La réforme de l’adoption en Roumanie

Pays attractif pour les couples occidentaux désirant adopter un enfant, la Roumanie a suspendu, en octobre 2001, les adoptions internationales. Alors que les Etats-Unis font pression pour que soit levé ce moratoire, l’Union européenne souhaite une remise à plat de l’ensemble du dispositif de protection de l’enfance.


En octobre 2001, le Premier ministre roumain Adrian Nastase a décidé de suspendre pour un an les adoptions internationales. Cette mesure a été prise à la suite de plusieurs scandales liés à des affaires de prostitution et de trafics d’organes. L’intervention d’Emma Nicholson, rapporteuse sur la Roumanie au Parlement européen, a également joué. La députée européenne est farouchement opposée à l’adoption internationale. « L’adoption internationale est un traumatisme pour l’enfant. J’ai parlé aux enfants roumains, ils m’ont tous dit qu’ils ne voulaient pas quitter leurs pays », a-t-elle expliqué en octobre 2002.

Un système déliquescent hérité de Ceaucescu

L’héritage de la période Ceaucescu est lourd en matière de protection de l’enfance. En 1990, 600 orphelinats accueillaient environ 100 000 enfants. La situation sanitaire catastrophique de ces établissements et l’absence de suivi éducatif laissaient penser que l’Etat avait abandonné ses propres enfants. Ce désengagement a conduit à un relâchement dans les règles de fonctionnement des orphelinats, aggravé par les carences de l’encadrement psycho-éducatif.

De nombreux enfants ont fui ces structures et sont devenus mendiants dans les grandes villes de Roumanie. Les autorités, qui n’étaient pas prêtes à affronter ces situations de fugues et de vagabondage, n’ont pas mis en œuvre les moyens adéquats pour réintégrer ces enfants dans une vie sociale structurante.

L’adoption internationale semblait pouvoir atténuer une partie de ces problèmes. Mais depuis quelque temps, les informations révélant des affaires de corruption se multiplient dans la presse. The Guardian du 31 octobre 2001 a ainsi affirmé que ces douze dernières années, des milliers d’enfants roumains, placés dans des orphelinats créés par l’ancien dictateur communiste Nicolae Ceaucescu, avaient été l’objet de trafics organisés par des bandes criminelles.

« On craint que ce soient jusqu’à 500 victimes dont la trace a été perdue en Europe de l’ouest et aux Etats-Unis et que beaucoup d’enfants aient fini dans la prostitution et dans des filières d’esclavage modernes », a déclaré Lady Nicholson, citée par le journal britannique. Le rapport qu’elle a remis en mai 2001 a mis le feu aux poudres. Il évoque notamment, à propos du système de protection de l’enfance, « des abandons incessants d’enfants, des mauvais traitements et des négligences envers les enfants ainsi que des trafics d’enfants », et indique que « les droits fondamentaux des enfants ont été largement bafoués en Roumanie ces dernières années ». Le rapport dénonce aussi le fait que l’on peut obtenir des enfants roumains pour 50 000 euros via internet. Dans certains cas, les identités des enfants ont été changées ou volées.

Hésitations roumaines et implication occidentale

Les autorités roumaines balancent entre reconnaissance et minimisation du phénomène. « Nous ne voulons pas relancer l’adoption internationale pour ne pas transformer à nouveau les enfants roumains en marchandise sur internet », a déclaré Adrian Nastase en septembre 2002. Auparavant, la direction roumaine de lutte contre le crime organisé avait critiqué point par point l’article du Guardian, qui détaillait l’ampleur des trafics. Le journal évoquait notamment la disparition d’au moins 50 enfants, grands ou handicapés, en Amérique du sud. Dans le Jurnalul national du 3 novembre 2001, la direction roumaine a rétorqué : « la police roumaine n’a aucune connaissance d’enfants qui ont disparu en Amérique du sud, et pas une seule personne n’a été arrêtée en liaison avec un tel cas. En fait, il n’y a aucun élément indiquant qu’un seul enfant parmi ceux adoptés en Europe ou aux Etats-Unis ait disparu ». Les autorités roumaines, qui souhaitent voir leur pays adhérer à l’Union européenne en 2007, se plient aux directives européennes tout en hésitant sur les termes et l’ampleur de la critique à mener sur leur propre défaillance. En témoigne le refus de reconnaître la corruption de certains fonctionnaires de l’Etat impliqués dans les dérives dénoncées.

Dès l’adoption du moratoire, les Etats Unis ont fait pression pour qu’il ne dépasse pas un an, plusieurs milliers de familles américaines étant concernées par cette décision. Ces pressions, exercées au moment où il était question de l’adhésion de la Roumanie à l’OTAN, sont attestées par un document que Le Monde s’est procuré(1). En août 2002, l’ambassadeur des Etats-Unis en Roumanie, Michael Guest, a déclaré à ce sujet : « l’adoption internationale et l’adhésion à l’OTAN sont deux sujets distincts. Mais si la loi sur l’adoption progresse, ce sera mieux pour tout le monde ». Une note interne de la Commission européenne rappelle à l’ordre les Etats-Unis sur cette question, en signalant qu’ils n’ont pas ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant.

