La Slovénie et l’euro

L’intégration de la Slovénie dans la zone euro le 1er janvier 2007 est une consécration pour cette ancienne république yougoslave d’une superficie de 20.000 km2 et peuplée d’à peine deux millions d’habitants.


Le pays situé entre l’Italie, l’Autriche, la Hongrie et la Croatie, jouit d’un régime politique stable et démocratique tout en affichant un dynamisme économique notable. La Slovénie est souvent présentée comme le «bon élève» de l’élargissement de mai 2004 (le premier des nouveaux entrants à adopter l’euro), a fortiori de l’ancienne Fédération yougoslave (première des anciennes républiques à être membre de l’Union européenne). Pour ce jeune Etat-nation, les pièces de la nouvelle monnaie sont une occasion de présenter aux Européens certains de ses symboles.

Des treize Etats de la zone euro, la Slovénie et la Grèce -autre Etat balkanique- ont opté pour un thème différent sur chacune des faces nationales des huit pièces dont se compose la série. La Slovénie profite de son nouveau statut pour faire connaître des symboles propres à sa nation, organisés autour de trois thèmes: des personnalités marquantes, la nature et un mythe historique[1].

Quatre Européens d’envergure

Les pièces d’un euro et de deux euros représentent respectivement Primoz Trubar (1508-1586), réformateur et fondateur de l’Eglise protestante slovène qui consolida également la langue slovène par ses nombreuses traductions de livres, notamment celle, intégrale, du Nouveau Testament, et France Preseren (1800-1849), le plus célèbre poète du pays, dont une des œuvres, Zdravljica (Le toast) sert de base au texte de l’hymne national. La pièce de dix cents montre le projet (jamais réalisé) de Parlement, de l’architecte Joze Plecnik (1872-1957) qui a remodelé, entre les deux guerres, la capitale, Ljubljana, et a contribué aux architectures de deux autres capitales centre-européennes, à savoir Vienne et Prague. Le Semeur, œuvre de 1905 du peintre impressionniste Ivan Grohar, connu pour ses tableaux de la vie rurale slovène, orne la pièce de cinq cents. Ces quatre artistes ont en commun d’avoir pu rivaliser dans leurs domaines et à leurs époques avec d’autres Européens issus des plus puissants Etats européens. Les Slovènes qui ont accédé à l’indépendance en 1992 pour la première fois de leur histoire, peuvent désormais se targuer de payer dans la même monnaie que les Autrichiens et les Italiens, principaux protagonistes de leur histoire depuis le XIIIème siècle.

L’attachement à la nature

Les euros slovènes accordent aussi une large place à la nature, représentation géopolitique par excellence. Le pays possède une grande diversité de paysages, entre Alpes et Balkans, mer Adriatique et plaine pannonienne. La pièce d’un cent représente une cigogne, un oiseau que l’on rencontre dans la région orientale du Prekmurje. Celle de vingt cents montre deux chevaux Lippizzans des haras de Lipica. Ceux-ci, situés près de la frontière italienne, faisaient jadis partie de l’Empire austro-hongrois, et des Lippizans sont toujours élevés à l’Ecole d’équitation de Vienne. Une raison pour laquelle les autorités autrichiennes ont exprimé leurs réserves à l’égard de ce symbole. La pièce de 50 cents représente le mont Triglav (Trois têtes), le plus haut sommet de Slovénie, autrefois de l’ancienne Yougoslavie, culminant à 2.864 mètres.

Les Lippizans sont appréhendés comme des chevaux joueurs alors que ce sont des animaux de combat que Napoléon Bonaparte a beaucoup utilisés lors de ses campagnes; le Triglav apparaît au milieu de la constellation du Cancer, ce dernier étant le signe astrologique du jour de la proclamation de l’indépendance de la Slovénie (25 juin 1991). Ce sommet, présent aussi sur le drapeau, tend à placer la Slovénie dans un ensemble alpin, donc rattaché à l’Europe occidentale, perçue comme démocratique et développée; à l’inverse, il permet au pays de prendre ses distances vis-à-vis de la région des Balkans et de ses représentations négatives, laissant ainsi croire, comme le précise le slogan touristique, que la Slovénie ne serait que «le côté ensoleillé des Alpes».

L’enjeu historique de la Carinthie

La pierre des ducs de Carinthie orne la pièce de deux cents. A la tête d’un territoire sur lequel ils n’avaient pas de réels pouvoirs, les ducs recevaient traditionnellement la couronne des mains d’un paysan et prêtaient serment de défendre les droits de leurs sujets ( les ducs avaient tenté de résister aux invasions franques entre le milieu du VIIIème siècle et les années 820). Cette coutume a favorisé la diffusion de représentations nationalistes sur un prétendu Etat slovène millénaire, et a légitimé à tort ou à raison l’idée que la Carinthie est une partie du territoire national, alors même que la notion de nation slovène n’a émergé qu’un millénaire plus tard. Cette région, en fait, a été obtenue par l’Autriche après le plébiscite de 1920 et reste une sorte de «terre irrédente slovène» (certains historiens locaux évoquent même abusivement un «Kosovo slovène»).

Les symboles nationaux qui figurent sur les euros se révèlent particulièrement intéressants à un moment où se posent à la Slovénie des défis ethniques d’une importance majeure (place des ressortissants des autres républiques yougoslaves, cohabitation avec la communauté musulmane, discriminations contre les Roms). Les symboles choisis donnent l’image d’un pays résolument tourné vers l’Union européenne alors qu’au même moment ces questions de politique intérieure rappellent l’ambivalence de la position géographique de la Slovénie. Lors du premier semestre 2008, Ljubljana présidera l’Union européenne ; on attend de la Slovénie qu’elle contribue alors à accélérer le rapprochement entre Bruxelles et les Balkans. Il lui reste un an pour se préparer à ce rendez-vous !

[1] Les faces nationales des euros peuvent être consultées sur le site de la Banque de Slovénie (www.bsi.si/).

* Laurent HASSID est docteur en géographie, chercheur associé au Laboratoire Interdisciplinaire de Recherches Européennes, Université Bordeaux 3.