Kazakhstan: La chute du chef de l’administration présidentielle

Le sommet du pouvoir au Kazakhstan est secoué par des luttes internes sur fond de révélations de corruption dans les régions pétrolières d'Atyrau et d'Aktioubinsk. Ces révélations qui touchent divers responsables régionaux de l'Ouest du pays, ont fini par atteindre le numéro deux du pouvoir et se soldent par un changement de gouvernement.


Les groupes rivaux en présence étaient jusqu’à présent, d'une part, celui de Karim Massimov (Premier ministre jusqu’au mois de septembre dernier), allié à Timour Koulibaev (gendre du président Noursoultan Nazarbaev) ainsi qu’au chef de l'administration présidentielle, Aslan Moussine, et, d'autre part, celui de l'adjoint au Premier ministre Kaïrat Kelimbetov et du chef des services de sécurité (KNB), Nourtaï Abykaev. La lutte entre A. Moussine –qui tenait les voies d'accès à N. Nazarbaev– et N. Abykaev entravait le fonctionnement de l'État.

Aslan Moussine, qualifié par un site d'opposition de « Béria kazakhstanais » en référence à la tragédie de Janaozen du mois de décembre 2011[1], était le chef de l'administration présidentielle depuis le mois d'octobre 2008 et donc le numéro deux du pouvoir d'État, jusqu'à son limogeage par le président N. Nazarbaev, le 21 septembre dernier. Trois jours plus tard, Serik Akhmetov était nommé Premier ministre. Ces deux événements signent-ils la victoire du chef du Comité de sécurité nationale (KNB) N. Abykaev sur A. Moussine et une étape dans l'évolution de la présidence de Noursoultan Nazarbaev ?

Le départ de A. Moussine n'a pas été une surprise. L'ancien officier du Comité de sécurité nationale (KNB), Vladimir Komarov, a déclaré que les événements de Janaozen ont été fomentés par une personne très puissante dans le pays, contrôlant des flux financiers importants et qui aurait eu l'intention de faire destituer le chef du KNB N. Abykaev. Sans le nommer, cet ancien officier fait vraisemblablement référence à A. Moussine[2].

Destitutions en cascade

Ancien adjoint pour les questions économiques de A. Moussine et représentant du pouvoir central (akim) dans la région d'Atyrau entre octobre 2006 et août 2012, Bergei Ryskaliev (avec son frère Amanjan, député du Majlis jusqu'en septembre 2012) aurait quitté le Kazakhstan sur les conseils de son mentor. Selon une source anonyme, dont un site d'opposition se fait l'écho avec prudence, le départ de B. Ryskaliev aurait été facilité par le premier vice-Président du KNB, Vladimir Joumakanov qui serait un proche de A. Moussine. Ce qui signifierait que le KNB est en fait dirigé par V. Joumakanov et non par N. Abykaev. Le fils de Aslan Mousine, personnage au moins aussi trouble que son père[3] aurait également quitté le Kazakhstan, selon le site Guljan.org. Quant à Moussine père, il se trouverait en Europe et n'aurait pas l'intention de retourner au Kazakhstan, même si le site d’information officiel KazTAG[4] affirme qu'il se trouve en Allemagne pour y subir des examens médicaux.

B. Ryskaliev est propriétaire, avec les Moussine père et fils et certains de leurs proches, de sept sociétés dont les sièges sociaux sont pour la plupart enregistrés dans la région d'Aktioubinsk. Parmi ces sociétés, la pétrolière Batys-Mounaï qui serait un des principaux instruments financiers de ce groupe, et le fonds off-shore Petrotaïm-Internechnl Limited enregistré, lui, aux îles Vierges. La destitution de B. Ryslakiev fait suite aux révélations de son ancien adjoint pour la région d'Atyrau, Salimjan Nakpaev, accusé d'« actes arbitraires accomplis en groupe », et condamné à 4 ans de détention. Après avoir informé le président Nazarbaev de vols et de faits de corruption de grande ampleur dans sa région, il a été acquitté en septembre dernier.

Plusieurs interprétations possibles

Le lancement d'une investigation par des enquêteurs d'Astana, concernant l'administration de la région par B. Ryskaliev, a permis de lever une partie du voile sur les événements de Janaozen de décembre 2011 et sur les responsabilités d'un groupe armé, venus spécialement d'Atyrau pour pilier, incendier, voire assassiner des pétroliers. Ce qui, du reste, avait été évoqué dès le mois de mars 2012 par le site d’opposition informatsionno-analititcheskiï portal Respoublika[5]. Les pétroliers de Janaozen ont donc été les victimes de luttes entre groupes politiques rivaux essayant de tirer parti du conflit entre des pétroliers grévistes et leurs employeurs, qui durait depuis le printemps 2011.

Dans la région d'Aktioubinsk, où la situation est très tendue, le pouvoir local risque aussi de voir éclater de semblables scandales. Un même type de « nettoyage » y est vraisemblable puisque le représentant du pouvoir central ou akim, Arkhimed Moukhambetov, est aux prises avec des enquêteurs qui s'intéressent à sa gestion. Il a lui aussi partie liée avec A. Moussine qui avait été également akim de la région d'Aktioubinsk de 1995 à 2002.

