La Lettonie refuse la culture des OGM

Le 13 mai 2009, le Conseil letton de surveillance des OGM a décidé de ne pas autoriser la culture des OGM sur le territoire national; le gouvernement letton devrait porter ce point de vue jusqu’à Bruxelles dans les mois prochains.


Aujourd’hui, en Lettonie, les plantes génétiquement modifiées ne sont pas cultivées. Toutefois, le maïs et le soja transgéniques sont utilisés pour nourrir les cochons et la volaille, et des denrées alimentaires contenant des OGM sont en vente libre.

Ce mercredi 13 mai, le Conseil letton de surveillance des OGM s’est réuni à Riga pour faire émerger un consensus de principe entre les ministères de l’Environnement et de l’Agriculture, et exprimer un point de vue unique sur la question des OGM. Le résultat du débat qui opposait les deux ministères –le ministère de l’Environnement étant plutôt réticent– est un compromis: le Conseil a finalement décidé d’encourager la commercialisation des OGM et en particulier des semences, mais d’interdire sur son territoire la culture de plantes modifiées génétiquement.

Cette décision sera présentée par le ministère de l’Agriculture au conseil des Ministres en juin et devrait être reprise comme position officielle de la Lettonie au conseil de l’Union européenne, en vue des prochains débats sur les moratoires en cours dans certains pays, ainsi que sur les nouvelles autorisations européennes portant sur les OGM.

Une position ambiguë

Comme l’expliquait juste avant la séance Inese Aleksejeva, directrice du département de Biotechnologie du ministère letton de l’Agriculture, au quotidien Diena: «Concrètement, rien ne va changer; nous n’allons pas décider de cultiver ou de ne pas cultiver des plantes génétiquement modifiés, mais nous allons faire émerger le point de vue de l’Etat, puisque jusqu’ici la Lettonie, comme la Lituanie, l’Estonie ou le Danemark sont restés dans une zone grise». Les pays de l'Union européenne sont en effet généralement divisés sur cette question, entre une région nordique plutôt tolérante face aux OGM et une Europe médiane plutôt «conservatrice».

La Lettonie, il est vrai, n’a pas adopté une posture politique a priori très hostile aux OGM. Elle autorise leur commercialisation et elle n’a pas intégré le Réseau européen des régions sans OGM[1], qui rassemble notamment l’Autriche, la Grèce ainsi que de nombreuses régions françaises, italiennes, ou bientôt peut-être polonaises.

Toutefois, la Lettonie n’a pas non plus répondu favorablement aux tentatives de la Commission européenne de forcer la France, la Grèce, l’Autriche et la Hongrie à autoriser la culture du maïs MON 810[2] sur leur territoire, après que l’Agence européenne de Sécurité alimentaire (EFSA) a rendu en octobre 2008 un avis concluant à l’absence de nouveaux arguments négatifs, sanitaires et environnementaux sur la culture de ce maïs. Ce maïs qui contient un insecticide est homologué par l’UE depuis 1998; il est actuellement cultivé en Europe, principalement en Espagne.

En effet, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède, la Finlande et l’Estonie, notamment, ont voté le 16 février dernier au Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale à Bruxelles pour la levée des moratoires français et grecs, puis le 2 mars au Conseil européen des ministres de l’environnement à Luxembourg pour la levée des moratoires autrichiens et hongrois sur la culture de ce maïs. Même si ces tentatives ont échoué, elles ont permis à la Lettonie d’affirmer une position qu’elle compte aujourd’hui conforter: à l’instar d’une majorité de pays européens, dont la Lituanie, la Pologne et le Danemark, la Lettonie s’est prononcée contre la levée de toutes ces clauses de sauvegarde.

