La petite (renaissance de la) mer d’Aral

Le Kazakhstan est un pays enclavé, privé d'accès direct aux eaux internationales des océans et grandes mers. Il est cependant bordé de deux mers intérieures parmi les plus grandes du monde, les mers Caspienne et d'Aral.


Cette dernière est touchée par un problème environnemental majeur dont le traitement n'est pas simple, à la fois parce qu'elle est au centre d'enjeux géopolitiques et économiques de premier ordre et parce que le problème rencontré n'est pas des moindres puisqu’il est question de sa disparition...

L'éclatement de l'URSS a donné lieu à une prise de conscience mondiale des catastrophes écologiques laissées au Kazakhstan, en héritage de soixante-dix années de gestion soviétique. Aussi, peu de temps après son indépendance en 1991, le Kazakhstan a recherché le soutien des grands organismes internationaux et le concours de ses voisins impliqués dans la gestion du bassin versant de l'Aral, afin de trouver les solutions qui permettent de rétablir les milieux naturels les plus atteints au plus près de leur état premier, soit celui précédant les années 1950.

Les conséquences d’une gestion aléatoire des ressources

Dès les années 1950, les autorités centrales soviétiques ont lancé un vaste plan de développement agricole du Kazakhstan afin d’approvisionner en produits de base alimentaires et en coton son marché intérieur. Les terres bordant l'Amou Daria en Ouzbékistan et le Syr Daria au Kazakhstan ont fait l'objet de grands travaux d'irrigation destinés au développement des très « aquavores » cultures de coton et de riz. Ce dernier plan a très fortement affecté la mer d'Aral, dont la baisse du niveau a pu être constatée dès 1960, soit quatre ans à peine après le vote du plan. L'Aral, dont le niveau était initialement établi à 53 mètres, s'est progressivement vidé jusqu'à atteindre son plus bas niveau en 2001, à 30 mètres. Sa surface initiale était alors amputée des deux tiers et la salinité de l'eau multipliée par cinq, à 35g/litre. Les habitants du Port d'Aralsk situé au nord de la mer, ont vu celle-ci reculer de plus de 150 km, disparaître 28 des 30 espèces de poissons et avec elles, la plus importante source de revenus pour la région.

Des changements climatiques sont apparus localement, avec des étés plus secs et des hivers plus doux. La pollution par les phosphates des cultures de coton a rendu l'eau douce de leurs puits impropre à sa consommation et favorisé le développement de maladies. Aux abords de l’Aral, la population est en particulier sévèrement touchée par des cancers. A la catastrophe écologique s'est ajoutée une catastrophe humaine.

L’acharnement kazakh ne paye pas…

La prise de conscience d'un danger pour l'Aral s'est développée dès 1969. Des scientifiques se sont alors penchés sur ce phénomène et ont cherché des solutions pour l'endiguer. Mais parallèlement, le plan d'irrigation s'est développé tel un rouleau compresseur et le point de non retour a certainement été franchi en novembre 1975, au moment où les eaux de l'Amou-Daria ont été détournées massivement à destination des nouvelles zones irriguées pour la culture du coton en Ouzbékistan. Malheureusement, aucune action concrète n'est entreprise et, en 1989, le niveau des eaux continuant son inexorable chute, la mer d'Aral est séparée en deux parties par une lagune. On parle pour la première fois de désastre écologique.

L'indépendance a créé pour le pays une opportunité de prendre le destin de l’Aral en main. L'opinion mondiale a été alertée, donnant lieu à la mobilisation de l'Unesco, de la Banque mondiale et des Nations-Unies pour organiser une conférence réunissant une centaine de scientifiques. En 1993, est fondé l'International Fund for Aral Sea (IFAS), regroupant les pays d'Asie centrale impliqués dans la gestion des eaux du bassin versant de l'Aral. Il a constitué un réel levier de progrès vers un rétablissement de l'Aral, ne fut-il que partiel.

Par chance, le relief du bassin de l’Aral permet d'envisager un sauvetage de la partie Nord de la mer (appelée Petite Aral par opposition à la Grande Aral au sud). En 1995, le Kazakhstan obtient de ses partenaires de l’IFAS la permission de réaliser sur son territoire une digue entre la Petite mer d'Aral au Nord et la Grande mer d'Aral au Sud.

