en 1905, perpétrés par les Tatars, sonnent le glas de cet âge d'or. Les enfants Dastakian sont alors envoyés chez une tante de Saint-Petersbourg où ils poursuivent leurs études, loin des conflits qui animent le Caucase.

Ils sont rattrapés par les événements avec l'entrée en guerre de l'empire russe aux côtés des Alliés. L'empire ottoman est alors menaçant. Nikita Dastakian combat en tant qu'officier, d'abord sur le Front autrichien, puis à Bakou où les soldats russes abandonnent le front en masse après la Révolution d'Octobre 1917. Nikita témoigne alors des exactions contre les Arméniens, qui le pousseront à fuir en Perse. Mais le voyage ne s'arrête pas là.

Après quelques années en Europe, à Paris, Berlin, et Londres, le jeune Dastakian rejoint son père en Roumanie, en 1925. Là-bas, il se fait de nouveaux amis, travaille. La Seconde Guerre mondiale vient bouleverser sa vie. Car si les Roumains sont d'abord neutres, la démission du roi Carol II, puis la prise du pouvoir par Antonescu les pousseront aux côtés des Nazis. Le témoignage de Nikita s'applique ensuite à décrire méthodiquement les purges organisées par les Soviétiques après leur entrée dans le pays. Notre héros est alors menacé en tant que « ancien officier de l'armée tsariste » et employé d'une entreprise dirigée par un activiste arménien en Roumanie. Arrêté, il est envoyé en camion à Kichinev, puis en train à Moscou. Direction la Loubianka.

Son rôle de « mouton » auprès d'importants personnages nazis nous apprend beaucoup sur l'envers de la Seconde Guerre mondiale. Et si la mort de Staline lui fait espérer la liberté, il n'obtiendra qu'une « déportation à vie », ou relégation, au Kazakhstan, dans un petit village. Nikita aurait pu finir sa vie en Asie Centrale, mais le sort en décide à nouveau autrement. Des nouvelles de parents proches, vivant à Paris, permettent à Nikita d'élaborer un plan. Il entreprend alors une action pour quitter l'URSS. Ce qu'il parvient à faire en 1956, le jour même où les troupes soviétiques occupent Budapest. Sa nouvelle vie à Paris commence alors.

Tous ces événements, Nikita nous les raconte avec simplicité et parfois avec humour. Son regard parfois candide ne manque cependant jamais de pertinence. Il nous éclaire sur les vicissitudes de destins les plus incroyables, car ce livre est aussi l'histoire de nombreuses rencontres impromptues, au détour d'une rue de Bakou, d'un convoi militaire, d'une geôle ou d'une allée de camp. En écrivant ses mémoires, Nikita Dastakian rend hommage à sa famille, elle aussi victime de ce siècle, et à ces inconnus. Il montre aussi que l'espoir fait vivre.

Par Eléna PAVEL

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