Le Brexit vu de l’Est

Avec la sortie annoncée du Royaume-Uni, l’Union européenne perd l’un de ses membres les plus atlantistes, au grand dam des pays situés à l’est de l’Europe. Cette décision envoie un signal de faiblesse et de division au monde et, en particulier, à la Russie.


S’il a des conséquences directes sur les États baltes ou la Pologne du fait à la fois des relations économiques intenses entretenues par ces pays avec le Royaume-Uni et de la présence sur l’île d’une population importante d’émigrés, le Brexit risque d’avoir une influence plus générale sur la région et sur les relations russo-européennes en exacerbant les tensions déjà nombreuses. Les réactions ont été rapides et ouvertes, tant de la part du Kremlin que du côté occidental. On a pu le constater lors du sommet de l’Otan qui s’est déroulé à Varsovie les 8 et 9 juillet 2016.

Le Brexit va tout d’abord modifier les rapports de force au sein même de l’Union au regard de l’attitude à adopter vis-à-vis de la Russie, sur le dossier des sanctions principalement. La discussion de leur prolongation a d’ailleurs été quasiment éclipsée par le référendum britannique puisqu’elle a eu lieu lors du Conseil européen des 28 et 29 juin, soit moins d’une semaine après le vote. La prolongation des sanctions avait de toute façon été décidée par les ambassadeurs des 28 membres de l’Union européenne dès le 21 juin 2016. Le Royaume-Uni se veut un fervent défenseur des sanctions contre la Russie, aux côtés des États baltes et de la Pologne, en particulier. Le retrait des Britanniques risque donc de renforcer les doutes au sujet de ces restrictions économiques, alors que les principales économies de la zone euro (Allemagne, France, Italie), fortement impactées par l’embargo russe, mettent en question ce régime de sanctions depuis des mois déjà. C’est ainsi qu’en France et en Italie certains parlements régionaux ou nationaux (celui de la Vénétie, le Sénat de la République italienne et l’Assemblée nationale française ont voté à la majorité pour encourager les représentants européens à abandonner les restrictions. Le gouvernement allemand est, lui aussi, divisé sur la question.

Il est vrai que ces trois pays, qui entretiennent des liens économiques intenses avec la Russie, souhaitent instaurer un dialogue politique moins tendu, porteur de meilleurs résultats, comme par exemple à l’occasion des négociations de Minsk sous « format Normandie » (Allemagne, France, Russie, et Ukraine). Les pays d’Europe centrale perdront donc un allié de poids lorsque la Grande-Bretagne cessera de prendre part aux décisions communautaires.

Conséquences directes sur les pays baltes

Certains États vont être directement impactés par le Brexit. C’est le cas de l’Estonie qui doit assurer la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne au premier semestre de 2018, a priori juste après le Royaume-Uni. Quel que soit le choix des Britanniques (assurer cette présidence malgré le Brexit en cours ou trouver un autre pays pour les remplacer), Malte qui les précède et l’Estonie qui leur succède devront probablement se positionner, voire prendre le leadership de manière informelle pendant le second semestre de 2017. Puis, au cours de sa présidence en 2018, l’Estonie aura un rôle important à jouer dans les négociations sur la sortie du Royaume-Uni.

Standard & Poor’s a estimé que la Lituanie serait, à l’est de l’Europe, le pays le plus durement impacté par le Brexit[1]. Cet État entretient en effet des liens commerciaux intenses avec le Royaume-Uni qui est son cinquième client à l’exportation (5,3 % de ses ventes) et son septième fournisseur à l’importation (4 % de ses achats)[2]. Qui plus est, environ 100 000 ressortissants lituaniens sont installés sur l’île.

Vient ensuite la Lettonie qui connaît une situation assez similaire : environ 100 000 expatriés ont choisi le Royaume-Uni, qui est le septième client à l’exportation (pour les deux tiers du bois et des produits dérivés du bois vendus) et a reçu 385,5 millions d’investissement britanniques[3].

Ces trois pays estiment qu’ils ont intérêt à ce que les négociations qui aboutiront au Brexit débouchent sur un accord qui ne soit pas trop sévère pour les Britanniques. L’idéal, de leur point de vue, serait bien entendu que le Royaume-Uni demeure dans la zone de libre-échange, voire qu’il ait son mot à dire sur les questions de sécurité et sur le dossier russe. Mais leur point de vue n’est pas partagé, loin de là, par la majorité des autres membres de l’UE qui ne veulent pas que les États puissent choisir une Europe « à la carte ».

Redistribution des cartes au sein de l’UE

Il est donc évident que, pour certains pays en Europe et notamment à l’Est, une sortie en douceur du Royaume-Uni permettrait de conserver un allié stratégique et un partenaire économique important. Mais, si le Brexit n’est pas particulièrement contraignant pour les Britanniques, il risque d’encourager le camp des eurosceptiques à plaider pour une sortie de leur propre pays. Or ce camp est aussi celui qui entretient les meilleures relations avec le Président Vladimir Poutine, refusant de considérer la Russie comme une menace et préférant la voir comme un partenaire incontournable. Un Brexit douloureux pour la Grande-Bretagne, en revanche, tendrait certes à décourager les eurosceptiques, mais ferait perdre un allié de poids aux pays de l’est de l’Europe.

De plus, cette sortie va être peu propice à l’élargissement de l’Union à de nouveaux membres. Du côté des Balkans, la candidature du Monténégro et de la Serbie est dores et déjà déposée et les négociations en vue d’une intégration ont démarré. L’Albanie et la Macédoine sont également candidates. Mais on imagine mal ces négociations avancer significativement tant que la négociation sur le retrait telle que prévue par l’article 50 du traité sur l’Union européenne (TUE), pour l’instant non évoquée par la Grande-Bretagne, ne sera pas arrivée à son terme[4].

