L’islam balkanique, un parcours historique

Interview de Nathalie Clayer, chercheur au CNRS, Laboratoire d'Etude turques et ottomanes, Paris.


Mosquée des bains de SofiaRSE : Pourriez-vous rappeler les principales étapes et les modalités de l'islamisation des Balkans ?

Nathalie Clayer: La véritable question qu'il convient de se poser est: d'où vient la présence de communautés musulmanes, aujourd'hui, dans les Balkans ?

Ces communautés sont issues, en fait, de deux processus : d'une part, l'installation dans les Balkans de populations musulmanes venues d'Anatolie ou, plus tard, au XIXème siècle, de Crimée; d'autre part, la conversion de populations autochtones. Dans les premiers temps de la conquête, à partir du XIVème siècle, on assiste d'abord à l'installation de populations musulmanes initiée par les autorités ottomanes, surtout dans la partie orientale de la péninsule. C'est pourquoi il y a encore aujourd'hui un nombre assez important de turcophones en Roumanie, en Bulgarie et en Thrace ainsi qu'en Macédoine, jusqu'au cœur des Balkans.

En revanche, dans l'Ouest de la péninsule, c'est le phénomène de conversion qui a prévalu. Certes, des populations turcophones sont venues également s'installer sur ces territoires mais elles se sont ensuite généralement fondues dans la population locale. Les musulmans y sont donc en majorité slavophones- essentiellement en Bosnie-Herzégovine- ou albanophones - en Albanie ainsi qu'au Kosovo et en Macédoine, où l'on trouve aussi des musulmans slavophones et turcophones. En Crète, au XIXème siècle, les musulmans grécophones représentaient 30 % de la population ; menacés par les persécutions de la majorité chrétienne, ils ont émigré en Turquie à la fin du XIXème et au début du XXème siècle.

En outre, il faut souligner que cette islamisation s'est effectuée sur le long terme, rarement d'ailleurs juste après la conquête. Mis à part le cas de la Bosnie-Herzégovine, l'islamisation massive n'a souvent débuté qu'au XVIIème siècle et a parfois duré jusqu'à la fin de la période ottomane : au Kosovo, par exemple, ou en Albanie du nord où des catholiques albanais se convertissaient encore à l'islam jusqu'en 1912.

Quand et comment sont apparus les mouvements confrériques?

L'islam, dans les Balkans comme dans le reste du monde musulman, s'est développé sous des formes diverses. A côté de l'islam "de la mosquée", est apparu un courant mystique, le soufisme, transmis de maîtres à disciples, puis dans le cadre de confréries, possédant une organisation et des règles précises de rituel et d'initiation.

Dans les Balkans, le soufisme est né au moment de la conquête musulmane au XIVème siècle avant de se structurer en confréries à partir des XVIème et XVIIème siècles. Parmi les réseaux confrériques - qui ont des doctrines plus ou moins proches de l'islam sunnite traditionnel - on cite souvent les Bektachis, confrérie très hétérodoxe, qui s'est répandue pratiquement dès le début de la présence ottomane dans les Balkans. D'autres réseaux se sont constitués plus tard. La confrérie la plus répandue dans les Balkans n'était pas celle des Bektachis, mais une confrérie relativement orthodoxe, les Halvétis. Ils étaient très proches des autorités ottomanes, avaient des établissements dans presque toutes les villes ; les cheikhs - les chefs spirituels - halvétis étaient même souvent également des muftis, des imams ou des qadis.

Les réseaux qui reliaient les différents établissements de ces confréries et les différents cheikhs étaient généralement centrés dans les grandes métropoles ottomanes (dont Edirné, Boursa) et surtout Istanbul qui était, ne l'oublions pas, la métropole des Balkans à cette époque.

Quel a été le sort des musulmans au moment du retrait de l'Empire ottoman ?

Globalement, surtout jusqu'en 1878, il était impossible pour des musulmans de continuer à vivre dans des territoires qui devenaient non ottomans. Ainsi, pratiquement aucun musulman n'a pu demeurer sur le territoire de la "petite" Grèce. De même pour la principauté de Serbie où ne sont restés que quelques soldats gardant les forteresses, en vertu d'accords passés avec Constantinople.

