La classe moyenne russe émigre… vers Riga !

Par Céline Bayou (sources : EurasiaNet.org, tvnet.lv, Bloomberg.com, Re:Baltica, Delfi.lv)

Les Russes sont de plus en plus nombreux à envisager ou décider de quitter le pays, ne se reconnaissant plus dans le pays de Vladimir Poutine. Les médias se font l’écho des récits de certains qui, désillusionnés, ont fait le pas et sont partis. Qualifiés d’«occidentalistes», voire soupçonnés d’être une cinquième colonne, certains disent ne plus pouvoir respirer en Russie, surtout depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine et le soutien affiché de leurs compatriotes à l’annexion de la Crimée.

Représentants de la classe moyenne russe, ces émigrés sont pour la plupart des urbains qualifiés. Si un deux pièces moscovite de 40 à 70 m² peut coûter entre 180.OOO et 300.000 euros, un appartement rénové dans le quartier Art nouveau de Riga, lui, ne revient qu’à 150.000 euros en moyenne. Les agences immobilières moscovites disent avoir constaté une accélération du nombre de ventes de biens immobiliers depuis les répressions de 2012, suite aux manifestations anti-Poutine. Dans un premier temps, il s’agissait avant tout pour les vendeurs de diversifier leurs placements au cas où les choses tourneraient mal en Russie. Puis, entre janvier et août 2014, les ventes urgentes de candidats à l’émigration auraient été multipliées par cinq, selon ces mêmes agences. Parmi les vendeurs, on trouve des journalistes, des architectes, des chirurgiens, des publicitaires, des banquiers… mais aussi, parfois, des réservistes qui disent craindre d’être appelés, demain, à combattre en Ukraine. La plupart sont Moscovites mais les autres villes russes commenceraient à être touchées par cette vague d’émigration.

Parmi les candidats au départ, certains ont choisi la Lettonie. Parce que ce pays est membre de l’UE et que, dès lors qu’un étranger y réalise un investissement notable, il peut y obtenir un titre de résidence. Inquiète de ce phénomène, la Lettonie a réagi en septembre 2014 en vue de limiter cet afflux: depuis, pour obtenir un permis de résidence, le candidat doit investir au moins 250.000 euros et non plus 142.000 comme précédemment. Il faut dire que les demandes de permis de résidence relevant de cette loi ont augmenté de 70% au cours des huit premiers mois de 2014 par rapport à la même période en 2013! En juillet 2014, un total de 13.800 personnes bénéficiaient de ces permis au titre de l’investissement, dont 9.650 Russes. Ils étaient suivis par les Chinois et les Ukrainiens (le nombre de ces derniers a doublé en 2014). Selon le ministère letton de l’Intérieur, ils ont investi au total 1,1 milliard d’euros dans le pays.

La Lettonie n’est pas le seul pays en Europe à délivrer des permis de résidence en échange d’investissements. La Pologne, la Finlande, la Hongrie, la Grèce et l’Espagne, notamment, en font de même. Mais la Lettonie cumule quelques avantages: Riga est la capitale européenne la plus proche de Moscou, le prix de l’immobilier y reste très raisonnable comparé à Moscou et la forte minorité russophone qui y vit rend la pratique quotidienne de la langue russe assez répandue. Accessoirement, le maire de Riga est lui-même russophone. Après cinq ans de résidence, les nouveaux venus peuvent envisager de passer l’examen de naturalisation, qui implique la connaissance de la langue lettone et de l’histoire du pays. En attendant, le permis de résidence leur donne peu de droits, mais bien celui de travailler.

Une étude très détaillée réalisée en Lettonie sur ces nouveaux arrivants montre que, si la majorité des émigrants appartiennent à la classe moyenne, un certain nombre d’entre eux relèvent aussi de la catégorie oligarques, représentants de grandes entreprises publiques russes –dont énergétiques–, voire proches de Poutine. Parmi eux, certains ne vivent pas à l’année en Lettonie mais viennent y passer leurs vacances et profitent de leur permis de résidence pour voyager aussi ailleurs en Europe. L’inquiétude étant palpable en Russie, certains relèvent que rien ne dit que, demain, les autorités russes ne vont pas avoir l’idée d’imposer des visas de sortie à leurs ressortissants. Dès lors, mieux vaut détenir déjà un permis de résidence en Lettonie.

Simultanément, le ministère letton de l’Économie vient de publier des données concernant les Lettons qui ont quitté leur pays: entre 2000 et 2014, ils sont 238.000 à être partis. La population totale du pays a chuté de 16%, et les deux tiers de cette baisse sont imputables à l’émigration.