La Serbie ne renonce pas au Kosovo

La Serbie peut-elle se séparer du Kosovo sans heurts ? Alors que le Conseil de sécurité des Nations Unies s’apprête à adopter le statut final du Kosovo issu des propositions du plan Ahtisaari, cette province, peuplée à 90% d’Albanais durement meurtrie par la guerre de 1999, devrait être en mesure de proclamer son indépendance de la Serbie « fin mai » 2007, selon le Premier ministre kosovar Agim Ceku.


Depuis 1999, la province est administrée par la Mission d’administration intérimaire des Nations unies au Kosovo (MINUK) renforcée par la KFOR (Force pour le Kosovo) et les institutions provisoires de l’autonomie locale, bien que la souveraineté de la Serbie demeure reconnue par la communauté internationale. Le Conseil de sécurité des Nations Unies doit prochainement se prononcer sur le devenir de la province en se fondant sur les résultats des négociations entre Serbes et Albanais du Kosovo dirigées par le Finlandais Martti Ahtisaari. Le plan Ahtisaari préconise l’indépendance et la souveraineté de la province. Les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France y sont favorables ; la Chine ne s’est pas encore prononcée mais la Russie n’a pas caché son intention d’user de son droit de veto.

La Serbie n’a donc d’autre allié au Conseil de sécurité que la Russie, qui s’inquiète d’une contagion potentielle de la sécession kosovare. Le statut défini dans le plan Ahtisaari qui a été soumis au Conseil de sécurité le 26 mars 2007 se veut pourtant exceptionnel et non transposable à un autre territoire. Mais il créerait un précédent juridique qui pourrait, du point de vue de Moscou, réveiller au sein de la Russie les démons de l’indépendantisme. Par ailleurs, il n’est pas exclu, dans une région encore si instable, de voir se répéter le chaos bosnien. Si le plan Ahtisaari est adopté, la réussite de la constitution d’un état kosovar dépendra, dans les prochains mois, du fonctionnement des institutions kosovares qui devront réussir à s’affranchir de l’administration internationale.

Panique sur Belgrade

L’imminence du vote du Conseil de Sécurité fait souffler un vent de panique sur Belgrade. Le pays traverse une crise politique grave. Les institutions politiques sont paralysées. En dépit des élections parlementaires du 21 janvier dernier, les dirigeants des partis politiques viennent à peine, près de quatre mois plus tard, de parvenir à former un gouvernement et le Parlement, dont aucune majorité claire ne se dégage, peine encore à élire son président ou son vice-président. La coalition entre le Parti démocratique de Serbie (DSS), le parti de l’actuel Premier ministre Vojislav Kostunica, qui vient de réussir à s’imposer de nouveau, et le Parti démocratique (DS) du Président Boris Tadic, demeure très fragile. Elle est pourtant plus encline à écouter Washington, en dépit de l’hostilité du DSS envers le plan Ahtisaari.

C’est justement ce que lui reproche le Parti radical serbe : « Une telle coalition pousserait la Serbie dans les bras de ceux qui veulent lui arracher le Kosovo, c’est-à-dire l’Union européenne et les Etats-Unis. » Dirigé par Tomislav Nikoliv, le Parti radical serbe (SRS) est arrivé en tête de ces élections avec 28.6% des voix, une courte avance sur le DS (22.7%), et il a obtenu 81 sièges au Parlement. Mais il n’a pas obtenu assez de voix pour gouverner seul. Pour éviter que la crise ne s’éternise et que de nouvelles élections soient organisées, le Premier ministre Vojislav Kostunika a fini par se rallier aux radicaux, son parti ayant, par ailleurs, subi un cuisant échec aux législatives.

Des considérations également purement tactiques ont ainsi poussé le DSS à soutenir la candidature de Tomislav Nikoliv à la tête du Parlement. Mais sous la pression de l’Occident, celle-ci a fait long feu. « L’Occident tient à ce que la Serbie se dote d’un gouvernement estampillé ‘démocratique’ en prévision des décisions qu’il devra prendre à propos du Kosovo », écrit Bosko Jaksic, dans le quotidien serbe Politika. Et « si l’Occident ne le sauve pas, ce gouvernement ne tiendra pas longtemps ».

