La recette de la victoire de la Plateforme civique (PO) en Pologne

Alors que, comme la plupart des pays d’Europe centrale et orientale, elle a connu l’alternance à chaque élection législative depuis 1989, la Pologne s’apprête à être gouvernée par le libéral Donald Tusk pendant quatre années supplémentaires.


Tusk ou Kaczyński. C’est toi qui choisiras le Premier ministre » (affiche de campagne de la Plateforme civique, Łódź, octobre 2011).Que s’est-il donc passé en Pologne ? Depuis 1989, date à laquelle il a retrouvé le droit au changement politique, le peuple polonais a toujours fait alterner gauche et droite au gouvernement. Cette fois-ci, il a décidé d’agir autrement, en reconduisant la majorité à l’issue des élections parlementaires qui ont renouvelé la Diète et le Sénat le 9 octobre 2011. En effet, la Plateforme civique du Premier ministre libéral Donald Tusk a recueilli 39 % des suffrages, alors que son partenaire de coalition –le Parti paysan polonais (PSL)- a obtenu 8 % des voix. Ces deux partis obtiennent donc 235 députés sur les 460 qui composent la Diète polonaise, et 65 sénateurs sur 100. Les conservateurs de Droit et Justice (PiS), dirigés par Jarosław Kaczyński, doivent se contenter d’un score de 29 %, tandis que le Mouvement de Palikot, qui vient de faire irruption sur la scène politique, crée la surprise en devenant la première force politique de gauche avec 10 % des voix, devant la gauche post-communiste (Alliance de la gauche démocratique, SLD) qui est en dégringolade totale.

Ces résultats montrent qu’aucun des partis existant lors des élections précédentes n’a vu son score évoluer de plus de 5 %, ce qui est synonyme de grande stabilité, dans un pays où les partis s’étaient habitués à voir leurs scores doubler ou être divisés par deux entre deux scrutins. On peut déceler trois types de facteurs explicatifs de ce phénomène nouveau de reconduite du gouvernement : la spécificité du scrutin de 2011, la politique menée par le gouvernement depuis 2007 et, dans une moindre mesure, le programme et la campagne électorale de la Plateforme civique.

Aperçu historique et explication de la spécificité du scrutin de 2011

En 1989, l’euphorie des élections semi-libres permet à l’opposition anti-communiste de remporter quasiment le maximum des sièges au Parlement polonais (99 sénateurs sur 100, 161 députés sur les 161 que Solidarność est en droit d’obtenir). Même si le scrutin suivant, en 1991, conduit à un émiettement de la scène politique, dans l’ensemble les premières élections législatives totalement libres confirment la volonté des électeurs d’être gouvernés par la droite. En 1993, cependant, la population polonaise, qui a tant lutté pour la démocratie, vote majoritairement pour la gauche héritière du parti qui a incarné la dictature pendant un demi-siècle. En effet, l’eldorado tant escompté n’est pas arrivé, et les réformes structurelles ont conduit à une aggravation du niveau de vie pour une grande partie de la population. En 1997, la gauche améliore son score, mais elle pâtit de la faiblesse de son allié de coalition d’alors et de la réunification de la droite au sein de l’Action Électorale Solidarność, qui remporte finalement la victoire. Cependant, les voix en faveur de Solidarność chutent de 34 à 6 % entre 1997 et 2001. La gauche revient alors au pouvoir avec 41 % des voix (coalition entre la SLD et l’UP, Union du travail), avant de subir un échec cinglant en 2005 (10 %), échec dont elle ne s’est toujours pas remise.
Ces défaites impressionnantes des partis au pouvoir en 2001 et 2005 montrent à quel point le maintien du score de la Plateforme civique autour de 40 % aux dernières élections représente un exploit, après quatre années passées au gouvernement.