Après 1878, des traités internationaux permettent aux musulmans de résider dans les Etats qui deviennent autonomes voire indépendants. Mais beaucoup se sentent mal à l'aise et décident d'émigrer vers les régions restées à l'intérieur de l'Empire, et ce d'autant plus qu'ils y sont encouragés par une politique visant à renforcer le caractère musulman des territoires toujours ottomans.

Évidemment, les situations varient selon les pays: le cas de la Bulgarie, qui devient indépendante en 1878 et que quittent beaucoup de musulmans, est très différent de celui de la Bosnie-Herzégovine qui est annexée par l'Autriche-Hongrie à cette époque. En effet, les autorités austro-hongroises se mettent dans l'idée de créer une nation bosniaque qui engloberait aussi bien les musulmans que les chrétiens, une tentative qui échoue du fait de la force des nationalismes serbe et croate. Du coup, la tendance des musulmans de Bosnie-Herzégovine est de se replier sur leur identité communautaire.

Il y a, enfin, le cas des musulmans qui restent dans l'empire ottoman jusqu'en 1912 : dans les territoires albanais, en Macédoine .. Et l'on assiste paradoxalement au développement d'un certain nationalisme (albanais, turc..) chez des nouvelles élites de l'Empire ottoman.

Quelle a été la place de l'islam dans la définition nationale du premier Etat albanais?

On croit souvent que le nationalisme albanais ne tient pas compte de la religion: qu'un Albanais est albanais avant d'être catholique, orthodoxe, ou musulman. Mais c'est une part, seulement, du discours nationaliste. Pour mobiliser des couches plus larges de la population, ce discours fait appel également aux appartenances religieuses. Ainsi, s'opère, de manière parallèle, dans chaque communauté religieuse, un processus de construction d'une identité nationale albanaise. Par exemple, les orthodoxes manifestent, à partir de 1906-1908, la volonté de fonder une église albanaise autocéphale.

Les musulmans albanais cherchent quant à eux à justifier leur appartenance européenne. C'est extrêmement important car l'idée dominante à cette époque est que les musulmans ne peuvent rester légitimement dans les Balkans s'il n'y a plus de domination ottomane.

Ils doivent donc expliquer qu'ils sont autochtones, qu'ils n'ont rien à voir avec les Turcs. D'où l'instrumentalisation du Bektachisme, "islam différent", qui n'est pas l'islam sunnite assimilé au despotisme du sultan d'alors, Abdul Hamid (1876-1909).

Quelles ont été les politiques des différents régimes communistes et leurs conséquences à l'égard de l'islam et des musulmans ?

Au début, la politique a été à peu près la même partout: il s'agissait de mettre au pas les différentes communautés religieuses. En dehors des mosquées et de quelques madrasas qui ont subsisté, toutes les autres institutions des communautés musulmanes ont été supprimées: que ce soit les biens de main morte (waqf) qui permettaient aux écoles ou aux tribunaux de la communauté de fonctionner ou bien les tribunaux chariatiques qui jugeaient les affaires relevant du droit familial.. Aujourd'hui, paradoxalement, les tribunaux chariatiques et les waqf subsistent uniquement en Grèce qui est le seul pays à ne pas avoir connu de régime communiste.

A partir des années 60-70, les politiques à l'égard des religions se sont diversifiées notablement. D'un côté, en Albanie, en 1967, le régime a interdit purement et simplement la religion. Et en 1976, l'athéisme a été inscrit dans la constitution de l'Albanie. Le gouvernement albanais avait l'exemple de la Chine avec laquelle il était lié à l'époque. L'idée que la nation albanaise devait se construire indépendamment de la religion y a sans doute également contribué.

En revanche, en Yougoslavie, dans le même temps, le régime titiste s'est lancé dans une politique de détente en matière religieuse, notamment à l'égard de l'islam. Ce tournant peut s'expliquer par une certaine libéralisation du régime. L'adhésion de la Yougoslavie au Mouvement des non-alignés et le renforcement de ses relations avec des pays musulmans a sans doute également joué un rôle. Les institutions musulmanes ont connu un certain regain, beaucoup de musulmans sont allés étudier à l'étranger.

