Macédoine : l’irruption d’un nouveau parti bouscule la scène politique albanaise

Depuis l’éclatement d’un scandale d’écoutes téléphoniques impliquant notamment le Premier ministre alors en exercice Nikola Gruevski, il y a deux ans, la Macédoine est plongée dans une grave crise politique.


Le Premier ministre Nikola Gruevski a dû démissionner en janvier 2016[1] à la suite de ce scandale impliquant en outre des élus de son parti majoritaire, l’Organisation révolutionnaire macédonienne intérieure-Parti démocratique pour l’unité nationale macédonienne (VMRO-DPMNE). De nouvelles élections législatives se sont tenues les 11 et 25 décembre 2016: elles ont été remportées par le parti de droite, qui a pu revenir au pouvoir.

Du coté albanais, l’Union démocratique pour l’intégration (BDI) d’Ali Ahmeti est également sortie une fois de plus en tête, mais néanmoins nettement affaiblie par l’irruption d’un nouveau parti albanais, reflet du mécontentement de l’électorat albanais de Macédoine.

Les résultats des élections

Après une campagne marquée par la brutalité des propos des différents partis, le VMRO-DPMNE de N. Gruevski, au pouvoir depuis 2006, a remporté les élections avec 51 des 120 sièges du Parlement, contre 49 sièges pour sa rivale l’Union social-démocrate de Macédoine (SDSM)[2]. Depuis la démission de N. Gruevski, le pouvoir était détenu par un gouvernement de coalition, composé dans l’attente d’un nouveau scrutin[3]. Le 9 janvier 2017, le Président macédonien a invité N. Gruevski à former un gouvernement dans un délai de vingt jours[4].

Du coté albanais, dont la population représente 25,5% de la population macédonienne, c’est également une fois de plus le parti d’A. Ahmeti, le BDI, qui a remporté le plus grand nombre de sièges, avec dix députés[5]. Ce parti n’est autre que l’héritier de la branche macédonienne de l’Armée de libération du Kosovo, mouvement séparatiste albanais qui fit son irruption en 2001 et qui s’est depuis reconverti suite aux accords d’Ohrid. Jusqu’en 2006, le BDI était en coalition avec le SDSM, avant d’entrer en coalition avec le VMRO-DPMNE jusqu’aux élections de décembre 2016[6]. En effet, en 2014, le BDI a connu quelques vicissitudes, n’obtenant que 19 sièges lors des élections[7]. Son principal concurrent, le Parti démocratique albanais (PDA), est lui passé de 7 députés en 2014 à seulement 2 en 2016, ce qui a provoqué la démission de son leader, Menduh Thaçi[8].

Alors que la scène politique albanaise de Macédoine était jusqu’à présent dominée par ces deux partis, l’équilibre s’est vu chambouler par l’irruption du nouveau parti Besa, créé seulement le 23 mars 2015 et qui a obtenu 5 sièges.

Qui est Besa ?

Bilal Kasami, ancien membre du BDI et leader du nouveau parti, décrit celui-ci comme réunissant les déçus des deux partis traditionnels, le BDI et le PDA[9]. Besa milite pour une refonte plus équitable du système institutionnel macédonien afin de garantir une égalité pour tous. Il promet de garantir le respect des droits des Albanais de Macédoine, contrairement au BDI qu’il accuse d’être le complice du parti de N. Gruevski.

De son côté, le BDI a tout au long de la campagne accusé le mouvement d’être le cheval de Troie de la Turquie, exprimant des doutes sur son financement[10]. Aucune preuve tangible n’a pour le moment été apportée attestant des liens étroits entre le régime de R. T. Erdogan en Turquie et Besa.

L’électorat albanais déçu par les partis traditionnels

Cette reconfiguration de la scène politique albanaise s’explique avant tout par un mécontentement de la population albanaise et un discrédit des partis politiques actuels.

