Les nouveaux Etat membres s’engagent sur le réchauffement climatique

Le Plan d’action pour la protection du climat et la politique énergétique adopté à l’issue du Conseil européen des 8-9 mars 2007 fixe aux 27 États de l’Union européenne des objectifs ambitieux. Peut-être trop, selon certains des nouveaux États membres qui craignent de peiner à obtenir les résultats escomptés et, surtout, de voir une autre de leurs priorités mise en cause par ces engagements: la lutte contre le réchauffement climatique risque de ralentir une croissance économique dédiée au rattrapage du niveau moyen de développement de l’UE.


Réduction de 20 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2020, passage à 20% de la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique totale de l’UE-27, augmentation de l’efficacité énergétique de 20 % et utilisation de 10% de biocarburants dans la totalité des carburants utilisés… Les décisions prises à Bruxelles à l’issue du Conseil européen de printemps sont appréciées par les nouveaux États membres comme positives mais exigeantes. Le président roumain, Traian Basescu, s’est félicité du compromis: l’UE prouve qu’elle est un acteur d’importance, désormais porte-drapeau de la lutte contre le réchauffement climatique et, décision essentielle aux yeux du Président, elle vient de faire le premier pas en direction de la création d’un marché européen de l’énergie. «Les États membres de l’Union européenne ne seront plus désormais vingt-sept marchés séparés, mais l’Union va devenir un marché unique!», s’est-il félicité. Se voulant rassurant, il a estimé que les objectifs fixés seraient facilement atteints par son pays et que tous les documents adoptés à Bruxelles feraient l’objet de débats publics, «parce que les citoyens roumains doivent en être tenus informés».

Si tous les participants au Conseil se sont dits satisfaits du résultat, la plupart, et parmi eux nombre de nouveaux adhérents, ont reconnu l’ampleur de la tâche qui reste à accomplir. Ils sont parfaitement conscients de la contradiction qui prévaut désormais, entre exigences imposées par la situation écologique de la planète, volonté de l’UE de se positionner en pointe sur la question du réchauffement climatique et recherche d’une croissance économique justifiée par l’écart de développement entre anciens et nouveaux membres de l’UE. C’est le Premier ministre tchèque, Mirek Topolanek, qui a lancé le premier pavé dans la mare, précisant: «C’est une bonne chose que d’avoir des objectifs ambitieux, mais encore faut-il qu’ils soient réalisables!»

Modérer les ardeurs allemandes

Si l’Allemagne (qui détient pour six mois la présidence tournante de l’UE) et la Commission se positionnaient d’emblée pour l’adoption d’un plan jusqu’au-boutiste, la France, la Pologne et la plupart des autres nouveaux Etats membres se sont retrouvés sur des positions plus modérées au regard des contraintes imposées. Ces pays ont mis en avant le fait que la nouvelle stratégie de lutte contre le réchauffement climatique est un défi non seulement pour l’industrie énergétique mais aussi pour l’agriculture et l’industrie. Ainsi, le président de la confédération tchèque des industriels, Jaroslav Mill, a douté de la faisabilité de cet ambitieux plan et craint qu’il n’ait un impact sérieux sur les prix de l’énergie en République tchèque et, donc, un effet fatal sur certaines branches industrielles. Il a notamment évoqué le danger de délocalisation industrielle. Et précisé que son pays, peu tourné encore vers les énergies renouvelables, risque de ne pas être en mesure de remplir tous les engagements, sauf à mettre en péril sa fragile croissance économique.

Et c’est bien ce qu’avaient fait remarquer, dès leur arrivée à Bruxelles, la plupart des représentants de la «nouvelle Europe»: leur récente arrivée dans le cercle des pays de l’UE aurait pu justifier l’octroi d’un délai supplémentaire pour suivre les directives qui allaient être adoptées. Ainsi, la représentante du président polonais, Elzbieta Jakubiak, remarquait d’emblée qu’il n’est pas dans l’intérêt de son pays de soutenir des solutions qui pourraient limiter sa croissance économique même si la Pologne est évidemment intéressée par les questions de sécurité énergétique.

Une concession s’est sans doute révélée décisive dans l’obtention du compromis: le plan, dans son application concrète, tiendra compte de la situation spécifique de chaque pays au regard de la part des énergies renouvelables et du tableau général concernant le secteur énergétique propre à chacun des Vintg-sept. Le président de la Commission, Jose Manuel Barroso, a été explicite: les pays seront considérés individuellement afin de s’accorder sur la part de chacun pour remplir l’objectif général en matière d’énergies renouvelables. Au cours du troisième trimestre de 2007, la Commission devrait présenter des propositions concrètes sur la répartition des charges et il est évident que chaque pays ne devra pas, à échéance, respecter la part de 20% d’énergies renouvelables, qui reste un objectif global. Le «déficit» d’un pays devrait donc être compensé par le «surplus» d’un autre.