Au sein de l’Union européenne, la voix de Lady Nicholson est forte mais ne suscite pas l’unanimité. Le député espagnol José Maria Gil Robles, ancien président du Parlement européen, regrette qu’un millier de familles espagnoles qui ont déjà entamé une procédure en Roumanie attendent toujours une suite. Il conteste l’idée selon laquelle il vaut mieux pour les enfants roumains rester dans les orphelinats que d’être adoptés par des familles étrangères.

Lionel Jospin, alors Premier ministre, a quant à lui émis le voeu que la Roumanie accélère le processus de restructuration de son dispositif de protection de l’enfance. Lors de sa visite à Bucarest, en juillet 2001, il a déclaré qu’il comprenait la volonté des autorités roumaines mais qu’il souhaitait que les démarches entamées par certaines familles françaises puissent se poursuivre.

L’adoption nationale privilégiée

Parallèlement à la mise en place du moratoire, le gouvernement roumain a décidé d’opérer une vaste réforme de son système de protection de l’enfance, au travers de huit projets de lois. Il est en effet impératif, pour les autorités roumaines, de restaurer leur image désastreuse en matière de protection de l’enfance.

Le Premier ministre en était bien conscient lorsqu’il s’en est pris, en octobre 2001, aux médias occidentaux: «Je pense qu’il est important que nous fassions des efforts afin de mettre à jour les images qui existent dans les banques de données des télés étrangères, des rédactions des grands journaux occidentaux. Malheureusement, certaines chaînes télévisées, certains journaux ont continué, dans le cadre de campagnes, à présenter la Roumanie d’aujourd’hui avec des images d’il y a cinq ou dix ans». Selon les nouveaux projets de loi, le rapport entre l’enfant et l’Etat prime sur la relation de filiation avec une famille d’adoption à l’étranger.

Entre juillet 2001 et juillet 2002, le nombre d’enfants placés en institution est passé de 57 000 à 43 000, et 47 institutions publiques ont été fermées ou restructurées. En outre, le placement en familles d’accueil s’est beaucoup développé depuis la réforme de 1997, qui fait de la protection de l’enfance une compétence départementale. Les assistants maternels doivent avoir moins de 35 ans, être en bonne santé, sans activité, disposer d’un logement décent et suivre une formation. De 3.328 personnes formées en janvier 2001, on est passé à 6 473 fin février 2002. 36 815 enfants sont désormais dans des familles d’accueil, contre 30 572 un an auparavant.

Mais ces chiffres doivent être analysés avec précaution, de même que les retombées du nouvel élan politique en faveur de la protection de l’enfance. Alors que l’adoption internationale, qui avait concerné 3 000 enfants en 2000, est suspendue, le nombre d’adoptions nationales n’a cessé de baisser, passant de 2 700 environ en 1994, à 1 710 en 2000, 1 291 en 2001 et 698 entre janvier et juin 2002. Par ailleurs, la réforme s’appuie sur la multiplication des rouages administratifs, ce qui n’accroîtra certainement pas l’efficacité du système, dans un pays où la bureaucratie est déjà très pesante.

Or les défis ne manquent pas. Les autorités roumaines concernées par la protection de l’enfance doivent dès à présent s’atteler à la prise en charge de près de 25 000 jeunes qui vont atteindre l’âge de la majorité dans les prochaines années. Pour eux, la question de l’adoption ne se pose plus : s’y substituent des problèmes d’insertion sociale et de logement. Autre problème récurrent: les enfants des rues, que l’on évalue à environ 2 000. Certains émigrent dans les pays occidentaux, dont la France. Jusqu’à présent, les autorités roumaines n’ont pas su résoudre ce problème, malgré les appels en ce sens de nombreuses ONG.

Quelles perspectives?

Le 15 novembre 2002, le moratoire sur les adoptions internationales a été prolongé au moins jusqu’au 1er février 2003. Les demandes des familles étrangères qui se sont engagées dans une procédure d’adoption avant le début du moratoire seront traitées au cas par cas. Les lois destinées à réformer la protection de l’enfance ont été transmises à la Commission européenne, qui ne s’est pas encore prononcée à leur sujet.

En s’attaquant de manière radicale à la question de l’enfance, la Roumanie souhaite corriger les excès passés et améliorer son image internationale. Mais des années seront encore nécessaires avant que son système de protection de l’enfance ne devienne fiable et que 2.000 enfants ne soient plus placés annuellement en institution, essentiellement pour des questions de pauvreté.

Notes :

(1) Le Monde du 5 octobre 2002.

Vignette : orphelin en Roumanie (photo libre de droits, attribution non requise).
Par Thibaud WILLETTE
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