Les OGM et la crise économique

En Lettonie, les débats sur les OGM ne sont pas seulement éthiques: la population, les associations, certains scientifiques et une part de la classe politique s’accordent par principe pour rejeter les OGM en bloc. Dans une enquête récente du ministère de l’Environnement, 30.000 personnes auraient en effet exprimé leur refus des OGM. Par ailleurs, une manifestation réunissant les membres de certaines ONG environnementales se tenait ce 13 mai lors de la réunion du Conseil de surveillance devant le ministère de l’Agriculture, arborant des slogans tels que: «Si même les insectes ne mangent pas d’OGM, alors je n’en mangerai pas non plus», clin d’œil aux propriétés insecticides de certaines modifications apportées au génome des espèces concernées. Quatre membres du Conseil de surveillance se sont même prononcés à la fois contre la culture et contre la commercialisation des OGM, prenant en compte l’opinion publique défavorable ainsi que le point de vue réservé du Service vétérinaire et alimentaire du ministère de l’Agriculture (PVD).

En réalité, les arguments des défenseurs des OGM comme de leurs opposants sont souvent économiques. Le commerce de produits génétiquement modifiés est considéré en Lettonie comme parfaitement inévitable (pour les denrées alimentaires et la nourriture pour animaux): les producteurs comme les consommateurs n’ont pas les moyens de soutenir une agriculture traditionnelle ou biologique qui n’utiliserait par exemple qu’une nourriture pour animaux strictement issue de plantes non modifiées.

Par ailleurs, la Lettonie n’encourage pas la recherche dans le domaine des OGM: en avril dernier, en séance de la commission pour les Affaires européennes du Parlement letton, la Saeima, le nouveau ministre de l’Agriculture, Janis Duklavs (Union des Verts et des Paysans), avait précisé que la Lettonie était un pays trop petit pour qu’y soit menée une expérimentation sur les OGM. La députée Karina Petersone (Premier Parti de Lettonie) précisait que, dans le contexte actuel de crise, la recherche dans ce domaine était impossible et les contrôles limités. Seules une réglementation stricte et une large information de la population (par étiquetage comme en Allemagne ou en Autriche) sont donc envisageables.

Des risques pour l’agriculture biologique en Lettonie

L’argument économique est également utilisé par les opposants au développement des OGM en Lettonie. Le ministère letton de l’Agriculture précisait lors de cette séance de la commission pour les Affaires européennes que la culture des OGM représenterait en Lettonie une perte annuelle de 15 millions de lats pour certaines branches d’activité dans le pays. En effet, l’avantage économique de la culture des OGM réside principalement dans la réduction des dépenses liées à la protection des cultures. Toutefois, le démarrage d’une culture d’OGM implique des risques pour certains producteurs. Une étude menée en 2007 par le professeur Janis Vanags pour l’Université Technique de Lettonie (LTU) a estimé les risques économiques par branche et par région en cas d’expansion mal contrôlée de la culture des OGM dans le pays. Cette étude, dont les conclusions sont aujourd’hui reprises, évalue des risques très forts de pertes pour les producteurs de colza (perte annuelle de 9 millions de lats), les apiculteurs (2,5 millions de lats), les fermes biologiques (2 millions de lats) et les producteurs de semences (1,5 millions de lats). Toutefois, les risques ne sont pas répartis de manière homogène dans le pays, les régions de Kurzeme et de Vidzeme étant potentiellement les plus touchées, assumant chacune environ 27% du risque de perte.

Concernant le colza, l’introduction de plantes GM va certainement réduire la production destinée à l’alimentation et orienter le marché vers la production de combustible, ce qui aura pour conséquence une chute du prix et portera préjudice aux régions productrices de colza aujourd’hui destiné à l’alimentation, c’est-à-dire la Kurzeme (Ouest) et la Vidzeme (Nord). Au contraire de la Latgale (Est), où les surfaces de champ destinées au colza sont plus réduites, ou de la Zemgale (Sud) où elles sont plus grandes mais déjà destinées à la production de combustible.

