L’élection de Zoran Jankovic à la mairie de Ljubljana

Depuis le 22 octobre 2006, Ljubljana, capitale slovène avec ses 300.000 habitants, a un nouveau maire: l’ancien directeur de Mercator, la principale chaîne d’hypermarchés de la distribution slovène, Zoran Jankovic. Qui est Zoran Jankovic? Comment est-il arrivé en politique? Quels sont les enjeux de son élection, pour Ljubljana et pour la Slovénie?


Zoran Jankovic en 2007Pas moins de seize candidats briguaient la mairie, mais Z.Jankovic, élu dès le premier tour avec 67% des voix, a également obtenu la majorité absolue au Conseil municipal avec 23 sièges sur 45. Il succède ainsi à Danica Simsic (Sociaux-démocrates, SD, gauche), ancienne présentatrice à la télévision nationale qui a recueilli à peine plus de 6% des suffrages.

Une personnalité atypique, très populaire

Z.Jankovic (54 ans) s’est fait connaître auprès des Slovènes dans les années 1990, lorsqu’il dirigeait Electa, une entreprise de construction. Il fit notamment construire l’hôtel-casino Berlin à Nova Gorica située à la frontière sloveno-italienne. Mais c’est à la tête de Mercator que le nouveau maire de la capitale est devenu réellement populaire.

En 1997, la chaîne de supermarché fondée en 1949 allait au plus mal, principalement parce que son mode de fonctionnement n’était pas adapté aux exigences de l’économie de marché. Pour réformer l’entreprise, le gouvernement de l’époque, dirigé par Janez Drnovsek, devait choisir entre deux candidats: l’un, Zivko Pregl, ancien vice-Premier ministre yougoslave et l’autre, Z.Jankovic, qui, sans être favori au départ, réussit à convaincre avec un programme très ambitieux. Pour les autorités de l’époque, Mercator était en crise mais possédait un très fort potentiel économique, étant présent dans presque tous les villages et villes du pays . S’inspirant de la démarche de Wal-Mart aux Etats-Unis, Z.Jankovic créa la marque du magasin (les produits Mercator) et développa son réseau à l’intérieur mais aussi au-delà des frontières de la Slovénie, en Croatie et en Bosnie-Herzégovine, voire en Serbie en 2002. Le nouveau dirigeant modifia la qualité de l’accueil en demandant notamment aux hôtesses de sourire. Il innova en important l’idée d’hypermarché, avec la construction d’un grand Mercator dans le quartier de Siska à Ljubljana, et en modernisant les anciens supermarchés. En quelques années, la chaîne changea ainsi d’image, passant de supermarchés vieillots à des magasins occidentalisés. Pour les Slovènes, Mercator montre que leur pays peut rivaliser avec les enseignes étrangères supposées beaucoup plus puissantes, comme Spar ou Leclerc. Pourtant à Mercator, les prix affichés ne sont pas moins chers qu’ailleurs, mais les produits sont souvent slovènes: alors que les enseignes étrangères importent, Z.Jankovic sollicite les producteurs du pays. De ce fait, la réussite de Mercator apparaît comme un succès national, dont l’acteur principal est Z.Jankovic. Les affaires du nouveau maire de Ljubljana se sont révélées juteuses. Côté en bourse, Mercator a vu son action augmenter à mesure que l’entreprise prenait son essor.

Parallèlement à ces fonctions de chef d’entreprise, Z.Jankovic s’est aussi donné une image de vainqueur par le sport. Il finança le club de handball de Krim Electa (noms provenant respectivement d’une petite colline proche de Ljubljana et de sa société) qui devint champion d’Europe en 2001 et 2003. Les bons résultats de l’équipe rejaillirent sur l’équipe nationale slovène et, en 2002, Z.Jankovic prit la tête de la Fédération nationale de handball. Sa popularité devint encore plus importante quand il finança des activités sportives, notamment dans les écoles et des associations de handicapés.

En 2005, quelques mois après les élections législatives, le gouvernement de droite de Janez Jansa (SDS, Parti démocrate) a démis Z.Jankovic de ses fonctions et l’a remplacé, sans se justifier par des raisons économiques ou par une quelconque faute. La démarche était avant tout politique et devait être le début de «la révolution des cadres» qui touche la Slovénie depuis. Le cas Jankovic est le symbole de ces déclassements politiques qui concernent des centaines de personnes et tous les secteurs (entreprises, médias principalement).

L’arrivée de Jankovic sur la scène politique

L’engagement politique du nouveau maire de Ljubljana n’a pas commencé en 2006 avec les élections municipales. L’ancien Président de la République et «père de l’indépendance», Milan Kucan, a fondé le Forum 21 au début de 2003: il s’agit d’un regroupement de personnalités diverses. Z.Jankovic fit partie du Forum 21, car M.Kucan l’avait beaucoup soutenu pour prendre le contrôle de Mercator. Les deux hommes se sont ensuite liés d’amitié. Face à Z.Jankovic, l’entrepreneur flamboyant qui réussit tout, M.Kucan apparaît comme une caution morale. Les Slovènes peuvent douter des intentions du premier mais pas de celles du second qui jouit d’un grand prestige moral. L’ancien directeur de Mercator est vu comme un homme de la gauche slovène, non pas que ses projets aient une connotation sociale poussée, mais parce qu’il est perçu comme un opposant au gouvernement de J.Jansa et comme un ami de M.Kucan.

