La Roumanie dans l’Union européenne : un bilan mitigé

Neuf ans après son adhésion, la Roumanie est toujours à la recherche d'un rôle dans l’Union européenne (UE). Un des principaux objectifs de sa politique étrangère est la pleine intégration politique, économique et administrative dans l’Union. Même si cette entreprise présente pour le moment un bilan mitigé, le pays semble être sur la bonne voie.


Neuf ans après son adhésion, la Roumanie est toujours à la recherche d'un rôle dans l’UE. Pendant plus d'une décennie, l'adhésion à l'OTAN (en 2004) et à l'UE (en 2007) ont été les principaux objectifs de sa politique étrangère. Aujourd’hui, la priorité est à la pleine intégration dans l’UE, ce qui implique, entre autres, la levée du Mécanisme de coopération et de vérification (MCV), le développement économique et social, l'intégration dans l'espace Schengen, et, dans une perspective à plus long terme, l'intégration dans la zone euro. Pour y parvenir, la Roumanie devra modifier certaines réalités nationales, comme la corruption, et rassurer ses partenaires européens.

La justice et la lutte contre la corruption

Le Mécanisme de coopération et de vérification (MCV) a été mis en place par la Commission européenne pour accompagner la Bulgarie et la Roumanie dans les réformes de leur secteur judiciaire et dans la lutte contre la corruption. Bien que des progrès aient été enregistrés au cours des dernières années, le mécanisme a été maintenu, car la Commission voudrait voir ces progrès consolidés et sécurisés. Le maintien du mécanisme est en outre soutenu par 73 % des Roumains[1]. Chose peu surprenante, étant donné que 90 % des Roumains pensent que la corruption et les lacunes de la justice sont des problèmes importants dans le pays[2].

Toutefois, la réforme du système judiciaire et la lutte contre la corruption sont des domaines où la Roumanie a fait des progrès significatifs. Sous la pression des partenaires européens et américains, sa Direction nationale anti-corruption (DNA) a été renforcée. Elle a commencé à obtenir des condamnations de personnes jusque-là intouchables, notamment des hommes politiques, y compris deux anciens Premiers ministres[3], plusieurs ministres et membres du Parlement, des maires, des juges, des procureurs, etc. Une partie de la classe politique s’est sentie menacée et a tenté d’affaiblir la Direction nationale anti-corruption ou l’Agence nationale pour l’intégrité, qui disposent maintenant d'une certaine légitimité populaire[4], gagnée par les résultats enregistrés. Ces progrès ont été reconnus et le savoir-faire roumain dans ce domaine est actuellement étudié par des pays de la région comme la Moldavie, la Bulgarie et la Slovaquie[5].

L'espace Schengen

Contrairement aux efforts pour endiguer la corruption, l’adhésion à l'espace Schengen a, quant à elle, été un échec et une grande frustration pour la Roumanie. En effet, à plusieurs reprises, des États membres comme la France, l’Allemagne, les Pays-Bas ou la Finlande n’ont pas suivi la Commission européenne, pour laquelle la Bulgarie et la Roumanie avaient rempli les critères techniques, et ont bloqué le processus d’adhésion des deux pays à l’espace Schengen. Ils ont mis en avant le constat, depuis 2007, d'une diminution de la volonté des gouvernements bulgare et roumain à poursuivre les réformes, ainsi qu'un affaiblissement des outils à disposition pour ce faire dans les deux pays. Il faut également y voir la conséquence de l’opposition populaire croissante à l’immigration et de la montée des partis populistes dans certains pays d’Europe. Les populistes en Europe pensent que l'entrée dans l'espace Schengen de la Roumanie et de la Bulgarie conduira à une augmentation importante de l'immigration en provenance de ces deux pays. Ils expriment aussi la crainte de voir l’adhésion de la Bulgarie et la Roumanie favoriser la mise en place d’un nouveau corridor migratoire entre la Grèce et le reste de l'espace Schengen. Même si la crise migratoire qui a explosé en 2015 a montré qu’il était déjà possible pour les migrants de traverser les frontières entre pays européens sans trop de problèmes, indépendamment de leur statut vis-à-vis l'espace Schengen.

Mais, en invoquant la corruption comme un facteur de risque qui pourrait affaiblir les frontières extérieures de l’UE et en reliant la question du Schengen aux progrès réalisés dans le MCV, certains États ont utilisé la question de l’élargissement comme un moyen pour obliger les deux pays à poursuivre les réformes et pour éviter une immigration en provenance de Roumanie et de Bulgarie. Cette opposition a été reçue négativement en Roumanie, comme si le pays n’avait pas été traité équitablement par ses homologues qui avaient changé les règles au cours du jeu.