Concernant l’apiculture et les fermes biologiques, la répartition du risque est similaire mais pour des raisons différentes. En 2007, la Lettonie comptait 3.000 fermes biologiques productrices de végétaux (soit 165.000 ha) et 150 apiculteurs biologiques, deux branches en plein développement et soutenues par l’Etat. Le risque encouru est une chute de 50% du prix de vente du miel puisque la production est largement orientée vers le miel de qualité, et d’environ 10-20% pour les végétaux. Dans les deux cas, la Latgale compte un grand nombre d’exploitations biologiques mais, région pauvre et préservée, le prix de vente y est bien plus faible qu’ailleurs et le potentiel de développement de l’agriculture biologique plus fort, le risque y est donc relativement faible; la Zemgale, région d’openfield, compte beaucoup moins d’exploitations certifiées biologiques. Là encore, le risque est plus fort en Kurzeme et en Vidzeme qui rassemblent aujourd’hui le plus grand nombre de fermes biologiques.

Enfin, l’introduction de cultures d’OGM risque également de faire chuter les bénéfices liés au tourisme vert puisque, comme le démontre l’expérience de l’Europe de l’ouest, les touristes qui profitent de ce type de services recherchent des régions naturelles et agricoles authentiques. Le risque (500.000 lats) concerne donc principalement les environs de Riga et les régions de bocage de Kurzeme ou de Vidzeme, alors que la Latgale est peu ouverte au tourisme et que les paysages de Zemgale (plaines de grande culture) attirent relativement peu les touristes verts.

Les OGM et le climat letton

La décision d’interdire la culture des OGM en Lettonie restera cependant assez formelle compte tenu du fait que le pays ne dispose que de 4 voix sur 345 au conseil de l’Union européenne qui pourrait se prononcer dans les prochains mois sur le renouvellement d’autorisation de culture de certaines plantes modifiées et sur de nouvelles autorisations: en principe, ce dont l’Union européenne autorise la culture pourra être aussi cultivé en Lettonie. En effet, la Lettonie n’a pas les moyens de contredire Bruxelles en finançant des recherches qui pourraient mettre en doute les conclusions rassurantes de l’EFSA.

A un détail près: le maïs transgénique MON 810 qui occupe largement les débats en Europe ne pousse pas plus que ses homologues naturels sous le climat letton. Et la Lettonie n’a pas la possibilité de conduire ses propres expérimentations sur les espèces qui l’intéresseraient et attend les débats européens qui porteront sur autorisations de culture d’OGM adaptés au climat letton, tels les pommes de terres (l’Allemagne venant d’autoriser l’expérimentation sur des cultures de pommes de terres modifiées génétiquement), les betteraves, ou le colza. I. Aleksejeva ajoute que, quoi qu’il en soit, la Lettonie a déjà mis au point un système de règlements très exigeants et bureaucratiques (autorisations, périmètres de sûreté…) qui devraient, sans mise en œuvre de la clause de sauvegarde, pouvoir empêcher dans la pratique que la culture des OGM soit réellement possible sur son territoire.

 

Par Eric LE BOURHIS

[1] www.gmofree-euregions.net
[2] Le maïs MON 810 est interdit de culture en Autriche depuis 1999, en Hongrie depuis 2005, en Grèce depuis 2006, en France depuis 2008, au Luxembourg depuis mars 2009 et en Allemagne depuis avril 2009.

Sources:
- Ieva Nora Firere, «Genetiski modificetas partikas tirgosanu neliegs; ierobezos audesanu» («La commercialisation de denrées alimentaires génétiquement modifiées ne sera pas interdite mais la culture d’OGM sera limitée»), Diena, 13 mai 2009.
- «Latvija atbalstis genetiski modificetu produktu tirdzniecibu» («La Lettonie soutient la commercialisation de produits génétiquement modifiés»), LETA, 13 mai 2009. - «Saeimas komisija aicina plasak informet par GMO izmantosanu partika» («La commission parlementaire encourage la diffusion plus large d’information sur l’utilisation d’OGM dans la nourriture»), Service de presse de la Saeima, Latvijas Vestnesis, 8 avril 2009.
- Janis Vanags, Genetiski modificeto kulturaugu audzesanas ekonomiskais novertejums Latvija (Evaluation économique de la culture de plantes génétiquement modifiées en Lettonie), Université technique de Lettonie, Riga, 2007. Disponible à l’adresse:
http://www.llu.lv/?mi=81&projekti_id=671