La Bulgarie se situe à mi-chemin entre ces deux cas. L'athéisme y a été promu, mais la religion jamais totalement interdite. En revanche, dans les années 1980, une campagne a visé à l'éradication des traces de la présence turque et musulmane dans le pays, notamment à travers la bulgarisation des noms.

De quand date le renouveau de l'islam dans les Balkans et quelles formes a-t-il prises dans les différents pays ?

En Albanie, en Bulgarie, on peut dire que le renouveau date uniquement de 1990, de la chute des régimes communistes, car ces pays étaient très fermés. C'est seulement à la fin de l'année 1990 que la religion a eu de nouveau droit de cité en Albanie. En revanche, en Yougoslavie, il y a eu un renouveau dès les années 70. Un des éléments importants de ce renouveau a été la création à la fin des années 60 par le régime de Tito d'une nationalité Musulmane avec un grand M. Cette nation était censée être a(-)religieuse.

En fait, assez rapidement, la création de cette nation Musulmane a permis aux instances religieuses musulmanes de reprendre place dans le jeu politique et identitaire et de fournir des succédanés d'institutions nationales aux musulmans de Bosnie-Herzégovine et du Sandjak.

Les musulmans du Kosovo et de Macédoine albanophones ou turcophones n'étaient pas inclus dans cette nouvelle nation : seuls les slavophones avaient le choix entre adhérer à cette nationalité ou non.

Quelles ont été les conséquences politiques de ce renouveau ? En particulier quelle a été la place de l'islam dans les mouvements nationalistes? dans les partis politiques ? Où en est-on aujourd'hui ?

Parallèlement au renouveau de l'islam en tant que religion, on assiste à un "passage au politique" des musulmans.

L'islam n'y a pas forcément une place prépondérante, loin de là. Ainsi, dans le contexte albanais, la langue joue un rôle déterminant, la religion n'apparaît que marginalement. Ce sont plutôt les acteurs religieux qui, pour réhabiliter la religion dans une société largement sécularisée, tentent de combiner islam et identité nationale. Ou bien, pour certains segments de la population brimés à l'époque communiste, l'islam devient l'un des éléments des revendications politiques et sociales.

La situation est différente en Bosnie-Herzégovine. En effet, un petit groupe de personnes pour lesquelles l'islam était particulièrement important, autour d'Alija Izetbegovic, a réussi à se placer au centre du jeu politique et identitaire en créant le SDA (Stranka Demokratske Akcije, Parti de l'action démocratique ).

Le SDA, animé au départ par une idéologie plutôt islamique, est devenu le parti des Musulmans de Bosnie-Herzégovine, et donc de facto un parti nationaliste. La situation très particulière de la guerre a permis à ce petit groupe de rester au centre du jeu politique et d'imposer pendant la guerre une réislamisation par le haut. Mais cette réislamisation a échoué. La société bosniaque est demeurée très sécularisée.

En ce qui concerne la situation aujourd'hui, on peut dire que l'islam est utilisé par des petits groupes de jeunes comme un instrument de contestation des autorités politiques et religieuses. Ils accusent cet "establishment" de corruption et la manière dont ils font référence à l'islam correspond à une volonté de moraliser, de critiquer cette société.

Comment s'est manifestée (et se manifeste) la solidarité religieuse des pays musulmans (Turquie, Iran, Arabie saoudite, pays du Golfe ..) à l'égard des pays balkaniques ?

Les pays musulmans et les ONG islamiques ont contribué à apporter de la littérature religieuse, à former des cadres sur place, à accueillir des jeunes musulmans des Balkans…

Il faut ajouter que parmi les organismes les plus actifs, on compte également des groupes issus des diasporas établies en Europe ou aux Etats-Unis. Le renouveau religieux vient aussi de l'Occident, il ne faut pas l'oublier.