Présentées ainsi, les affaires Nakpaev et Ryskaliev auraient donc conduit le président Nazarbaev à limoger le chef de l'administration présidentielle Aslan Moussine, faisant apparaître N. Abykaev comme un « sauveur ». D'autres interprétations existent, comme celle d'un journaliste du site informatsionno-analititcheskiï portal Respoublika, pour qui N. Nazarbaev poursuit ses projets à savoir céder son pouvoir à la personne de son choix, après avoir écarté plusieurs groupes de l'élite dirigeante, comme ses gendres R. Aliev et T. Koulibaev. La destitution de A. Moussine est alors ici interprétée comme le souhait du président de se défaire d'un collaborateur devenu inutile, voire gênant étant donné ses ambitions politiques. En nommant K. Massimov et S. Akhmetov respectivement au poste de Chef de l'administration présidentielle et de Premier ministre, N. Nazarbaev consolide ce qu'il lui reste de pouvoir qu'il sentirait menacé de plus en plus par ses proches.

Serik Akhmetov, Premier ministre 

Le remplacement de K. Massimov au poste de Premier ministre (il est le premier à avoir connu une telle longévité, de janvier 2007 à septembre 2012) aurait été envisagé par N. Nazarbaev depuis janvier dernier. Son successeur, S. Akhmetov, issu du milieu des entrepreneurs[6] n'est pas un nouveau venu, puisqu'il était entré dans l'équipe de N. Nazarbaev au début des années 1990. S. Akhmetov n'est toutefois pas un politique. Il aura officiellement pour taches de s'occuper de la politique sociale, d'augmenter la compétitivité des entreprises nationales et de diversifier l'économie, basée essentiellement jusqu’à présent sur l’exploitation des matières premières. Cette ambition de diversification de l'économie, sans cesse exprimée depuis l'indépendance, n'a du reste jamais été mise en œuvre. Parmi les quatre vice Premier ministres du nouveau gouvernement, deux d'entre eux occupaient déjà cette fonction dans le précédent. Il s'agit de Erbol Orynbaev et de Aset Isekechev. Le troisième vice ministre Kajrat Kelimbetov a quant à lui déjà occupé de nombreuses fonctions dont celle de ministre de l'Économie et de la Planification du budget entre 2002 et 2006 et de Chef de l'administration présidentielle en 2008. Et soulignons enfin la présence notable parmi ces nouveaux vice Premiers ministres de l'ancien akim de Mangystau (où se trouve Janaozen), Krymbek Koucherbaev, destitué de sa fonction, le 22 décembre 2011. Le reste du gouvernement de S. Akhmetov ne se distingue pas fortement du précédent, car plusieurs ministres conservent leur poste, comme ceux de l'Intégration économique, de l'Intérieur, du Pétrole et du Gaz, de la Défense et des Finances.

Ce changement de gouvernement et les révélations qui l'ont précédé sur les agissements des akim des régions occidentales du Kazakhstan, secouées par des événements inédits dans ce pays, en sont-ils un épilogue ? Mettront-ils un terme à la dégradation de l'image du Kazakhstan à l'international ? Probablement pas encore, même si le parlement européen vient de rejeter les amendements présentés par le député vert irlandais Paul Murphy[7] au projet d'accords de partenariat et de coopération avec le Kazakhstan.

Notes :
[1] Hélène Rousselot, « Kazakhstan : Les répressions politiques après la tragédie de Janaozen », Regard sur l'Est, 15 avril 2012 ; Hélène Rousselot, « Kazakhstan : État des lieux, six mois après la tragédie de Janaozen », Regard sur l'Est, 15 juin 2012.
[2] Vladimir Sourganov, « Vladimir Komarov, Argankergen i Arsaïskiï kordon ? eto provokatsii protiv Nourtaia Abykaeva », Guljan.org, 18 septembre 2012.
[3] Né en 1979, élu membre du conseil municipal de la ville d’Aktioubinsk en mars 2009, Asylbek Moussine aurait été lié aux manifestations violentes de groupes dits religieux extrémistes au Kazakhstan en 2011 et aurait eu pour « disciple » l’auteur de l’attentat suicide d’Aktobe en mai 2011, le premier du genre au Kazakhstan.
[4] « Stchetniyï komitet : Moussin na medobsledovanii v Germanii », KazTAG, 12 octobre 2012.
[5] www.respublika-kz.info/ (consultation : 01/11/2012)
[6] Né en juin 1958, Serik Akhmetov est devenu premier secrétaire du comité des komsomols pour la région de Karaganda en 1986. À l'indépendance, il est entré dans le secteur privé, puis a dirigé l'union des entrepreneurs et des employeurs du Kazakhstan Atameken. Mais il a aussi occupé le poste d'akimde Karaganda de 2009 à janvier 2012.
[7] P. Murphy s'était rendu au Kazakhstan en août 2011, lors des grèves d'employés du secteur pétrolier et suit les événements depuis.

 

Hélène ROUSSELOT est spécialiste de l'Asie centrale

Vignette: Serik Akhmetov (source : eco.gov.kz)

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