L’injuste accès aux énergies renouvelables

On constate une grande hétérogénéité en ce qui concerne les énergies renouvelables, en fonction de la configuration géographique et géologique de chaque pays. Tous n’ont pas les mêmes ressources naturelles sur leur territoire (gisements éolien, forestier, hydraulique, solaire et géothermal) et n’ont pas le même tissu économique développé autour de chaque filière. M. Topolanek n’a d’ailleurs pas manqué, au cours du Conseil, de rappeler que les sources d’énergies renouvelables (SER) sont limitées en République tchèque comparé à des pays de littoral, par exemple, qui peuvent utiliser les effets des marées, du vent, voire du soleil.

Part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie primaire des pays de l’UE (2005, en %)
--------------%----------Rang/25
Lettonie-----40,03-------1
Slovénie----11,01-------7
Estonie------10,82-------8
Lituanie-----8,85--------9
Pologne-----5,42--------14
Slovaquie---5,40--------15
Hongrie-----4,93--------16
R. tchèque--4,38--------18
France-------6,03--------11
Allemagne--4,83--------17
Source : Etat des énergies renouvelables en Europe, 2006, EurObserver.

Chaque représentant s’est donc rendu à Bruxelles avec en tête les spécificités de son pays : si le Premier ministre slovène, Janez Jansa, s’est dit heureux du résultat, jugeant que son pays serait l’un des rares à n’avoir pas de mal à réaliser les objectifs en matière d’énergies renouvelables, la Roumanie, elle, a eu plus de difficultés à se faire entendre, alors qu’elle aurait souhaité faire entrer totalement l’énergie hydraulique dans les SER (les directives européennes ne prennent pas en compte la production d’électricité provenant des installations de pompage, qui fonctionnent grâce à l’électricité du réseau).

La Lettonie, qui se situe parmi les leaders européens en ce qui concerne la consommation d’énergies renouvelables, est le premier producteur de SER parmi les dix nouveaux États membres (2004) et se concentre essentiellement sur l’hydroélectricité, le bois et le vent (33 éoliennes ont été installées en 2002 près de Grobina). Elle s’intéresse maintenant aux biocarburants et ne compte pas en rester là puisqu’elle se fixe pour objectif de voir les SER contribuer à 49,3% de sa consommation d’énergie primaire d’ici 2010 (la moyenne actuelle de l’UE-25 est de 6,4%). Pourtant, le ministre letton des Affaires étrangères, Artis Pabriks, a déclaré le 8 mars à Bruxelles que le recours aux SER devait être souhaitable mais pas impératif.

En matière de recours à l’énergie éolienne, la Pologne serait bien positionnée, avec une puissance installée fin 2005 de 71,8 MW et une production de 0,131 TWh (15e position dans l’UE-25. A titre de comparaison, l’Allemagne, en première place, a une puissance installée de 18.427,5 MW et une production de 26.500 TWh). La Lettonie, l’Estonie, la République tchèque, la Hongrie, la Slovaquie et la Lituanie suivent la Pologne en ordre rapidement décroissant.

Emissions de CO2

L’objectif de réduction des émissions de CO2 à échéance 2020 avait précédemment été mis en cause par Varsovie, qui s’insurge contre l’année de référence: il s’agit en effet de réduire de 20% les émissions par rapport à 1990, année particulièrement mal choisie pour la Pologne -et pour d’autres pays en transition- qui aurait préféré un ancrage antérieur (avant la chute du Mur et l’effondrement économique) ou ultérieur (une fois que le pays a renoué avec la croissance). Et Varsovie de noter que cette année 1990 impose aux nouveaux États membres un objectif particulièrement inaccessible! Il est frappant néanmoins de constater que les nouveaux États membres se situent plutôt dans le groupe des pays européens plus vertueux en ce qui concerne ces émissions de CO2.

