Les Lituaniens parmi les plus gros buveurs d’Europe

La consommation d’alcool en Lituanie est en constante augmentation ces dernières années. Avec plus de 11 litres d’alcool pur consommé par habitant en 2006, les Lituaniens font partie des plus gros buveurs d’Europe. Une situation qui commence à préoccuper sérieusement les autorités. Qui doivent néanmoins compter avec les puissants brasseurs et distillateurs…


Le constat dressé par l’Office national des statistiques a de quoi faire frémir: en 2007, la Lituanie comptait 3,5 millions d’habitants et 1.741 personnes sont décédées de maladies liées à l’alcoolisme. Les hommes sont les premières victimes de l’alcool qui est aussi la cause première de l’importante mortalité routière en Lituanie (un accident sur sept est provoqué par une personne ivre). L’alcool n’épargne pas non plus le monde du travail. Un état avancé d’ébriété est responsable d’un tiers des accidents du travail. Dans le secteur de la construction, la proportion monte même à un accident sur deux. Comme l’explique Mindaugas Gedvilas, le directeur de l’une des grandes minoteries du pays, «dès que le vigile a un doute, il demande à l’employé de souffler dans le ballon. C’est une vérification humiliante pour beaucoup mais nécessaire; l’alcoolisme au travail est un véritable fléau. C’est en partie lié au taux de chômage très bas en Lituanie. Nous avons besoin de main d’œuvre en raison de la forte émigration, et nous ne choisissons plus, nous prenons ce que nous trouvons».

La liste peut encore s’allonger. La consommation d’alcool pur par habitant augmente lentement, mais sûrement depuis de longues années. Si, en 2006, elle a été de plus de 11 litres par habitant, dix ans auparavant elle était seulement de 9,5. Les psychoses dues à l’alcool ont, elles, doublé en l’espace de cinq ans. C’est donc, chaque année, une petite ville lituanienne (environ 3.000 personnes) qui disparaît à cause de l’alcool!

Débat public

Ces dernières années, les débats dans l’espace public lituanien autour de l’alcool, de la surconsommation parmi les jeunes gens ou encore de la publicité ont retenti de manière souvent passionnée et parfois contradictoire.

Faut-il faire passer à 21 ans l’âge légal pour acheter une bière ou descendre un Bloody Mary? Doit-on revenir à l’époque de la fin des années 1990 lorsque les rayons alcool des supermarchés n’ouvraient qu’à partir de 11h00 du matin? Ne faut-il pas interdire aux stations essence de vendre de la bière, du whiskey ou de la vodka? Autant de pistes qui sont régulièrement lancées tant par des ONG que le comité parlementaire pour les questions de santé. Des amendements à la loi sur le contrôle, déjà changée 24 fois depuis 1995, devraient être présentés sous peu. Parmi les propositions, interdire la vente d’alcool entre 22h00 et 9h00 ou et les cadeaux offerts lors de l’achat de bouteilles.

Le Parlement lituanien a déclaré à grand renfort d’annonces 2008 année de l’abstinence. Toutefois, certains critiquent le fait que seulement 500.000 litas (145.000 euros) aient été réservés sur le budget pour différents programmes. Les moyens préconisés pour réduire la consommation d’alcool se sont centrés sur des campagnes d’information, notamment avec pour support des cahiers de coloriage, ce qui a provoqué l’ironie de nombreux médias, comme le site d’information en ligne Delfi.

«Nous aussi, nous sommes contre une consommation immodérée d’alcool», explique Laurynas Vilimas, président de l’Association des producteurs de spiritueux. «Mais si nous augmentons nos prix pour la combattre, la production illégale sera à nouveau en plein essor». Et de se demander pourquoi le gouvernement n’a jamais répondu favorablement aux propositions de l’Association en vue de financer une partie des campagnes contre la consommation immodérée.

L’interdiction, depuis le 22 avril 2008, de la publicité pour toutes les boissons alcoolisées, bières et boissons fortes, dans les médias de 6h00 à 23h00 sauf à l’occasion de la retransmission de programmes culturels ou sportifs internationaux a été accompagnée de nombreux ratés de la part des parlementaires. Dans quelques années, la publicité pour l’alcool devrait être purement et simplement interdite.

«La stratégie nationale de contrôle de l’alcool établie en 1998 et qui courait jusqu’en 2009 est actuellement en cours de révision», explique Audrius Sceponavicius, directeur du département de la Santé publique au ministère lituanien de la Santé. Elle avait pour but de réduire de 20% la consommation d’alcool. Les objectifs n’ont pas été atteints puisque la consommation a même augmenté. Se basant notamment sur les recommandations de l’OMC, une nouvelle stratégie courant jusqu’en 2012 est en cours d’élaboration et devrait être approuvée cette année. «Les jeunes vont être la nouvelle priorité, mais nous allons aussi prévenir la consommation d’alcool sur les lieux de travail et au volant. 1,5 million de litas (435.000 euros) par an seront nécessaires pour sa mise en œuvre», poursuit Audrius Sceponavicius. Le coût est, pour le ministère, un facteur essentiel dans la lutte contre l’alcoolisme. Les prix de la bière et de la vodka devront donc être révisés.

