L’imaginaire du froid

Effet de la glaciation ou simple coïncidence, le froid évoque un certain nombre d’images figées, partiellement fausses, partiellement justes. Peu importe toutefois le “ partiellement ”. En général, ces stéréotypes résistent au temps et aux arguments qui les dénoncent. Les étrangers ne font guère d’efforts pour réchauffer leurs connaissances. Quant aux publicitaires de l’Est, ils se plaisent eux-mêmes à recycler les clichés les plus givrés.


Avez-vous déjà subi un “froid sibérien”? Probablement pas, mais ceci ne vous empêche pas d’utiliser allègrement cette sympathique expression au parfum glaçant de toundra. Plus que la Carélie, la Nouvelle-Zemble, ou la péninsule de Kola, autres pays du grand froid passablement affligés par le gel, la Sibérie captivent les imaginations. Il est vrai que la région de Verkhoïansk à l’extrémité nord-est du pays est le seul endroit de la planète (hormis l’Antarctique), où la température moyenne peut approcher les -50 pendant les mois d’hiver. Mais on ignore souvent que cette zone ultra-continentale connaît également les plus grandes fluctuations de température (jusqu’à cent degrés d’amplitude thermique sur l’année), et qu’en été, il y fait généralement plus de trente degrés. Si la Sibérie est donc bien LE pays du grand froid, elle ne se résume nullement à cela.

Pourtant, c’est un fait : la réputation de la Sibérie tient essentiellement à son climat hivernal rigoureux. Les plus érudits se souviennent que la région a accueilli des générations de prisonniers qui y ont vécu - et souvent péri - dans des conditions extrêmement dures sous les régimes tsariste et communiste. Mais, souvent, les connaissances s’arrêtent là. Nombre de nos compatriotes sont incapables de situer cet énorme territoire (plus de douze millions de kilomètres carrés) sur une toute petite carte. Ledit territoire n’est pourtant pas si éloigné de nous puisque une bonne partie de la Sibérie se trouve à la même latitude que la chaleureuse Allemagne. D’ailleurs, un amalgame rapide assimile le plus souvent la Sibérie à la Russie toute entière, voire par extension à l’Europe orientale dans son ensemble; de sorte que même la Bulgarie, sur le littoral de la mer Noire, se plaint de passer pour un pays où l’on serait obligé de se promener en permanence en manteau de fourrure. Pas étonnant dès lors qu’un public dit “averti” en arrive à se demander si l’été, pour se rendre en Sibérie, il est nécessaire de se munir de moufles…

Sauvagerie et conditions primitives

Dans l’imaginaire occidental, la Sibérie est ainsi devenue synonyme de froid. Mais cette image en entraîne immédiatement d’autres. De façon presque automatique, ce froid est associé à une idée de sauvagerie et de conditions primitives. Si EDF, dans l’une de ses publicités, présente un manteau en “loup sauvage de Sibérie” tout en mettant en valeur son système de chauffage sur mesure, c’est bien pour souligner que dans notre monde soyeux et “civilisé”, on règle les choses “autrement” qu’en Sibérie, pays “un peu” sauvage “naturellement” habitué aux mesures “un peu” radicales. Cette image diffère de l’image traditionnelle du froid, associée aux concepts plutôt positifs d’exotisme et de rigueur, et censée démontrer le caractère absolu d’une qualité. Ainsi, il n’est pas anodin que l’opérateur internet Wanadoo transforme un ordinateur en iceberg pour illustrer la supériorité de son accès haut débit. Il faut cependant noter que, si cet extrémisme fascine, il ne va jamais jusqu’à faire peur, car il reste toujours bien loin de chez nous. Le père Noël lui-même ne vient-il pas de ce grand froid mystérieux, qui le rend à la fois si attrayant et si inaccessible?

S’il fait froid dehors, il est d’autant plus agréable de se retrouver dedans, entre amis ou en famille. A l’abri du froid, l’ambiance devient par contraste des plus chaleureuses. Cette image se retrouve dans la poésie ainsi que dans la publicité, aussi bien à l’Ouest qu’à l’Est. La rigueur extérieure est contrebalancée par l’image d’un intérieur réchauffé par des relations plus cordiales et des émotions plus sincères. Dans les pays réputés “froids”, on a le sens de la fête et… on y boit obligatoirement de l’alcool des plus calorigènes. On objectera que Ricard promeut son pastis méditerranéen avec des glaçons de taille démesurée. Mais ceux-ci font toujours figure d’accessoire (il est d’ailleurs recommandé de les “briser”), tandis que les publicités pour la vodka usant de la thématique glaciale vous coupent réellement le souffle.

Etonnamment, les médias des pays de l’Est s’accommodent bien de cette image; ils s’en servent même et n’hésitent pas à faire de l’autodérision sur le sujet. En témoigne cette publicité - un peu givrée - pour une bière russe, mettant en scène un groupe de buveurs rassemblés sur un glacier. Le sérac, sur lequel ils étaient installés se désolidarise de la calotte et ils se retrouvent ainsi isolés en pleine mer sur leur iceberg. Les convives ne s’inquiètent pas pour autant. Leur seul problème, visiblement, est d’avoir perdu le stock de bière resté sur le continent… Heureusement, un ours blanc apparaît opportunément. Il se charge de rapporter la cargaison à bon port, et reste ensuite sur l’énorme glaçon à écluser des mousses. Le froid n’a donc rien de terrifiant, même si l’on est dedans. Au contraire, rigueur rime avec vigueur. Le tout est de ne pas se précipiter. Une autre publicité fameuse montre ainsi deux jeunes gens, bien décidés à aller se baigner nus dans un fleuve glacé. Ils se déshabillent, mais entre-temps, la glace a recouvert le trou, par lequel ils comptaient piquer une tête. Côtoyer les extrêmes a ses côtés attrayants, mais en réalité, rien n’est jamais comme on l’imaginait…

Par Cinta DEPONDT