L'aide religieuse s'est accompagnée d'autres types d'aides, notamment humanitaire et économique (micro-projets)… Il y eut parfois une aide militaire mais dans un contexte et un cadre particulier. Ainsi, le soutien militaire de l'Iran aux Musulmans de Bosnie Herzégovine s'est fait sous l'égide des Etats-Unis et avec l'aval de la Croatie qui a pris une partie des armes, et il y a eu aussi la présence de moudjahiddines.

Mais n'oublions pas que les acteurs non musulmans ont à peu près le même type de comportement: le prosélytisme non musulman est également très fort dans les Balkans. En Albanie par exemple, les missionnaires chrétiens sont très présents de même que les représentants de nombreuses sectes.
En ce qui concerne la solidarité politique, elle a été loin d'être unanime pendant les conflits.

Il n'y a pas eu de mobilisation totale des pays de l'Oumma pour défendre leurs frères musulmans. Ainsi, dans le cas du Kosovo, la Turquie, elle-même confrontée à la question kurde, n'était pas encline à prendre parti pour les indépendantistes kosovars contre le régime de Milosevic. Le réalisme politique a dépassé de loin la dynamique de solidarité musulmane.

Quelle est la part aujourd'hui d'un islam "importé" dans les Balkans ? Quels sont les pays, et à l'intérieur des pays, les catégories sociales, les générations… les plus touchés ?

Je n'aime pas beaucoup cette expression d' "islam importé". Il y a toujours eu des contacts entre les musulmans de l'extérieur et les musulmans des Balkans. Les élites religieuses se sont toujours formées soit à Istanbul, soit au Caire… Et il y a eu sans arrêt un processus de construction d'un islam local prenant en compte les influences extérieures. Ce qui se passe aujourd'hui, c'est la même chose. D'ailleurs, l'islam local peut être fondamentaliste et l'islam importé peut être aussi non fondamentaliste…

Si on s'intéresse aux formes fondamentalistes qui ont été introduites par le séjour de religieux balkaniques à l'étranger ou par la venue de certains missionnaires musulmans, on peut dire qu'elles touchent généralement les jeunes. C'est un peu l'expression d'une contestation générationnelle - même s'il ne faut pas perdre de vue que les jeunes regardent dans l'ensemble beaucoup plus vers l'Occident que vers l'Orient…

En outre, l'importance de la réappropriation ne doit pas être négligée: les acteurs locaux réinterprètent ces formes d'islam, les réutilisent en prenant en compte leur propre contexte. Cet islam devient alors une forme d'islam local.

L'attitude de méfiance ou de répression à l'égard des mouvements islamistes qui a succédé aux attentats du 11 septembre a-t-elle eu une incidence dans les Balkans ? A-t-on mis au jour des connections entre des organisations locales et des réseaux terroristes internationaux ?

La lutte contre les terroristes islamistes dans les Balkans avait commencé avant le 11 septembre. Des arrestations avaient été menées notamment en Bosnie Herzégovine et en Albanie. Ainsi, en 1998, avant et après les attentats contre les ambassades américaines du Kenya et de Tanzanie, plusieurs membres de l'organisation du Djihad égyptien qui avaient trouvé refuge en Albanie avaient été arrêtés par les services secrets, épaulés par la CIA.

Plus récemment, en décembre 2001, les troupes américaines ont investi, au Kosovo, les bureaux de deux ONG islamiques basées au Etats-Unis, accusées de financer le réseau d'al-Qaida: la Global Relief Foundation et la Benevolence International Foundation.

Cependant, dans certains pays des Balkans, le label "islamiste" a été utilisé pour compromettre l'adversaire politique. Ainsi, les autorités macédoniennes ont instrumentalisé le discours anti-islamiste pour dénoncer l'UCK (Ushtria çlirimtare e Kosovës ) le mouvement de guérilla albanaise, comme une groupe islamiste.

Quelles sont aujourd'hui, dans chaque pays, les relations entre les institutions musulmanes et l'Etat ? Les communautés musulmanes ont-elles recouvré leurs biens ? L'Etat exerce-t-il un contrôle sur elles ?

En général, les communautés n'ont pas récupéré leurs biens, excepté quelques édifices. Du coup se pose le problème de leur fonctionnement financier. Jusqu'à la seconde guerre mondiale, elles bénéficiaient parfois de subventions. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, elles sont dépourvues de biens et de subventions étatiques. Le financement se fait donc par le don des fidèles et par des aides extérieures.