Mais le scrutin de 2005 est important pour une autre raison: il s’agit d’un tournant qui crée un déséquilibre entre droite et gauche en Pologne. Alors que le pays s’apprête à connaître une alternance classique avec l’arrivée au pouvoir de la Plateforme civique et du parti conservateur PiS (les deux partis devaient former un gouvernement de coalition), la donne change brusquement à quelques mois des élections. Profitant habilement du renforcement du sentiment religieux suite à la mort du pape polonais Jean-Paul II, le PiS double la PO dans les sondages puis aux élections mêmes. Totalement déconcertée par ce qui n’est qu’une victoire en demi-teinte, la PO se montre alors très agressive dans les négociations gouvernementales avec le PiS qui, pour sa part, n’accepte pas le candidat de la PO à la présidence de la Diète (le Président de la République actuel, Bronisław Komorowski). Idéologiquement, PiS et PO sont certainement les partis présents à la Diète les plus proches au moment du scrutin de 2005 : deux partis de droite, l’un plus libéral, l’autre plus conservateur. Mais le PiS se choisit finalement des partenaires de coalition plus dociles (le parti populiste Autodéfense et le parti nationaliste Ligue des Familles Polonaises). L’antagonisme entre le PiS et la PO s’agrandit, mais ceci, paradoxalement, les sert. Car si ces partis représentent à eux deux 50 % des électeurs en 2005, ils recueillent 70% des voix en 2007 et 2011. Autrement dit, le clivage politique n’est plus un clivage gauche/droite mais un clivage progressistes/conservateurs, ou pour être plus exact, PiS/anti-PiS.

Bénéficiant des voix de ses alliés de coalition, désormais totalement marginalisés, le PiS obtient plus de voix en 2007 qu’en 2005, tandis que la PO remporte les élections en récupérant les voix des électeurs modérés qui avaient voté pour le PiS aux élections précédentes. Ainsi, la discorde de 2005 se traduit en 2007 par une bipolarisation qui perdure aujourd’hui. Le PiS a préféré puiser ses soutiens parmi les ultraconservateurs et les populistes, mais ceci l’a éloigné de ses alliés potentiels et l’a finalement isolé. Ni la PO libérale, ni encore moins les partis de gauche -SLD et Mouvement de Palikot- ne peuvent devenir des partenaires de coalition. La PO, au contraire, a l’embarras du choix, entre son allié actuel (le PSL), un de ses anciens députés, Janusz Palikot (qui fut, pendant un temps, vice-président du club parlementaire de la PO), et la SLD, avec laquelle elle aurait pu créer une grande coalition, à l’image de celle qui a gouverné l’Allemagne entre 2005 et 2009 (les divergences idéologiques entre les conservateurs de la CDU et les socio-démocrates du SPD n’avaient pas empêché le gouvernement de mener à bien des réformes importantes). En conséquence, même si le PiS avait obtenu plus de voix que la PO, cette dernière aurait formé un mouvement de coalition.

En fait, c’est surtout la peur d’un retour au pouvoir du PiS qui a conduit une partie des électeurs déçus de la PO à revoter pour ce parti le 9 octobre 2011. Les années 2005-2007, en effet, ont été un tel traumatisme pour un grand nombre de Polonais que beaucoup votent désormais pour la PO par défaut, ou pour faire barrage au PiS. Ce facteur a été déterminant dans la victoire récente du parti de Donald Tusk.

Des succès du gouvernement sortant ?

On pourrait se demander, comme c’est généralement le cas lorsqu’un gouvernement est reconduit, dans quelle mesure les politiques qu’il a menées ont contribué à son succès électoral. Force est de constater, et le Premier ministre D. Tusk n’a cessé de le souligner ces dernières années, que la Pologne est le pays qui résiste le mieux à la crise économique dans toute l’UE. Elle était le seul Etat membre qui n’était pas en récession en 2009.

Mais si le gouvernement a limité l’augmentation des dépenses budgétaires, il ne s’est pas attaqué aux problèmes structurels du pays. L’exemple le plus emblématique est celui de la sécurité sociale. Celle-ci est constituée de deux caisses : le ZUS (pour la plupart des salariés) et le KRUS (pour les agriculteurs et les propriétaires d’exploitations de plus de un hectare; souvent de très petite taille, ces exploitations engendrent très peu voire aucun revenu, alors que leurs propriétaires sont officiellement agriculteurs). Ceux qui cotisent au KRUS bénéficient d’avantages très nets et les économistes mettaient sous pression la PO pour qu’elle rende le système plus équitable. Cependant, l’allié gouvernemental de la Plateforme civique –le PSL– a su empêcher Donald Tusk de réformer le système en profondeur. En outre, le gouvernement PO expliquait le faible rythme des réformes par le droit de véto du Président Lech Kaczyński (PiS). Mais la disparition tragique de celui-ci en 2010 n’a rien changé à l’affaire.