Les autorités kazakhstanaises se sont attelées à cette tache sans aides financières extérieures et ont réussi à finir une digue contenant les eaux du Nord alimentées par le Syr-Daria en 1996. Le niveau a crû rapidement de 3 mètres. Malheureusement cette digue céda en 1999 lors d’une tempête, brisant tous les efforts des Kazakhstanais.

… mais aboutit à un projet solide

Il devint alors évident que seul un projet global pouvait permettre de contenir durablement les eaux de la Petite Aral. Ce projet est très conséquent car il ne peut pas se limiter à la seule construction du barrage séparant la Petite et la Grande Aral. Il comporte également un volet de réhabilitation du cours du Syr-Daria. L’opération a un coût total estimé à environ 300 millions de dollars.

La première phase a démarré en 2001. En plus de construire un ouvrage en béton de 13 km de long permettant de contenir durablement les eaux de la Petite Aral, cette phase a permis de réhabiliter des berges et des digues du Syr-Daria ainsi que deux ouvrages hydrauliques de régulation de son débit (Aklak et Aytek) aux profits de la mer d'Aral ainsi que des zones de cultures irriguées.

Pour cette phase, la Banque mondiale a consenti un prêt de 65 millions de dollars, auxquels s’ajoutent 21 millions de dollars des autorités kazakhes. Ces travaux sont terminés et montrent déjà leurs vertus. Les eaux de la partie Nord de la mer d'Aral sont montées de 12 m (à 42 m). Sa surface a augmentée de 30 %. La salinité est redescendue à un niveau acceptable pour la réintroduction de la plupart des espèces de poissons disparues. La pêche se développe à nouveau dans ce secteur et on assiste à un renouveau climatique avec un effet de rosée et des pluies plus fréquentes, permettant localement une meilleure production agricole.

La seconde phase vient de démarrer. Elle a pour objectif principal de permettre au port d'Aralsk de redevenir actif, ce qui n'est pas encore le cas aujourd'hui car, malgré les travaux de la première phase, la Petite Aral reste éloignée d'une vingtaine de kilomètres. Il est prévu dans cette phase de détourner plus au nord une partie des eaux du Syr-Daria par un canal débouchant dans le bassin d'Aralsk. Ces nouvelles eaux seront alors retenues par un second barrage déversant dans la Petite Aral.

Les efforts consentis pour sauver la partie Nord de la mer d'Aral ont favorisé le retour de la vie dans cette zone. La population reprend peu à peu ses activités traditionnelles de pêche et de cultures.

A l'Ouzbékistan de jouer 

La Grande d'Aral est partagée entre l'Ouzbékistan et le Kazakhstan. Elle est alimentée par l'Amou-Daria qui prend sa source en Afghanistan et traverse le Turkménistan puis l'Ouzbékistan. Son bilan volumétrique est fortement déficitaire, c'est-à-dire qu'il y a plus d'eau qui s'évapore à sa surface qu'il n'en arrive de l'Amou-Daria. Pour espérer voir revivre la Grande Aral un jour, il faudrait multiplier par cinq le débit actuel de l’Amou Daria. En plus d’une réhabilitation complète des zones irriguées qui affichent des pertes par fuites de l’ordre de 30 à 50 % des eaux prélevées, seule une diminution radicale des surfaces de cultures irriguées de coton permettrait d’arriver à un tel résultat. Seulement, l’Ouzbékistan ne peut s’y résoudre sans risquer des conséquences lourdes sur le terrain économique et social, car une partie significative de sa richesse est issue de ce secteur d’activité. Si le sauvetage de la Petite Aral semble acquis, la fatalité de la mort de la Grande Aral pèse de plus en plus sur les épaules de l’Ouzbékistan.

* Serge PREVOT est doctorant en Géopolitique, Institut Français de Géopolitique.

Sources principales
- « Comment revit la mer d’Aral ? », Conférence organisée par Marston Nicholson, Hôtel Crillon, 18 décembre 2008.
- « La disparition de la mer d’Aral : une catastrophe écologique causée par l’homme », La Documentation française, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/heritage-sovietique/mer-aral.shtml
- Philippe Rekacewicz et Salif Diop, « Gestion de l’eau: entre conflits et coopération », 14 janvier 2008, http://blog.mondediplo.net/2008-01-14-Gestion-de-l-eau-entre-conflits-et-cooperation

Signalé par la rédaction :
- René Lettole, La mer d’Aral, L’Harmattan, Paris, 2009, 318 p.

244x78