Lituanie: des élections municipales sans vainqueur?

Les élections municipales du 27 février sont probablement l’événement politique majeur de l’année 2011 en Lituanie. Tenues après deux ans de crise économique, elles ont constitué un test décisif pour le gouvernement de droite d’Andrius Kubilius, en place depuis 2008.


Quartier des affaires de Vilnius. Le gratte-ciel au premier plan abrite la municipalitéLes élections des soixante conseils municipaux de Lituanie ont lieu tous les quatre ans. Dans ce pays, les municipalités constituent les seules collectivités territoriales où s’exerce la démocratie locale. De par leur position dans le calendrier électoral (un an et demi avant le scrutin législatif), ces élections municipales ont servi en quelque sorte de répétition générale aux grands partis. Elles ont permis aussi à de nombreux petits partis n’ayant pas accès au Parlement d’obtenir une représentation politique.

Par leur taille, les municipalités lituaniennes figurent parmi les plus grandes d’Europe, ce qui ne favorise pas l’implication des citoyens dans la gestion des affaires locales et s’est traduit, depuis des années, par une faible participation aux élections municipales. Afin de rapprocher les citoyens du pouvoir local, les maires, actuellement désignés par les conseillers municipaux, pourraient un jour être élus au suffrage direct. Mais cette question fait toujours débat.

Des modifications récentes ont toutefois été apportées à la loi électorale : cette année, les électeurs ont ainsi pu voter pour des candidats indépendants, alors qu’auparavant, seuls les partis politiques étaient autorisés à présenter des listes. Grande nouveauté, donc, de ce scrutin, les quelque 500 candidats indépendants ont pu, dans certains cas, contrebalancer les résultats des partis politiques nationaux.

Ni vainqueurs, ni vaincus ?

Les résultats des élections ont été annoncés dès le 28 février 2011 au soir par la Commission électorale lituanienne. Le Parti des sociaux-démocrates de Lituanie a remporté les élections en obtenant 328 mandats sur 1.526. L’Union de la Patrie/Démocrates-chrétiens de Lituanie, parti de l’actuel Premier ministre conservateur Andrius Kubilius, arrive en deuxième position, avec 249 mandats, suivi par le Parti du travail (centre gauche), dirigé par l’eurodéputé et homme d’affaires millionnaire d’origine russe, Viktor Uspaskich.

Résultats des élections municipales lituaniennes, février 2011

Source : Commission électorale lituanienne (www.vrk.lt)

En dépit d’une perte d’environ cent mandats par rapport aux élections précédentes, A. Kubilius, actuel Premier ministre et leader des conservateurs, semble satisfait des résultats, compte tenu de la profonde crise économique traversée par la Lituanie. Le chef du gouvernement voit dans ces élections un signe d’encouragement pour la poursuite de sa politique. Il affirme même : « Je pense que c’est une défaite pour l’opposition, qui a été rétive depuis deux ans à toutes les solutions anti-crise du gouvernement »[1]. Les conservateurs cherchent désormais à former des coalitions municipales en priorité avec leurs actuels partenaires au Parlement (libéraux et libéraux-centristes). Indéniablement, ce scrutin s’est déroulé dans un contexte défavorable pour le Premier ministre, embarrassé par le scandale provoqué par l’accusation portée à l’encontre du ministre de l’Economie Dainius Kreivys, soupçonné d’avoir approuvé un co-financement de l’UE pour le projet de rénovation de deux écoles situées à Vilnius, alors que sa mère était une actionnaire de l’entreprise chargée des travaux. Le 15 février 2011, la présidente Dalia Grybauskaite a retiré sa confiance au ministre de l’Economie et A. Kubilius a annoncé qu’il statuerait sur le sort de D. Kreivys après les élections municipales[2]. Le ministre a démissionné de son poste le 8 mars.

