Le festival de Die

Entretien avec Karel Bartosek (décembre 2003).


Karel BartosekHistorien d'origine tchèque, arrivé en France au début des années 1980 après avoir goûté aux joies de la Normalisation dans son pays a été chargé de recherches à l'IHTP (Institut d'Histoire du Temps Présent) (CNRS) de 1983 à 1996. Il compte parmi les fondateurs de la revue La Nouvelle Alternative qu'il a longtemps dirigée. Parmi ses publications nombreuses, mentionnons, The Prague Uprising 1945 (en tchèque, slovaque, allemand et anglais entre 1960 et 1965), De l'exil à la Résistance, Réfugiés et immigrés d'Europe centrale en France 1933-1945 (codir. Arcantère, 1989), Confession (entretiens avec Bedrich Fucik, Toronto, 1989), Le témoin du procès Husak témoigne (entretiens avec Ladislav Holdos, Prague, 1991), Les aveux des archives Prague-Paris-Prague 1948-1968, Le Seuil, 1996.]. Il revient ici sur le festival de Die, qu'il a, avec d'autres, dont son ami Ton Vink, contribué à valoriser pendant plus de dix ans.

Regard sur l'Est : Pour commencer, pourriez-vous nous raconter la façon dont le festival Est-Ouest a vu le jour ?

Karel Bartosek : C'est dans la région du Vercors que tout débute, avec des courses à pied dans la montagne qui étaient régulièrement organisées, et à partir desquelles les habitants de la ville de Die avaient créé un "Festival du Pied". C'est autour de cet événement qu'à été institué le festival "Un pied à l'Est, un pied à l'Ouest" (futur festival Est-Ouest), dans l'idée de confronter ces deux mondes de l'Est et de l'Ouest.

Quelles étaient les idées sur lesquelles reposait ce festival ?

La conception de ce festival était de choisir un pays d'Europe centrale ou orientale et de le présenter sous divers aspects. C'est un festival qui durait dix jours, deux semaines, parfois trois, et qui présentait la musique, l'art plastique, la littérature. La revue La Nouvelle Alternative était associée à ce projet Cette revue, fondée en 1986, sous-titrée "Revue pour les droits des libertés démocratiques en Europe de l'Est", se voulait une tribune d'expression ouverte aux gens des pays de l'Est, elle publiait fréquemment des textes parvenus en samizdat et que les intellectuels ou les artistes ne pouvaient éditer dans leur propre pays ; suite à la chute du mur de Berlin en 1989, cette revue évolue en revue d'analyse politique et sociale à caractère universitaire.[1]

Quel rôle a joué La Nouvelle Alternative dans le cadre de festival ?

Mon idée était de présenter chaque année dans la revue des "pré-actes". Le premier thème tournait autour de la question "Où en est la gauche en Europe centrale et orientale ?", on précisait aussi le programme qu'on avait défini ensemble. Pendant plus de dix ans, La Nouvelle Alternative a publié à chaque fois les "pré-actes" avant le colloque, qui avait lieu généralement au mois de septembre, pendant le festival.

Comment avez-vous été impliqué dans l'organisation de ce festival ?

On m'a contacté. À l'époque, c'est Ton Vink, qui est un Hollandais qui cultive de la lavande là-bas, et fabrique des huiles, qui, un beau jour, m'a téléphoné. Le film de Menzl "Trains étroitement surveillés" avait été projeté à Die, et ils voulaient en même temps organiser un débat autour de la Tchécoslovaquie. Cela se passait en 1988. Il m'a expliqué ce qu'ils faisaient, et j'ai accepté de participer. Je me suis dit que Die est un village d'environ 4 000 habitants, comme mon bourg natal tchèque. C'est un village situé à 400-500 mètres d'altitude, avec le Vercors au-dessus …

C'est à peu près à la même altitude que mon bourg natal. Je me suis dit, tiens, je vais m'intéresser à ce qui se passe dans ce bourg perdu, pour comparer avec mon bourg natal ; en fait j'ai été motivé par ma curiosité personnelle. À ce propos, on en a encore rit par la suite, parce que c'est un coin où s'étaient réfugiés des protestants - ce que je ne savais pas -, et dans mon coin aussi il y avait des protestants. Je me suis donc déplacé, on a discuté, j'ai répondu aux questions, durant quatre ou cinq heures à propos de la Tchécoslovaquie. Et, une fois sur place, on se dit qu'on pourrait peut-être faire des rencontres, que l'on a appelé, à l'époque, "Rencontre internationale de Die". On s'est mis d'accord sur cette organisation pour le premier colloque, et pour la renouveler chaque année dans le cadre de ce festival.

Vous êtes-vous attaché, personnellement, à défendre une idée plus particulière autour de ce festival ?