En ce qui concerne les relations des institutions musulmanes avec l'Etat, elles sont aujourd'hui très complexes puisque les institutions officielles n'ont elles-mêmes plus le contrôle des communautés. Des rivalités internes sont apparues. Dans certains pays, les divisions ont touché les plus hautes instances religieuses. En Bulgarie et en Grèce par exemple où il y a eu deux grand-muftis concurrents. Dans le premier cas, "l'anomalie" était due à des dissensions entre les anciens communistes et les anti-communistes. Dans le second, celui de la Grèce, il s'agissait d'un désaccord entre la minorité et les autorités grecques. En Macédoine, deux communautés officielles ont même existé en parallèle, l'ancien grand-mufti de Yougoslavie créant une seconde organisation, grâce à l'appui des autorités politiques macédoniennes qui voyaient là un facteur de division de la communauté musulmane/albanaise.

Par ailleurs, on assiste, comme en Occident, à une individualisation du religieux; chacun s'autorise à fabriquer sa propre religion à partir de différents matériaux sans faire appel à une autorité institutionnelle.

Les confréries sont elles aussi concernées. Ainsi, en Albanie, les éléments les plus dynamiques au sein du mouvement bektachi sont de nouveaux groupes qui sont en train de constituer leur propre doctrine. On peut citer l'exemple d'une femme qui dès la fin des années 80 affirmait avoir eu des contacts spirituels avec un baba bektachi mort au XVIIIème siècle. Elle s'est fait notamment connaître par ses guérisons. Après la chute du régime communiste, elle a créé un groupe autour d'elle qui n'a pas été accepté par les autorités bektachies. Cette "communauté" est donc entrée en dissidence et est sortie du cadre du bektachisme en reprenant des éléments propres aux théories du cosmos. On peut dire que cette "Sainte mission Eleonora" est devenue une sorte de secte "New Age".

L'islam balkanique est souvent décrit comme un "islam européen", "plus laïcisé" "plus tolérant". Qu'en pensez-vous ? Croyez-vous qu'il y ait une spécificité de l'islam balkanique ?

Derrière la notion d'islam européen, il y a beaucoup de sous-entendus. On considère qu'un islam européen est un islam tolérant, ouvert, laïcisé… seulement des connotations positives. On oppose cet islam européen à des islam arabe, iranien.. fondamentalistes. Je considère quant à moi que de telles notions sont problématiques.

Tout d'abord il n'y a pas UN islam balkanique, il n'y en a jamais eu. On trouve chez les musulmans des Balkans des formes extrêmement variées de l'islam: islam en tant que religion, en tant que culture, éventuellement en tant qu'idéologie. On peut même trouver, notamment en Albanie, des "musulmans athées" …. Des musulmans professent un islam soufi. Mais là aussi "soufi" ne signifie pas plus tolérant, plus ouvert.. Il y a des formes de soufisme qui sont fondamentalistes : la Naqshbandiya turque par exemple défend la charia. En revanche, le fait que les Balkans aient cette position géopolitique sur le continent européen implique certaines spécificités, certaines contraintes. C'est dans ce sens, il me semble, que l'islam balkanique est un islam européen. Cela n'implique pas de jugement positif ou négatif. Cela n'implique pas non plus une caractéristique unique. L'islam balkanique est spécifique par la façon dont il s'insère dans des Etats qui ont été fondés sur les ruines de l'Empire ottoman, et qui ont des relations avec les autres pays d'Europe ou d'autres parties du monde.

Nathalie Clayer a co-édité avec Xavier Bougarel l'ouvrage collectif le nouvel islam balkanique. Les musulmans, acteurs du post-communisme (1990-2000), Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, dans lequel on trouvera plus de détails, et prépare un ouvrage sur la construction de l'identité nationale albanaise à la fin de l'époque ottomane (sortie prévue pour 2004).

Par Eva KOCHKAN
Vignette : Mosquée des Bains à Sofia (© Assen SLIM)

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