Le VGIK de Moscou : les premiers pas de grands noms du cinéma arabe

De nombreux cinéastes arabes ont fait leurs premiers pas dans un environnement assez éloigné de leur milieu d'origine. Le VGIK de Moscou, école de cinéma soviétique de grand renom, les a accueillis et leur a donné la maîtrise de cet art.


Le monde arabe du début du XXe siècle était confronté à un problème de formation académique aux différents métiers du cinéma. Les études de cinéma, si elles ne se faisaient pas de manière autodidacte, restaient néanmoins entreprises individuellement. La création d'écoles de cinéma privées, en Egypte tout d'abord, s'est soldée par des échecs successifs. Ainsi, dans les années trente, les besoins d'enseignement devenaient préoccupants; l'expérience acquise en travaillant sur certaines réalisations cinématographiques au contact de techniciens étrangers ne permettait pas de résoudre ce problème. C'est alors que s'est mise en place une politique de formation à l'étranger de jeunes étudiants des pays arabes désirant se consacrer à cet art nouveau.

C'est dans les meilleures écoles de cinéma de l'époque, celles de Paris, Berlin, Bruxelles, Lodz, Kiev et Moscou, que les boursiers étaient envoyés. Cette politique a été poursuivie activement jusqu'en 1957, date de la création par l'Etat égyptien de l'Institut Supérieur du Cinéma du Caire. Les jeunes cinéastes arabes se tournèrent alors vers cette école, où ils pouvaient s'exprimer dans leur langue et apporter à leur création la technique d'une culture qui leur est propre.

Attrait idéologique pour l'Est

Le choix des écoles de cinéma des pays de l'Est (Lodz en Pologne, le VGIK de Moscou, et Kiev) a bien souvent été déterminé par les orientations politiques et idéologiques des régimes arabes. Evoquer les liens entre les cinéastes arabes et leurs écoles de cinéma permet non seulement de découvrir les premiers pas de cinéastes aujourd'hui reconnus (le libanais Samir Habchi, les marocains Mostapha Derkaoui et Abdelkader Lagtaa, le syrien Oussama Mohamed entre autres), mais aussi de donner un nouvel éclairage sur l'héritage de l'enseignement d'une école donnée dans leur œuvre. C'est ainsi que l'on remarque l'imposante signature du VGIK de Moscou à travers des métaphores et une forme poétique de mise en scène, incluant la rêverie à la réalité quotidienne. Les films syriens "Les rêves de la ville" de Mohamed Malas, "Chroniques de l'année prochaine" de Samir Zikra, "Les nuits du chacal" de Abdellatif Abdel Hamid, et le film libanais "Tourbillon" de Samir Habchi, ainsi que les lumières du directeur de photo syrien Hanna Ward témoignent de cette griffe russe. Clin d'œil de cette collaboration, les films de fin d'études ont souvent pour décor les paysages soviétiques (dont certains, nous le verrons, ressemblent énormément à ceux du Moyen-Orient), et leur bande sonore est en langue russe.

On remarque constamment dans ces films la même louange du dirigeant du Parti, les mêmes fêtes patriotiques ouvrières, les mêmes slogans et panneaux dans les banlieues bétonnées et sans âme, particulièrement présents dans le film du réalisateur syrien Oussama Mohamed "Etoiles du Jour". A part le climat, rien ou presque ne distingue le Damas des années 70 du Moscou de la même époque. La vie sociale est repliée sur le village et le cercle familial, le rythme du travail dans les champs et le cours de la vie, les traditions, les fêtes et les mariages. Au-delà de la technique du réalisateur, acquise en URSS, les scènes de vie syriennes se confondent avec celles que l'on aperçoit dans les films d'Asie Centrale ou de Géorgie: sur fond de paysages montagneux, le travail agricole, l'organisation familiale et la hiérarchie à l'intérieur des clans sont les points centraux de ces films. Quant aux thèmes, ils recèlent nombre d'allusions idéologiques et patriotiques des années 70-80. Ainsi, dans le film de fin d'études "Sens dessus dessous" du réalisateur syrien Abdellatif Abdel Hamid, dont l'action se passe dans un village du Sud de la Russie, les jeunes acteurs, poursuivis par la dépression et l'échec à cause des réalités politiques et sociales écrasantes, clament leur désillusion, et montrent leur attrait pour l'Occident malgré les avis contraires de leur entourage.

Emotions et nostalgie

Autre film marquant, "Le Jeu", film de fin d'études du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, montre avec émotion les relations intenses entre un petit garçon et son père qui part à la guerre. Le désert infini sert de fond au message pacifiste du réalisateur, admirablement transmis par les acteurs soviétiques ; on remarque l'étrange ressemblance du décor et de l'histoire avec le vieux film lituanien "Le petit prince" d'après l'œuvre de Saint-Exupéry, également tourné dans les studios du VGIK à Moscou.

C'est ce réalisateur mauritanien qui semble avoir gardé le plus de liens émotionnels avec ses années d'études à Moscou. Il a retracé en 1997 son voyage en Afrique à la recherche d'un compagnon de classe dont il n'avait plus de nouvelles depuis son retour en Afrique. Etrange voyage où alternent sans cesse les paysages enneigés de Russie et les villes et villages angolais, "Rostov-Luanda" est certainement le documentaire le plus touchant sur ce sujet, marquant les liens très forts que le réalisateur a conservé de ses années moscovites.

Un héritage incontestable

Regrettable événement, le Studio des étudiants du VGIK a brûlé avec les plateaux de tournage, les salles de montage et le dépôt de films, et un tiers seulement des films étudiants a pu être sauvé. Après ces pertes, quelles sont les traces de cet apprentissage cinématographique dans les œuvres de réalisateurs devenus, grâce à la technique acquise en URSS, de grands du cinéma mondial ? Personne ne saurait nier aujourd'hui l'extrême rigueur ainsi que la maîtrise d'une technique impeccable, qui laissent la magie de l'œuvre éblouir le spectateur.

Par Sophie SCHMIDT