Emissions de CO2 par habitant (en 2003, en tonnes)
-------------2003
UE-25------8,5
UE-15------8,6
Bulgarie----6,3
Estonie-----13,9
Hongrie-----5,7
Lettonie----3,0
Lituanie----3,2
Pologne----8,1
R. tchèque-11,3
Roumanie -4,5
Slovaquie--7,4
Slovénie----7,5
NEM---------7,1
Sources : Eurostat et calculs de l’auteur

Il n’empêche que le compromis du 9 mars est particulièrement ambitieux: selon le Protocole de Kyoto, l’UE doit réduire ses émissions de CO2 de 8% entre 1990 et 2012. Au début de 2007, les Vingt-sept avaient atteint seulement 1,2%. La France, et avec elle d’autres pays d’Europe médiane, défend donc, pour ne pas se dédire, l’idée de faire entrer en ligne de compte l’énergie nucléaire, pauvre en émissions de carbone.

Défendre le nucléaire, derrière la France

Certains pays ont donc laissé la France monter au créneau pour soutenir la réhabilitation de l’atome. Au sein de l’UE, Paris et Helsinki ont fait résolument le choix de l’atome mais la Pologne, la Lituanie, l’Estonie, la Lettonie, la République tchèque, la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie… ont également relancé le débat sur leur politique nucléaire. Le fait que l’énergie nucléaire ait finalement été reconnue à l’issue du Conseil comme non génératrice de gaz à effet de serre et que le sommet ait ouvert la voie vers un débat sur les opportunités et risques du nucléaire a donc été largement apprécié par ces pays.

Le Premier ministre slovène, J.Jansa, a bien résumé l’esprit général : «L’énergie nucléaire n’est pas une source d’énergie renouvelable mais une source qui n’émet pas de gaz à effet de serre… Si on ne la prend pas en compte, il est peu probable qu’on réussisse à atteindre les objectifs fixés.» Et d’ajouter qu’à court terme, il y a peu de chances que de nouvelles technologies permettent d’accroître rapidement la part des énergies renouvelables; dès lors, la Slovénie envisagerait d’installer un second réacteur sur sa centrale de Krsko. La Lituanie vient de décider de construire une nouvelle centrale, en coopération avec l’Estonie, la Lettonie et la Pologne. En République tchèque, la décision du Conseil est tombée à point, alors que les récentes fuites d’eau radioactive à la centrale de Temelin ont redoublé l’activisme des opposants autrichiens (toutefois, le ministre tchèque de l’Environnement -Vert-, Martin Bursik, dont la marge de manœuvre au sein du gouvernement de coalition reste étroite, s’est permis, le 15 mars, dans une interview accordée au quotidien autrichien Der Standard d’inviter les opposant autrichiens à exprimer auprès de son gouvernement leurs réticences quant à la sûreté de la centrale)…

Les participants au Conseil du 9 mars ont envisagé la possibilité d’ouvrir un Forum nucléaire, qui rassemblerait les experts européens en énergie atomique et dont l’objectif serait de discuter de l’avenir de cette énergie. La République tchèque s’est aussitôt déclarée candidate pour accueillir ce Forum à Prague, concurrencée par la Slovaquie voisine.

Emergence d’une politique énergétique européenne ?

On a pu le voir lors de ce Conseil, les postures nationales prévalent largement: si Bucarest est favorable au découplage entre production, transport et distribution, Prague, de son côté, s’est félicité de voir la question retirée de l’ordre du jour et renvoyée à l’arbitrage de chaque Etat. Le président roumain a tout de même plaidé en faveur de la création d’une autorité de régulation indépendante dans le domaine énergétique: «Les compagnies qui vendent de l’énergie ne doivent pas demander 24 dollars par MGh à certains clients et 110 ou 120 à la population!»

Mais, même si les Etats ne partagent pas la même approche et entendent avant tout tirer leur épingle du jeu, ce Conseil apparait comme une première: à la fois par les ambitions affichées et par cette «avant-garde» européenne en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Les États membres en attendent des effets de contamination positive (ils ont réitéré leur souhait de s’engager sur une réduction des émissions de CO2 de 30% d’ici 2020 si le reste de la communauté internationale s’y associe), mais, dans l’immédiat, les décisions adoptées ne pourront qu’avoir un effet d’accélérateur sur l’évolution de la politique énergétique des pays membres: une semaine après le Conseil, la compagnie d’électricité tchèque CEZ, majoritairement détenue par l’État, a fait savoir qu’elle entendait tripler d’ici 2020 sa production d’électricité renouvelable et que le groupe prévoyait d’investir d’ici l’échéance fixée plus de 700 millions d’euros, notamment dans l’énergie éolienne et l’utilisation de la biomasse.

Par Céline BAYOU
Source photo : Lietuvos Energetikos Institutas