Le gouvernement a, certes, tenté de mener quelques grandes réformes. Celle des régimes spéciaux de retraite s’est avérée délicate, tandis que l’avancement de l’âge du début de la scolarisation obligatoire de 7 à 6 ans, introduit en 2009, a provoqué une levée de boucliers parmi les parents d’élèves. Cependant, alors que la PO est présentée comme libérale et le PiS comme interventionniste, c’est Jarosław Kaczyński qui a baissé les cotisations sociales et l’impôt sur le revenu entre 2005 et 2007, et c’est Donald Tusk qui a augmenté la TVA et le salaire minimum. La PO a pu décevoir les électeurs libéraux qui s’attendaient à une baisse des impôts et à une plus grande flexibilité du marché du travail. En outre, une loi votée en 2009 prévoit la castration chimique des pédophiles, ce qui n’est pas en accord avec l’idéologie libérale que la Plateforme civique est censée défendre.

S’agissant de la politique étrangère, indéniablement, le gouvernement PO a mené une politique réussie. L’équipe eurosceptique du PiS avait isolé la Pologne au sein de l’Union européenne et les relations avec la Russie s’étaient dégradées. Donald Tusk, au contraire, a préféré jouer la carte du consensus européen, comme dans le cadre de la présidence de l’Union européenne dont la Pologne a actuellement la charge. Il prône le dialogue avec la Russie, ce qui a abouti, entre autres, à la levée de l’embargo russe sur la viande polonaise en 2007.

En conclusion, le gouvernement PO peut se prévaloir d’un discours plus apaisé que celui du PiS mais son action, du moins sur le plan interne, n’a pas forcément été plus efficace. C’est donc bien au niveau du discours et de la communication que les libéraux l’emportent sur les conservateurs, même si on peut regretter que cela n’aille pas de pair avec des réformes structurelles.

La campagne électorale et le programme

Pour autant, la campagne électorale n’aura joué qu’un rôle secondaire dans ce scrutin. Même si certains craignaient un retour au pouvoir du PiS, les jeux étaient pratiquement faits. Une hypothétique victoire de ce dernier ne lui aurait pas permis de former un gouvernement, tant ce parti est isolé.

La campagne électorale de la PO n’a pas été très différente de celle de 2007, même si le parti se trouvait alors dans l’opposition. Le PiS a été brandi en épouvantail, en particulier au cours des derniers jours de la campagne. La PO a tenté de mobiliser ses électeurs pour contrer le vote des hooligans qui lui ont déclaré la guerre il y a quelques mois (en mai dernier le gouvernement a pris une série de mesures anti-hooligans en prévision de l’Euro 2012, qui aura lieu en Pologne et en Ukraine). Elle a mis l’accent sur l’utilisation des fonds européens, qui permettra un développement plus rapide du pays. Elle n’a pas oublié son électorat de prédilection, les jeunes. Face au problème des « contrats-poubelle » (contrats de travail temporaires), qui les concernent en très grand nombre, Donald Tusk a déclaré, à la veille des élections, qu’il rechercherait des solutions législatives visant à stabiliser les embauches.

En outre, son parti a confirmé ce que chaque électeur savait déjà : qu’il ne s’agit plus d’un parti de droite mais du centre. Voici en effet ce que l’on peut lire dans son programme : « Notre plateforme de programme est constituée d’une synthèse de styles et de traditions de pensée multiples sur l’Etat et la démocratie. C’est pourquoi nous avons parmi nous des partisans de la liberté et du changement, mais aussi de la continuité et de l’autorité, des libéraux conservateurs et des démocrates chrétiens, des traditionnalistes et des socio-démocrates. Nous ne sommes ni de gauche, ni de droite.[...] Nous sommes devenus le « Nouveau Centre » ». Le programme électoral était basé sur quatre axes : « Innovation et capital social », « Famille et Sécurité », « Citoyen libre et État efficace » et « Économie stable ». La PO y propose entre autres de diminuer les déficits publics, de lutter contre la discrimination des femmes au travail, et de rétablir la TVA à 22 %. En somme, rien de révolutionnaire. Les programmes du Mouvement de Palikot ou de « La Pologne est le plus important » (PJN, qui n’a même pas dépassé le seuil de 5 %) semblent bien plus originaux et concrets. Cependant, comme nous l’avons souligné, la reconduite du gouvernement de Donald Tusk trouve ses origines dans la politique modérée qu’il a menée jusqu’à présent, et surtout dans le clivage avec le PiS, qui incline tout électeur opposé au PiS à voter pour la Plateforme civique.

Sources :
Dudek, Antoni. Historia polityczna Polski 1989–2005, Arcana, Varsovie, 2007.
www.gazeta.pl
www.rp.pl
www.platforma.org

Photo : « Tusk ou Kaczyński. C’est toi qui choisiras le Premier ministre » (affiche de campagne de la Plateforme civique, Łódź, octobre 2011. © Amélie Bonnet)

* Frédéric SCHNEIDER est doctorant à la Warsaw School of Economics