La Roumanie championne de la francophonie dans l’UE

Au 1er janvier 2007, la Roumanie et la Bulgarie rejoindront l’Union européenne. Avec ces deux Etats membres de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), la nouvelle Union comptera quatorze pays francophones, dont huit PECO. Cette prochaine adhésion renforce en Europe le poids de l’OIF, qui a trouvé en la Roumanie l’un de ses meilleurs avocats.


Au début des années 1990, après la chute des régimes communistes, les pays d’Europe centrale et orientale convoitent les grandes organisations internationales telles que l’OTAN et l’UE. La plupart d’entre eux s’intéresse également à l’OIF. Jusqu’alors, cette organisation « post-coloniale », qui réunit principalement d’anciens pays colonisateurs et d’anciens pays colonisés partageant la langue française, s’est essentiellement élargie vers le Sud. Pour les nouveaux états à qui elle ouvre ses portes, et dont le caractère francophone soulève parfois des interrogations, adhérer à l’OIF est, entre autres, un moyen de consolider leurs relations avec la France, membre fondateur et influent de l’UE, en vue de leur future intégration à la communauté. Mais c’est également une façon de marquer leur attachement à un ensemble de valeurs et de principes jugés fondamentaux par des pays qui viennent de recouvrer leur indépendance : respect de la démocratie, de l’Etat de droit, des identités nationales, coopération et dialogue des cultures. La Francophonie représente aussi une alternative à l’hégémonie américaine et au libéralisme sauvage. Simultanément, l’arrivée de ces candidats à l’intégration européenne est une opportunité unique pour l’OIF de renforcer son influence et ses actions dans l’Union (en particulier dans le domaine linguistique), et d’affirmer davantage son poids politique sur la scène internationale.

Parmi les nouveaux venus d’Europe centrale et orientale dans l’OIF, la Roumanie est un cas à part. Elle est, avec la Bulgarie, la première à se manifester en 1991. Elle obtient dès 1993 le statut d’Etat membre[1]. Les autres PECO, pays slaves principalement et qui n’adhérent qu’à la fin de la décennie et au début des années 2000, ne conservent que le statut d’observateurs. A l’inverse, ces récents adhérents sont les premiers à intégrer l’UE, la Roumanie devant attendre la prochaine vague d’élargissement. Dès son entrée dans l’Organisation, Bucarest se montre particulièrement active dans la promotion des valeurs et des projets francophones. Cette volonté d’engagement est encore plus forte aujourd’hui, dans la perspective de l’entrée du pays dans l’Union.

Une « colonie de cœur »

La francophonie roumaine n’est plus à démontrer: elle est fondée sur plus de deux siècles de partage de culture et de civilisation avec la France, un attachement particulier à la langue française et aux valeurs qu’elle véhicule. A l’époque du totalitarisme, le français était devenu pour la population roumaine un outil de résistance spirituelle. Ce lien fidèle des Roumains envers la France est un lien de cœur, qui a touché les masses populaires autant que l’élite, dont une partie a exercé à Paris.

Aujourd’hui le français occupe encore une place de choix dans le système éducatif et culturel roumain (malgré l’inévitable poussée de l’anglais) : un Roumain sur cinq connaît le français, 88% des jeunes Roumains l’apprennent en première ou en seconde langue étrangère, 14 000 professeurs l’enseignent. Le pays compte une soixantaine de lycées bilingues, une trentaine d’universités avec filière francophone, dix établissements membres et neuf membres associés à l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), cinq Alliances françaises et quatre instituts et centres culturels français. La Francophonie et la France soutiennent également un programme de développement de l’éducation en milieu rural, que la Roumanie conduit depuis 2000.

L’orientation francophone que poursuit le pays depuis des décennies est le point d’appui de son engagement. Bucarest l’a confirmé en septembre dernier en accueillant le XIème Sommet de l’OIF, occasion unique pour la population roumaine de s’ouvrir à la diversité et à la richesse des cultures qui font la Francophonie. De la même façon, la Roumanie soutiendra la vision d’une Union européenne fondée sur des intérêts et des projets communs, mais où chacun conserve son identité et son originalité. Cette implication est autant politique que culturelle. La Roumanie souhaite en particulier encourager les autres PECO à suivre sa voie, et espère ainsi, selon les dires de son Président Traian Basescu, « jouer un rôle de pilier régional dans la structure des pays francophones européens ». La capitale roumaine est déjà le siège de l’antenne régionale de l’OIF et du Bureau de l’AUF pour les pays d’Europe centrale et orientale, position centrale et stratégique pour servir les nouvelles ambitions vers l’est de la Francophonie.