De leur côté, les sociaux-démocrates lituaniens soulignent que la présence des candidats indépendants a engendré des incertitudes pendant la campagne électorale et brouillé les cartes. Selon le leader des sociaux-démocrates, Algirdas Butkevicius, « il est très étrange que les politologues oublient pour un certain temps l’arithmétique »[3]. Déçus par les résultats obtenus dans les trois plus grandes villes du pays (Vilnius, Kaunas et Klaipeda), les sociaux-démocrates rappellent néanmoins qu’ils ont remporté 26 mandats de plus qu’en 2007, alors que les conservateurs ont perdu un tiers de leurs électeurs. Viktor Uspaskich, leader populiste du Parti du travail, utilise les mêmes arguments : « En 2008, 567 392 électeurs ont voté pour les partis au pouvoir, contre 299 320 lors de ces élections. Il n’est pas difficile de compter que cela fait une différence de 47 %. […] Il est étrange d’entendre les leaders des partis au pouvoir essayer de faire l’éloge de tels résultats électoraux. Après de tels scores, la coalition au pouvoir devrait se disperser »[4].

Une lecture claire et globale des résultats apparaît pour l’instant difficile. Les partis politiques doivent encore former des coalitions dans les conseils municipaux, qui éliront ensuite les maires.

A Vilnius, le retour d’Arturas Zuokas ?

Dans la capitale, les résultats ont érigé en arbitre la « coalition d’Arturas Zuokas et de Vilnius ». Cette-dernière, formée par des candidats indépendants et dirigée par l’ancien maire A. Zuokas (2000-2007), a adopté comme slogan « OUI à la renaissance de Vilnius ». Ancien leader des centristes libéraux, homme d’affaire millionnaire, A. Zuokas avait démissionné de son poste de maire suite à des accusations de corruption. Resté populaire, il a fait des promesses ambitieuses aux habitants de la capitale: faire de Vilnius la ville la plus moderne d’Europe centrale et orientale, construire un tramway ultra-rapide, implanter un musée Guggenheim, créer une nouvelle compagnie aérienne (Air Vilnius) ou encore atteindre d’ici 2020 un salaire moyen de 6 420 litas (1 855 euros) contre 2 540 litas en 2008 (735 euros). Il est vrai que son bilan en tant que maire de la première ville du pays était conséquent, marqué notamment par la construction d’un quart des gratte-ciel de la capitale et la rénovation de l’avenue Gediminas et du quartier des artistes Uzupis[5]. Les autres coalitions indépendantes, comme Musu Reikalas (« Notre Affaire »), n’ont pas réussi à tirer leur épingle du jeu.

A Vilnius, les résultats des élections traduisent donc le retour d’A.Zuokas (17,74 % des voix pour sa coalition), mais aussi la percée du bloc des minorités polonaise et russe (15,07 % des voix) et la défaite du maire conservateur sortant Raimundas Alekna (13,89 % des voix)[6]. L’eurodéputé Valdemar Tomasevski, leader de l’Action électorale polonaise, n’a pas caché sa satisfaction devant des performances inédites à Vilnius, et ce d’autant plus que son parti a remporté plus de 70 % des voix dans le district de Salcininkai, situé au sud-ouest du pays et peuplé à plus de 70 % par la minorité polonaise. Maître du jeu à Vilnius, A. Zuokas a d’abord pronostiqué une coalition tripartite avec le bloc des minorités et le Parti du travail[7], avant d’ouvrir des négociations pour une coalition quadripartite sans les minorités et les conservateurs[8]. Aujourd’hui, toutes les combinaisons de partis semblent possibles dans la capitale. L’enjeu et les ambitions politiques sont de taille: la fonction de maire de Vilnius est la quatrième la plus importante dans la République lituanienne après celles du Président, du Premier ministre et du président du Parlement. Dans tous les cas, la situation n’est pas favorable aux conservateurs, dont la domination est également menacée à Kaunas.