Mon principe était de ne pas faire ce que j'appelle des "colloques-spectacles". C'est-à-dire, qu'il arrive assez souvent que des beaux-parleurs se présentent ; c'est déjà arrivé au colloque de Die. Un soir, on était arrivé à la veille du festival, et on dînait, quand un intervenant prévu pour le lendemain déclare tranquillement, qu'il ne sait pas de quoi il va bien pouvoir parler… Il ne s'était pas préparé. Alors que notre principe, le principe que j'avais imposé, était que si on voulait intervenir dans le colloque, il fallait fournir au préalable un papier, pour faire une économie du temps puisque nous, de notre côté, nous proposions de publier le papier. L'intervenant pouvait ensuite faire référence à sa publication, tout en choisissant de développer et de soumettre à discussion deux ou trois questions plus précises. C'était le principe de base que j'ai voulu faire respecter. Pour le premier colloque, cela a fonctionné, et par la suite on publiait, non pas les actes, mais certains débats, en une sorte de procès-verbal. Voilà comment La Nouvelle Alternative et moi, nous nous sommes engagés dans le cadre de ce festival et dans ces colloques.

Et le premier colloque ? …

Je me souviens qu'au premier colloque, j'ai ouvert le colloque en disant que, peut-être, on se retrouverait un jour dans dix ans, pour fêter le dixième anniversaire ou le dixième colloque, et c'est arrivé, cela continue jusqu'à aujourd'hui !

Participez-vous encore aujourd'hui de manière aussi active aux festivals ?

Depuis trois ans, je suis surtout collaborateur, on m'envoie les projets des futurs colloques pour connaître mon avis dessus, donc parfois je leur dis ce que j'en pense et nous en discutons. Mais la fin de la collaboration active de La Nouvelle Alternative avec ce festival s'est amorcée autour d'un projet. Alors qu'en 2000 on décidait d'arrêter l'édition de La Nouvelle Alternative sous sa forme trimestrielle, j'ai eu l'idée d'éditer la revue là-bas, sur place, dans le cadre du festival. Cela s'accompagnait d'une nouvelle formule, annuelle, qui se serait concentrée sur le pays, avec des dossiers pour illustrer le thème du colloque. Nous avons réussi à éditer quelques numéros jusqu'en 2001. Par la suite une personne s'est faite élire par l'association du festival Est- Ouest, et a imposé la suppression de la publication de la revue. Suite à cet événement, Ton Vink a démissionné, et donc, tous les deux, fondateurs non pas de ce Festival du Pied qui existait déjà, mais des colloques et des rencontres qui se déroulaient autour, nous sommes mis à l'écart.

Je pense que l'idée d'éditer les actes des colloques n'était pas mauvaise, puisque sur place déjà on aurait pu vendre une centaine de numéros, ce qui est déjà pas mal pour une revue.

Pouvez-vous nous raconter un souvenir, qu'il soit positif ou négatif, lié au festival … ?

Le mauvais souvenir, c'est la fin de la revue. On avait tout préparé avec Ton Vink pour qu'elle soit imprimée quelque part là-bas, et notre initiative a été sabordée sans qu'on soit consultés, j'étais très ennuyé … On pensait que quelqu'un pourrait imprimer la revue sur place, on avait déjà la maquette...

Et un souvenir plus marquant lié directement au festival?

Ce sont les débats, qui étaient parfois conflictuels, mais c'était agréable, c'était aussi le but recherché. Dès le départ, le principe était d'obtenir un colloque pluraliste, avec différentes tendances, avec des spécialistes affirmés, et pas les "beaux-parleurs" comme je les appelle. Bien sûr que chacun pouvait être engagé politiquement, de manière personnelle, mais on a toujours voulu respecter le pluralisme, et je pense que l'on a réussi.

Je voudrais rappeler que la communauté hollandaise est assez importante, en plus de Ton Vink, il y avait deux ou trois Hollandais qui se sont investis. Il s'agissait de soixante-huitards des Pays-Bas qui sont venus à Die, qui avaient des moutons, fabriquaient des fromages et faisaient les marchés ; c'est-à-dire en fait les intellectuels qui voulaient fuir la ville et se sont installés là-bas, et qui, aujourd'hui encore, participent au festival. C'est pourquoi autour des thèmes choisis, on retrouve les agriculteurs et les ruraux du coin très actifs. Il y a eu des moments fantastiques, puisque Ton Vink, est très porté sur la musique, et il a toujours su trouver des ensembles musicaux sensationnels. Je me souviens qu'ici, à Paris, une année je suis allé écouter le quatuor tchèque de Smetana, on était peut-être soixante ou quatre-vingts spectateurs. La même année à Die, un petit quatuor joue dans la cathédrale de Die, et on se retrouve à plus de cinq cent personnes … j'étais sidéré, c'était formidable!

Les bons souvenirs, j'en ai beaucoup, c'est surtout l'atmosphère, l'accueil, les gens. Puisqu'on est accueilli chez les habitants, c'est très convivial, extraordinaire ... !

Par Mona FOSCOLO

Vignette : Karel Bartosek (Bebelio.com)

 

1. Karel Bartosek est resté le directeur de publication de la revue jusqu'en 1999. La revue existe toujours, mais sous une nouvelle forme et sous-titrée "Politique et société à l'Est". On peut consulter le site de la revue : www. nouvelle-alternative.org comme institution et acteur autour des rencontres et des colloques organisés dans le cadre du festival.