Quant à la situation de l’Ukraine, elle est des plus incertaines. En effet, la mise en œuvre de l’accord d’association avec l’UE pose problème depuis que les Néerlandais s’y sont opposés par référendum, le 6 avril 2016. Une candidature de l’Ukraine à l’adhésion reste donc tout à fait inenvisageable dans un futur proche.

Certains officiels russes ont d’ailleurs réagi positivement à l’annonce du résultat du vote sur le Brexit. Le maire de Moscou, Sergueï Sobianine, a souligné que le principal défenseur des sanctions contre la Russie « venait de quitter l’Union » et le président du Parti de la croissance, Boris Titov, a présenté le Brexit de la manière suivante : « Ce n’est pas l’indépendance de la Grande-Bretagne vis-à-vis de l’Europe mais celle de l’Europe vis-à-vis des États-Unis ». Puis il a promis que l’Union de l’Eurasie se ferait d’ici 10 ans[5].

Face au mouvement destructeur amorcé par l’Union européenne, la réaction de la Russie, qui souhaite diffuser une image de construction, est des plus prévisibles. D’autant que, depuis les débuts de la crise en Ukraine, le projet d’Union eurasiatique porté par Moscou apparaît de plus en plus comme entrant en opposition à la construction communautaire européenne.

L’Otan en contrepoint

Si la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne semble à présent inévitable, il n’est pas question que le pays quitte l’Otan. Or, l’opposition de l’Alliance face à la Russie devient de plus en plus frontale. Le sommet de l’Otan qui s’est déroulé à Varsovie les 8 et 9 juillet 2016 l’atteste.

Le choix de Varsovie pour accueillir le sommet n’est pas anodin. Il s’agit bien sûr d’envoyer un message aux pays de l’est de l’Europe, montrant que l’Otan ne les néglige pas et qu’ils sont bien partie intégrante de l’Alliance. Cela a d’ailleurs été souligné dans le communiqué issu du sommet : « L'Otan a répondu à ce nouvel environnement de sécurité en renforçant sa posture de dissuasion et de défense, y compris par une présence avancée dans la partie orientale de l'Alliance, et en suspendant toute coopération civile et militaire pratique entre l'Otan et la Russie, tout en demeurant ouverte au dialogue avec ce pays. Nous réaffirmons ces décisions. » Car, au-delà de la menace terroriste représentée par Daech, c’est avant tout de l’attitude, qualifiée d’hostile, de la Russie qu’il a été question au cours du sommet. Bien que l’Otan rappelle à chaque fois que l’occasion lui en est donnée sa volonté de construire un partenariat avec la Russie, l’Alliance a également dit son opposition formelle aux récentes actions de la Russie dans la région, particulièrement en Ukraine et dans la zone de la mer baltique[6].

Et si la porte de l’UE semble bien devoir rester fermée pour l’Ukraine, celle de l’Otan paraît moins hermétique. Les pays membres de l’Alliance s’en sont félicités également au sein de la commission Otan-Ukraine : « La coopération entre l'Otan et l'Ukraine depuis 2014, aussi bien sur le plan politique que sur le plan pratique, a atteint un niveau sans précédent. L'Otan continuera d’entretenir un dialogue politique étroit dans le cadre de la Commission Otan Ukraine et d'aider l'Ukraine à mener à bien son ambitieux programme de réformes. […] L'objectif de cet ensemble de mesures est de consolider et de renforcer le soutien que l'Otan apporte à l'Ukraine pour l'aider à […] mieux assurer sa sécurité et à procéder aux réformes nécessaires, y compris dans le secteur de la défense et de la sécurité. »

Mais certains estiment que le risque après ce vote favorable au Brexit est que les États-Unis compensent la perte de l’influence qu’ils exercent au sein de l’UE par une attitude plus agressive au sein de l’Otan. Une nouvelle manière d’influer directement sur les décisions de l’UE, dont la plupart des membres sont également membres de l’OTAN et n’iront jamais à l’encontre des objectifs de leur propre alliance militaire. Si les pays d’Europe centrale se sentent délaissés du fait du départ programmé du Royaume-Uni, ils devraient, donc, pouvoir toujours compter sur l’Otan, qui semble plus que jamais prête à les protéger d’une éventuelle menace russe.

Notes :
[1] «Lithuania to be most affected by Brexit in Eastern Europe», The Baltic Course, 14 juillet 2016.
[2] «Données économiques sur la Lituanie», Atlas Media (date de consultation: 14 juillet 2016).
[3] «Latvian British relations», The Baltic Course, 4 mars 2016.
[4] L’article 50 du traité sur l’Union européenne autorise les États membres à s’en retirer. La négociation sur les conditions du retrait du pays concerné commence après notification auprès du Conseil européen. Au bout de deux ans, si la négociation n’est pas arrivée à son terme, les traités cessent d’être applicables à l’État concerné, sauf si le Conseil européen décide à l’unanimité de prolonger ce délai.
[5] Andrew Roth, «10 Years until a United Eurasia: How Moscow reacted to Brexit», 24 juin 2016, The Washington Post.
[6] Communiqué du sommet de Varsovie, Otan, 9 juillet 2016.

Vignette : Sommet de l'Otan des 8 et 9 juillet 2016 (source : Site de l'Otan).

* Jordi LAFON est étudiant en double master Relations internationales et Union européenne à l’IRIS-Sup et à Paris 8.

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