A Kaunas, les conservateurs en mauvaise posture

Kaunas, la deuxième ville du pays, était dirigée jusqu’à présent par le maire conservateur Andrius Kupcinskas. Quelques listes de candidats indépendants se sont formées pendant la campagne électorale: la plus importante coalition indépendante est Vieningas Kaunas (« Kaunas uni »), dirigée par Visvaldas Matijosaitis, propriétaire du groupe agro-alimentaire Viciunai, producteur de poisson pané, de hareng, de saumon et de pain biologique. Cette coalition réunit surtout des hommes d’affaire souhaitant prendre directement le pouvoir, plutôt que de faire du lobbying auprès des élites politiques[9]. Même si les conservateurs ont gagné les élections avec 21,84 % des voix, l’élection d’un maire conservateur n’est pas assurée pour autant. Les sociaux-démocrates sont arrivés en deuxième position avec 11,48 % des voix et la coalition Vieningas Kaunas, avec 8,88 % des voix, se trouve en position d’arbitre. V. Matijosaitis, qui brigue le poste de maire, a annoncé la formation d’une coalition sans les conservateurs[10]. Mais ces derniers ont contre-attaqué, essayant de tourner en dérision la « coalition des crabes »[11] et dénonçant certaines irrégularités du scrutin à Kaunas : ils réclament à la Commission électorale lituanienne un mandat supplémentaire, qui aurait été attribué « par erreur » au Parti du travail[12].

Les résultats définitifs des élections municipales lituaniennes restent encore incertains. La présence de candidats indépendants s’est révélée décisive seulement dans les deux plus grandes villes du pays. En raison de la fragmentation du paysage politique, les partis doivent se soumettre au jeu des coalitions, qui sera déterminant pour l’élection des maires. Aucun pronostic ne peut donc être fait sur cette base pour les élections législatives de 2012. On notera toutefois que le taux de participation n’a été que de 44,08 %, et ce en dépit d’une réglementation plus libérale de la publicité à la télévision : finalement, c’est la démocratie locale qui semble bien être la réelle perdante de ce scrutin.

Notes
[1] « Conservative party did better, opposition – worse than expected », The Lithuania Tribune (www.lithuaniatribune.com), 28 février 2011.
[2] Rokas M. Tracevskis, « President vs. PM over the economy minister », The Baltic Times (www.baltictimes.com), 2 mars 2011.
[3] Déclaration d’Algirdas Butkevicius, site Internet du Parti des sociaux-démocrates, rubrique Naujienos (www.lsdp.lt), 3 mars 2011.
[4] Déclaration de Viktor Uspaskich, site Internet du Parti du travail, rubrique Naujienos (www.darbopartija.lt), 1er mars 2011.
[5] Rokas M. Tracevskis, « Political landscape on the eve of the municipal elections », The Baltic Times (www.baltictimes.com), 2 février 2011.

[6] En nombre de mandats, les résultats à Vilnius sont les suivants : 12 mandats pour la coalition d’A. Zuokas et de Vilnius, 11 pour la coalition des minorités polonaise et russe, 10 pour les conservateurs, 8 pour le Parti du travail, 5 pour les sociaux-démocrates et 5 pour « Ordre et Justice ».
[7] « A. Zuokas : Koalicija neišvengiamai turėtų būti iš trijų politinių organizacijų », ELTA ir lrytas.lt, 28 février 2011.
[8] « A. Zuokas nesusitarė su lenkais - Vilniuje bus keturių politinių jėgų koalicija », ELTA ir lrytas.lt, 8 mars 2011.
[9] Rokas M. Tracevskis, « President vs. PM over the economy minister », The Baltic Times (www.baltictimes.com), 2 mars 2011.
[10] Arunas Karaliunas, « Puse Kauno isgasdino, o pats baimes nejaucia », Lietuvos rytas, 3 mars 2011.
[11] Nerijus Povilaitis, « Kauno konservatorių lyderis A. Kupčinskas : Nedalyvausime milijonierių surengtame postų aukcione », Lietuvos rytas, 4 mars 2011.
[12] « Kauno konservatorių įsitikinimu, jiems priklauso dar vienas mandatas miesto taryboje », ELTA ir lrytas.lt, 4 mars 2011.

* Anne-Sylvie PIGEONNIER est doctorante en sciences politiques à l’Université du Luxembourg.

Photographie en vignette : Quartier des affaires de Vilnius. Le gratte-ciel au premier plan abrite la municipalité (© A-S.Pigeonnier, 2011).