La réapparition des études religieuses

Le régime communiste avait entraîné leur disparition. Depuis 1991, les études religieuses reviennent, sous de multiples formes.


Etudier l’histoire des religions dans une grande université moscovite, le droit musulman à l’Université Islamique de Russie de Kazan, se préparer à la prêtrise au séminaire… L’offre d’études religieuses en Russie est en expansion rapide. Après soixante-dix ans de politique anti-religieuse soviétique, sa réapparition est un trait original du développement de l’enseignement supérieur russe. Les formations de qualité inégale reflètent les enjeux respectifs de l’enseignement et du religieux: pluralité, commercialisation, décentralisation des décisions éducatives; réinvestissement du champ culturel et identitaire par les religions, concurrence religieuse, relations avec le pouvoir...

La législation garantit la séparation de l’Etat et des Eglises et autorise les religions dites «traditionnelles» à ouvrir des instituts supérieurs. De multiples séminaires privés, (ré)ouverts depuis dix ans, forment donc des officiants ou théologiens et délivrent des certifications à l’usage d’une confession spécifique. D’autres instituts privés dispensent les diplômes d’Etat de différentes spécialités et ajoutent un enseignement confessionnel aux programmes officiels. Le contenu de ces cursus est très lié à des institutions religieuses locales ou à des réseaux transnationaux. Au sein des établissements publics, de nouvelles matières apparaissent: “Etudes religieuses” ou “Bases de culture orthodoxe” sont des composantes secondaires de formations en sciences humaines, littérature et art. Si la succession du cours d’«Histoire des religions et de l’athéisme» a été complexe, la matière est aujourd’hui prise au sérieux.

De la vulgarisation

A Voronej, les étudiants de l’Institut des Arts participent avec application au cours d’“Histoire des religions”. Igor, le professeur, est historien. Il a suivi une formation en philosophie avec l’appui d’un ordre monastique allemand: “Je dispose d’un cours par semaine en première année et j’ai défini mon programme moi-même parce qu’il n’existe pas, à ma connaissance, de programme unifié”. Il propose quelques notions phénoménologiques et un aperçu impartial des grandes religions du monde. L’essentiel de l’année est ensuite consacré à l’étude du développement des confessions chrétiennes. Pour Igor, c’est de la vulgarisation: “les étu-diants ont des connaissances faibles et le cours révèle l’acquisition parcellaire et aléatoire d’une culture religieuse, due à une socialisation religieuse faible ou erratique”.

Par ailleurs, des facultés de culturologie ou de philosophie font des études religieuses une spécialité à part entière. Ici règne un certain flou. Les établissements publics peuvent-ils former des théologiens? Quelles sont les normes d’enseignement définies au niveau national? Sur quels cadres s’appuyer dans des matières qui ne sont pas encore structurées comme filières universitaires indépendantes? Le plus souvent, ce sont les autorités éducatives et administratives locales qui tranchent en fonction de leurs préférences idéologiques et de leurs relations avec les autorités religieuses.

Théologie et droit canonique au programme

Les spécialistes sont formés à partir de principes universitaires et scientifiques nationaux. Mais leur déclinaison locale laisse place à l’interprétation. La section d’Etudes religieuses de l’Université pédagogique de Koursk, par exemple, rencontre un réel succès (elle forme une quinzaine d’étu-diants par promotion). Il faut dire que la Direction de l’éducation et l’évêché ont lancé une expérience remarquée d’enseignement des “Bases de la religion orthodoxe” dans les écoles de la région. Il y a donc un élan et des perspectives de travail. Le programme de quatre ans est empreint de sciences humaines (histoire, psychologie, sociologie, pédagogie, philosophie…), au contraire de l’occident, où avant le troisième cycle, les études de religion ou de théologie font plus de place aux matières dogmatiques, textuelles et pratiques.

Toutefois, la «Théologie chrétienne» (entendez orthodoxe) est l’une des matières principales. On étudie aussi le droit canonique ou l’iconographie. L’accent est donc mis sur l’orthodoxie en Russie, même si “la section ne forme pas de prêtres”, mais des “chercheurs et enseignants”. Les travaux universitaires sont soigneusement séparés de toute pratique religieuse; toutefois, l’Université collabore activement avec une Eglise ambitieuse en matière d’éducation, présente dans le corps enseignant et animant une chapelle destinée aux étudiants. Ceux-ci s’initient à la conduite d’activités culturo-religieuses et participent aux célébrations et pèlerinages orthodoxes. Le projet phare de l’Université est d’ailleurs de bâtir une nouvelle église dans sa cour. Les réactions des étudiants et professeurs d’autres matières vont de l’enthousiasme à un scepticisme discret. Difficile, encore, pour l’enseignement religieux, de trouver sa place.

Par Dramane COESTER