Un pont entre la Serbie et l’Albanie

De passage à Paris le 26 avril 2007, Vuk Draskovic, Ministre serbe des Affaires étrangères en sursis, a tenté d’expliquer aux auditeurs de l’Institut prospective et sécurité de l’Europe et aux diplomates du Quai d’Orsay, le refus de son pays du plan Ahtisaari. « La position des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France est basée sur le principe du droit à l’autodétermination de la Charte des Nations Unies ; c’est ce que les Albanais du Kosovo demandent. Cela semble incompatible avec un autre principe de la Charte de l’ONU, selon lequel les Etats membres des Nations Unies ont aussi le droit de conserver leur intégrité territoriale. Mais on peut aboutir à un compromis. » La Serbie craint en effet une modification de ses frontières suivie d’un ralliement des Albanais du Kosovo à l’Albanie voisine, au détriment de la minorité serbe vivant principalement dans le nord et dans les enclaves de la province. « Cela a-t-il un sens, se demande le ministre serbe des Affaires étrangères, à l’heure où 70% des Serbes sont favorables à une adhésion accélérée de la Serbie à l’UE ? » Pourquoi continuer dans le sens d’une fragmentation de l’espace européen au moment où la tendance est à l’union ? Le Kosovo n’a-t-il pas intérêt à intégrer l’UE en même temps que la Serbie ? Hostile à la partition de la Serbie-et-Monténégro en 2006, Bruxelles se pose également cette question.

Craignant que ne se développe un violent sentiment d’humiliation dans le pays, Belgrade souhaite avoir voix au chapitre, tandis que le sort de son territoire va être fixé en haut lieu. La Serbie propose donc une alternative au plan Ahtisaari. « La Serbie propose de construire un pont qui concilierait l’intégrité territoriale et le droit à l’autodétermination. Nos frontières internationales reconnues avec l’Albanie et la Macédoine ne peuvent être changées, mais nous pouvons laisser les Albanais gouverner de façon autonome par rapport à Belgrade ; d’ailleurs, il n’y a, à l’heure actuelle, ni un soldat, ni un seul policier ni aucun fonctionnaire serbe au Kosovo. La seule chose que nous leur demanderions en retour, c’est de respecter nos frontières d’Etat avec l’Albanie et de respecter les droits des non-Albanais au Kosovo, comme les églises et les monastères des Serbes. Le Kosovo se trouve au cœur de notre histoire nationale ».

Les crimes de Milosevic

Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France, avancent leur crainte de voir se développer un terrorisme albanais et une reprise des violences dans la région en cas de blocage du plan Ahtisaari. Dans le cas contraire, le Ministre serbe des Affaires étrangères ne cache pas le ressentiment de ses concitoyens, nourriraient envers la communauté internationale : « A Washington, Paris et Londres, les dirigeants disent que nous devons payer le prix pour les crimes de Milosevic. Mais les leaders actuels à Belgrade ne l’ont jamais soutenu. Au contraire, c’est nous qui l’avons renversé, envoyé en prison à Belgrade, puis à La Haye. » Le Tribunal Pénal International de La Haye n’a pourtant toujours pas pu interroger les criminels de guerre Mladic, Kazadzic et Pavkovic retenus en Serbie.

La Serbie se demande à l’heure actuelle si une nouvelle résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies qui adopte les principe du plan d’Ahtisaari. et qui reconnaît l’indépendance sous surveillance du Kosovo pourrait être imposée par la force, par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. La diplomatie serbe présente l’indépendance du Kosovo comme une « grande humiliation » pour la Serbie, en dépit du fait qu’une grande partie de la population semble s’être habituée à cette idée selon un certain nombre de sondages. Belgrade se demande ce qui sortira de la visite officielle du président américain Georges W. Bush au président albanais le 10 juin 2007. Les mois à venir risquent de voir se développer un autre sentiment, eurosceptique, cette fois-ci. Or, l’UE n’a pas, pour l’instant, réussi à faire entendre sa voix vis-à-vis de Washington car elle est aussi divisée sur la question que le Conseil de sécurité; d’ailleurs, en dépit du soutien de Bruxelles à l’Etat commun Serbie-et-Monténégro, la Serbie a déjà du se séparer du Monténégro, devenu un état indépendant en 2006.

C’est pourquoi le ministre des Affaires Etrangères Vuk Draskovic n’a pas ménagé sa peine pour être entendu et tenter d’obtenir de Paris « de la compréhension ». Membre du Conseil de Sécurité, la France pourrait être la voix de l’Europe auprès des Nations Unies. La Serbie souhaite que Martti Ahtisaari soit remplacé par un nouveau médiateur et que les négociations entre Serbes et Albanais du Kosovo reprennent, pourparlers qui se sont pourtant soldés par un dialogue de sourds toute au long de l’année 2006. Les Albanais du Kosovo s’y refusent. L’UE n’est-elle pas à même de régler seule les conflits qui se trouvent à ses frontières, et au sein de l’espace européen ? Le statut du Kosovo ravive l’urgence d’une diplomatie européenne volontaire et concordante.

Par Fred HILGEMANN