Renforcer l’usage du français

Le déclin constant du français sur le continent européen est un des soucis majeurs de l’Organisation. Malgré le principe d’égalité des langues et l’existence officielle de trois langues de travail dans les institutions –le français, l’allemand et l’anglais–, c’est l’anglais qui, dans la pratique, est le plus communément utilisé. A chaque élargissement, le français perd de son influence. Pour preuve, les négociations pour l’élargissement de 2004, où la quasi totalité des représentants des futurs membres ne s’exprimaient qu’en anglais. Le recul du français se retrouve également à tous les niveaux de l’enseignement européen, notamment parce que l’obligation d’apprendre une ou plusieurs langues étrangères n’est pas systématique dans tous les États.

Face à ce constat, la Francophonie, qui prône le respect de la diversité culturelle par la défense du plurilinguisme, tente d’encourager l’apprentissage du français dans l’éducation et son usage dans les institutions européennes. Elle a lancé dès 2002 un plan pluriannuel d’action pour le français dans les institutions, qui propose des formations linguistiques renforcées aux fonctionnaires et diplomates européens. Ce véritable « plan d’attaque » de l’OIF pour le français concerne aujourd’hui près de 11 000 personnes par an dans 22 pays, mais s’avère encore insuffisant. L’OIF a donc signé avec huit PECO des accords de renforcement des compétences de travail en français pour leur personnel en charge des questions européennes. Parmi les signataires, la Roumanie sert d’exemple, puisque des cours de français pour 1 300 cadres spécialisés y sont financés. Dans le domaine de l’enseignement, l’AUF encourage les partenariats entre universités francophones. Elle peut s’appuyer sur le cas des étudiants et des cadres roumains, dont l’excellent niveau en français leur permet de s’intégrer très facilement dans les entreprises françaises.

Une majorité politique

« La majorité francophone de l’UE ne sera pas seulement une de niveau culturel, mais elle sera aussi politique », a déclaré en septembre 2006 le Ministre roumain des Affaires Etrangères, Mihai-Razvan Ungureanu. La Roumanie, tout comme l’OIF, espère ainsi que son adhésion augmentera l’influence francophone dans les décisions de Bruxelles, notamment sur des sujets jugés préoccupants par l’Organisation, comme la situation libanaise, le processus de paix au Moyen-Orient, le dossier nucléaire iranien ou encore le statut international du Kosovo. Bucarest a l’intention d’encourager la coopération francophone dans l’UE en espérant des effets aussi positifs que ceux obtenus l’année dernière à l’Unesco, où celle-ci a permis l’adoption de la Convention sur la diversité des expressions culturelles. En s’engageant en faveur du dialogue et du respect des cultures, la Roumanie francophone pourrait également jouer un rôle déterminant dans la stabilisation des Balkans et le maintien de la paix dans cette région.

Des bénéfices en terme d’image

Grâce à son activisme au service de la Francophonie, le pays peut également espérer redorer son image, notamment en France, où celle-ci est souvent dégradée. Ainsi est organisé depuis trois ans à Paris le Congrès annuel des cadres roumains, occasion de rencontres entre hommes d’affaires français, étudiants et cadres de Roumanie. La prochaine édition en 2007 s’accompagnera d’un « Salon de recrutement bi-culturel », et un journal intitulé « Interview Francophone », dédié exclusivement aux cadres roumains, vient d’être créé sur Internet[2]. On y découvre des portraits et témoignages de Roumains occupant des postes à responsabilité dans des grands groupes français, ainsi qu’une interview de Maria Niculescu, représentant permanent de l’OIF auprès de l’UE à Bruxelles. Alors que la Roumanie s’apprête à rejoindre l’UE, son élite francophone participe déjà à l’avenir de la construction européenne.

* Amélie BONNET est diplomée de l'EDHEC

Vignette : XIème sommet de la Francophonie à Bucarest, Roumanie, 28-29 septembre 2006 (© OIF)

[1] Il existe trois statuts possibles au sein de la Francophonie : Etat membre (actuellement au nombre de 53), Etat membre associé (2), Observateur (13)
[2] http://web.mac.com/ingrid.vaileanupaun/iWeb/Interview%20Francophone/InterviewFrancophone.html

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