Lors de la campagne électorale pour obtenir le poste de maire, Z.Jankovic a appliqué certaines recettes de son succès dans le monde des entreprises. Il est toujours souriant, d’humeur égale, ne critique pas, n’attaque pas ses adversaires et s’attache à avoir un discours constructif. Mais surtout, il se positionne comme un homme qui propose des projets, en présentant pas moins de 22 aux Ljubljanais. Cette notion de contrat a sans doute contribué au succès de Z.Jankovic, les électeurs estimant alors qu’il pouvait bien accomplir à la mairie ce qu’il avait réalisé à Mercator. Les projets ont été mis en valeur avec une équipe de campagne aux noms connus et venant d’horizons fort différents, constituant ainsi une sorte de Dream Team aux yeux de la population: Grégor Tomc, professeur d’université, intellectuel de gauche chargé des questions culturelles; Dusan Mramor, ancien ministre LDS des Finances (centre-gauche); les anciennes gloires du sport slovène Srecko Katanec (football) et Peter Vilfan (basket), attirant les citoyens qui s’intéressent moins à la politique.

Mais le «vote Jankovic» n’a pas été qu’un plébiscite, il a aussi été l’occasion de sanctionner les partis de droite au pouvoir depuis deux ans. Traditionnellement, Ljubljana est une ville de gauche ou de centre-gauche. Beaucoup de ressortissants des autres républiques yougoslaves y vivent (on estime que près d’un habitant sur quatre est dans ce cas) et peu d’entre eux accordent leur suffrage aux partis de droite qui les stigmatisent.

Sur le plan des idées, Z.Jankovic propose de construire des garages pour résoudre en partie les problèmes de stationnement et 3.000 appartements pour enrayer la pénurie de logements; il envisage d’enterrer une ligne de chemin de fer entre Ljubljana et Domzale, ce qu’a également proposé son principal concurrent, France Arhar (SDS, Parti démocrate). Il prévoit de construire pour 2008 une mosquée, projet controversé de la ville depuis la visite du colonel Kadhafi à Tito au début des années 1970. Par ailleurs, un centre culturel pour les jeunes en 2007, un stade de 20.000 places en 2008, un centre culturel pour les personnes âgées en 2009 et une grande gare ferroviaire et routière en 2010 sont également sur son agenda.

L’élection de Jankovic, une nouvelle donne politique pour la Slovénie

Le vote massif en faveur du nouveau maire de la capitale slovène a constitué un tournant dans la vie politique nationale. Concernant les suffrages, Z.Jankovic a réussi à séduire en déployant une très grande énergie, ce qui contraste avec l’habituelle austérité des débats politiques nationaux. Contrairement aux autres formations politiques locales ou même nationales, il a installé son quartier de campagne dans le centre-ville au bord de la rivière Ljubljanica, à deux pas du populaire café Macek, de sorte qu’aucun Ljubljanais ne pouvait l’ignorer. L’intérieur du bâtiment très spacieux est resté ouvert après l’élection, et Z.Jankovic, s’y rend souvent. Comme à l’époque de Mercator, il est très visible sur son lieu de travail, ce qui renforce le sentiment de proximité avec la population, en rupture avec l’image que les Slovènes ont traditionnellement de leurs dirigeants.

Ensuite, ce succès redessine les perspectives des partis de l’opposition pour les législatives de l’automne 2008. Face à un LDS inexistant et au SD parfois complaisant à l’égard des partis au pouvoir, les électeurs de gauche n’avaient pas d’espoir de victoire. On pourrait dès lors assister à un grand rassemblement des forces du SD, du LDS et du Forum 21, mobilisées par Z.Jankovic et avec comme chef d’orchestre Milan Kucan.

Enfin, l’élection de Z.Jankovic a eu lieu dans la capitale slovène, mais aurait-elle été possible ailleurs en Slovénie? Le fait que deux-tiers des électeurs aient choisi un candidat annonçant explicitement la construction d’une mosquée dans leur ville est un événement exceptionnel pour la Slovénie actuelle. De même, Z.Jankovic, né en Serbie, a toujours expliqué qu’il n’avait pas de nationalité (son père est Serbe, sa mère Slovène) et qu’il est athée. Or, il est difficile d’être populaire dans les campagnes slovènes sans mettre en avant ses origines slovènes et son appartenance à l’Eglise catholique. F.Arhar, son rival, a d’ailleurs fait remarquer à la fin de la campagne qu’il y en avait un parmi les candidats qui n’était pas catholique !

 

* Laurent HASSID est docteur en géopolitique, chercheur associé au Laboratoire Interdisciplinaire de Recherches Européennes, Université Bordeaux 3.

 

Sources : entretiens avec Silvester Surla (Mag), Jani Sever (ancien rédacteur en chef de Mladina) et une journaliste slovène qui souhaite garder l’anonymat.