Un peu d’histoire

En Lituanie, la lutte contre l’alcoolisme est historique. Le renouveau national à la fin du 19e siècle s’est en partie appuyé sur ces sociétés dites de tempérance initiées par l’évêque Valancius pour combattre la surconsommation de vodka dans les campagnes lituaniennes pendant la période tsariste. Elles apparaissent dès 1858. En moins d’une année, grâce au travail intensif des prêtres, la Samogitie, région du nord-ouest de la Lituanie, est devenue totalement sobre. Les très nombreuses sociétés de tempérance ont maillé très serré le territoire lituanien. Quand les écrits lituaniens en alphabet latin seront interdits, entre 1864 et 1904 dans la Lituanie tsariste, les knygnesiai, porteurs clandestins de livres imprimés en alphabet latin officiant en Prusse orientale, s’appuieront sur ces sociétés de tempérance pour les distribuer. Devenues des lieux de résistance, elles constitueront le terreau du renouveau national qui mènera à l’indépendance en 1918.

En 1988, au moment de la formation de Sajudis, l’abstinence était également une des idées soulevées par le mouvement lituanien pour l’indépendance. A l’époque soviétique, l’alcool était extrêmement bon marché, sans compter le nombre de personnes qui distillaient illégalement leur propre alcool. Lever son verre était la composante obligatoire de toute rencontre, une habitude adoptée par les Lituaniens pendant la période soviétique.

Aujourd’hui encore, l’alcool reste très abordable en Lituanie. Une bouteille d’un litre de vodka de fabrication lituanienne coûte tout juste une trentaine de litas (moins de 10 euros). Ces dix dernières années, les prix de l’alimentation ont quasiment doublé alors que les boissons alcoolisées ont tout juste pris quelques centimes. Aujourd’hui, c’est la bière lituanienne qui est la boisson plus populaire. D’ailleurs, la publicité pour la bière Svyturys vante sa production en disant, que c’est «la meilleure chose que les Lituaniens possèdent». L’un des clips à la télévision présentait même récemment un homme qui renonçait à l’émigration pour une caisse de bière Svyturys. Pour Dziuljeta Armoniene, brasseur en chef de Svyturys, la grande brasserie lituanienne de la côte baltique rachetée en 1999 par Carlsberg, «avec le retour à l’indépendance, nous sommes revenus dans l’aire culturelle centre-européenne à laquelle nous appartenions autrefois. Cela veut dire donc consommer de la bière et non plus de la vodka, comme le veut la tradition slave».

Le lobby des fabricants 

Deux raisons se distinguent lorsque l’on cherche des explications à cette consommation immodérée d’alcool en Lituanie. «Il s’agit tout d’abord de la facilité avec laquelle il est possible de trouver de l’alcool, en supermarchés, mais aussi dans la multitude de kiosques présents dans tous le pays», explique Aurelijus Veryga, président de l’Association pour l’abstinence. Il y en aurait environ 800 à Vilnius, selon le quotidien économique Verslo Zinios. Même si la vente est interdite aux moins de 18 ans, les vendeurs sont en général peu regardants sur la date de naissance inscrite sur la carte d’identité.

Secret commercial, d’après différentes sources, la publicité pour les boissons alcoolisées en Lituanie serait un marché d’environ 10 millions de litas (3 millions d’euros). La politique marketing des fabricants d’alcool est très agressive. Les plus grandes brasseries lituaniennes financent les grandes équipes nationales de basket-ball, le sport roi et fédérateur en Lituanie. L’alcool a donc une image plus que positive. Certains faits illustrent la puissance de ce secteur économique, qui est un gros contributeur en termes d’impôts versés au budget lituanien: l’Etat reçoit chaque année 880 millions de litas d’accises (255 millions d’euros). Le groupe MG Baltic, par exemple, contrôle l’une des grandes chaînes de télévision privée, LNK, et Stumbras, la très ancienne fabrique de vodka lituanienne.

L’interdiction de la publicité à la télévision pour tous les alcools entre 6h00 et 23h00 a donc été un test important pour les ONG qui soutenaient cet amendement. Pour que leurs voix se fassent encore plus entendre, elles se sont d’ailleurs regroupées en 2006 en une Coalition nationale pour le contrôle du tabac et de l’alcool.

Les jeunes seront la prochaine cible des campagnes contre l’alcoolisme. Mais beaucoup reste à faire. Le centre pour les maladies de dépendance de Kaunas, le seul établissement qui permette aux jeunes gens une thérapie longue (14 mois) et gratuite pour consommation de drogues ou d’alcool, vient tout juste d’ouvrir ses portes. Mais les communautés locales se sont fortement opposées à la création d’un tel centre, craignant pour la tranquillité de leurs petites villes avec l’arrivée de jeunes gens dépendants.

* Marielle VITUREAU est correspondante RFI dans les Etats baltes
Photo : © Abel Polese