L’économie, les fonds européens et l’euro

L’adhésion à l'UE a contribué à améliorer le niveau de vie des Roumains. Mais, après huit années (2000-2008) de croissance (6,02 % en moyenne)[6], la crise économique a, dès 2009, durement frappé la Roumanie, avec un PIB en baisse de 6,8 %. De surcroît, la Roumanie a été incapable, pour diverses raisons principalement liées à l'insuffisance des capacités administratives, d’utiliser tous les fonds européens à sa disposition. En effet, dans sa première période de programmation à l'intérieur de l'UE (2007-2013), le pays a réussi à absorber seulement 60 % des 20 milliards d'euros auxquels elle avait droit[7]. Il s’agit d’une occasion manquée car l'économie et les infrastructures de la Roumanie en ont cruellement besoin.

L'objectif de rejoindre la zone euro continue à être poursuivi, à plus long terme. Les Roumains soutiennent en majorité (64 %) une Union économique et monétaire européenne mais ne manifestent pas d'enthousiasme vis-à-vis d'une adoption rapide de la monnaie commune. Ainsi, la crise de l'euro a diminué l'intérêt pour cette monnaie, même si l'intervention militaire russe en Ukraine a permis de développer des arguments plus stratégiques pour rejoindre la zone euro et, partant, le noyau européen.

Les luttes politiques

Pour la Roumanie, le bilan mitigé de la période post-adhésion est aussi imputable à ses propres dirigeants qui sont largement responsables de l'incapacité du pays à peser de tout son poids sur la scène politique européenne.

Le système semi-présidentiel roumain, qui partage le pouvoir exécutif entre un Président élu par la nation et un gouvernement issu de la majorité parlementaire, peut créer des blocages dans le domaine des politiques étrangère et européenne. Pendant les périodes où le Président et le gouvernement ont les mêmes couleurs politiques, le système fonctionne décemment, sans qu’il soit exempt de crises occasionnelles. Mais, en temps de cohabitation, le pouvoir exécutif peut être bloqué. Ce fut le cas à plusieurs reprises au cours de la présidence de dix ans de Traian Băsescu (centre-droit), notamment pendant la cohabitation avec le Premier ministre Victor Ponta, le chef du Parti social-démocrate. Souvent réduite à une réaction aux événements, la politique étrangère du pays a fait les frais de la lutte entre le Palais Cotroceni (siège de la présidence) et le Palais Victoria (siège du gouvernement). Le domaine européen, en particulier, n’a suscité que de rares initiatives. Les ministres successifs des Affaires étrangères (au nombre de treize, dont deux intérimaires, sur la période 2005-2015) n’ont pas pu assurer une politique continue.

Les Roumains sont des pro-européens

Malgré ce bilan mitigé, les Roumains restent le peuple le plus europhile de l'UE, avec 62 % d’entre eux ayant une image positive de l’UE[9], et seulement 10% une image négative. Ils restent aussi plus optimistes (75 %) que pessimistes (20 %) quant à l'avenir de l'UE. Cependant, seulement 65 % d’entre eux, pourcentage légèrement inférieur à la moyenne européenne (67 %), ont le sentiment d’être des citoyens européens, en partie en raison du niveau de leurs revenus, sensiblement inférieur à celui de leurs homologues d'Europe occidentale.

Mais l'espoir demeure. Dans une période où les populistes et nationalistes anti-européens gagnent du terrain dans des nombreux pays, en Roumanie les nationalistes n’ont pas réussi à entrer au Parlement depuis 2008 et, en 2014, les Roumains ont élu comme Président Klaus Iohannis, représentant d'une minorité ethnique (la minorité allemande). Le pays a enregistré, en 2015, l’un des taux de croissance les plus élevés de l'UE, la lutte contre la corruption s'est renforcée et la classe politique est contrainte à changer. Face à des mouvements populaires de protestation, les principaux partis ont été contraints d'accepter, jusqu'au prochaine élections législatives de 2016, un gouvernement technocratique de transition. Cette équipe, dirigée par l’ancien Commissaire européen roumain, a déjà pris un certain nombre de mesures qui semblent aller dans le bon sens.

Notes :
[1] Commission européenne, «The Cooperation And Verification Mechanism For Bulgaria And Romania. Second Wave», rapport, janvier 2015.
[2] Commission européenne, «Flash Eurobarometer 406: Factsheets Romania», rapport, janvier 2015.
[3] Adrian Năstase et Victor Ponta.
[4] Mădălina Mihalache, «INFOGRAFIE Sondaj INSCOP: Preşedinţia creşte spectaculos în încrederea românilor», Adevărul, 10 décembre 2014.
[5] «Experți: Republica Moldova are nevoie de modelul DNA», Independent.md, 9 décembre 2015.
[6] Calcul basé sur les données de la Banque mondiale.
[7] Op.cit. note 1.

Vignette : Dacian Cioloș, Premier ministre roumain, lors de sa visite à Paris en janvier 2016 (source: gov.ro)

* PauL IVAN est Senior Policy Analyst à l'European Policy Centre (EPC), think tank indépendant situé à Bruxelles.

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