Le conflit du Kosovo déborda à partir de 2 000 en Macédoine, avec l’apparition de l’Armée de libération du Kosovo sur son territoire. Le pays faillit imploser. Sous les auspices de l’Otan, de l’UE et des Américains, les parties prenantes signèrent les accords d’Ohrid le 8 août 2001. Ces accords devaient offrir des droits à la minorité albanaise et incluaient la reconnaissance officielle de la langue et de la culture albanaises, ainsi qu’une meilleure représentation politique des Albanais au sein des institutions étatiques. Des amendements à la Constitution macédonienne garantissaient que, dans tout district où 20 % de la population appartenait à une minorité, sa langue devenait langue officielle dans toutes les administrations locales et dans les relations avec le gouvernement central. En dessous de 20 % de la population, les langues minoritaires devaient être favorisées par les municipalités. Les députés appartenant aux minorités bénéficient de pouvoirs renforcés dans les domaines de la culture, de l’usage de la langue, de l’éducation, des documents administratifs et des symboles nationaux. L’entrée de membres des minorités dans le Conseil de sécurité de la République est permise et les autonomies locales ont été renforcées en ce qui concerne les finances et les élections municipales[11].

À la suite de la signature de ces accords, A.Ahmeti fonda l’Union démocratique pour l’intégration, en 2002. Depuis, le BDI a enchainé les coalitions gouvernementales avec les partis macédoniens. Si ces coalitions ont apaisé les tensions, les divisions ethniques subsistent. En 2015, le pays faillit sombrer après des échanges de tirs dans la ville majoritairement albanophone de Kumanovo, faisant 22 morts. Quelques semaines auparavant, le 21 avril 2015, un groupe armé composé d’albanophones avait pris possession d’un commissariat de police et réclamé la création d’un État albanais sur le territoire macédonien. En 2016, Zoran Zaev, leader du parti social-démocrate a divulgué des enregistrements impliquant A.Ahmeti et son chef de cabinet Artan Grubi, témoignant de pratiques corruptives avec le parti de N.Gruevski[12]. La divulgation de ces enregistrements a miné la confiance des Albanais, fatigués des promesses non tenues. Dès lors, le BDI a été de plus en plus souvent perçu comme complice des conservateurs macédoniens.

Alors que les identités ethnico-nationales continuent de primer sur toute forme de conscience nationale commune, les campagnes électorales se centrent généralement autour des appartenances et des préservations ethniques.

Du coté albanais, en 2016, il s’est agi pour chaque parti de convaincre l’électorat qu’il serait le meilleur pour protéger la population albanaise contre toute forme d’abus. Le BDI, en plein scandale, se devait de préserver son électorat déçu.

Une nécessaire entente pour les partis albanais

Finalement, la dernière campagne électorale, comme les précédentes, a consisté pour les partis albanais à se traiter mutuellement d’imposteurs et à tenter de convaincre de l’engagement de chacun pour la protection des droits des Albanais dans un contexte social où ces derniers ne s’estiment pas suffisamment représentés[13].

Avant que N. Gruevski ne soit invité à former le nouveau gouvernement, trois des quatre partis albanais (le quatrième étant le Mouvement pour les réformes-parti démocratique albanais de Zijadin Sela)ont signé une déclaration conjointe préalable à toute coalition. Ils y demandent la proclamation de la langue albanaise comme langue officielle sur tout le territoire macédonien, et non plus dans les seules zones où les Albanais sont majoritaires, ainsi que la modification du symbole national afin que celui-ci reflète mieux la population albanaise en tant qu’élément constitutif de l’État.

Il s’agit finalement pour le BDI de ne pas perdre le contrôle et de préserver son image de principal parti des Albanais face à BESA, devenu deuxième formation politique des Albanais avec ses 5 sièges. Or, face aux récents scandales, le BDI est confronté à la fuite de son électorat. Un appel commun aux partis albanais a été récemment lancé, afin de rejeter toute forme de coalition avec N. Gruevski[14]. Pourtant, le système institutionnel macédonien est tel que, pour assurer une bonne représentativité, une coalition semble incontournable. S’ils veulent garantir le respect des droits des Albanais au sein de l’instance parlementaire, les quatre partis n’ont donc d’autre solution que de coopérer.

Notes :
[1] « Démission du premier ministre Gruevski, la Macédoine vers des élections anticipées », RTBF, 14 janvier 2016.
[2] « Macedonia 2016 : Elections Leave Crisis Unresolved », Balkan Insight, 03 janvier 2017.
[3] « Macédoine : L’UE met fin à la crise politique », Le Figaro, 15 juillet 2017.
[4] « Gruevski invited to Form Macedonian Govt », Balkan Insight, 09 janvier 2017.
[5] « Rezultati nga zgjedhjet e deputetëve në Kuvendin e Republikës së Maqedonisë të mbajtura më 11 dhjetor 2016 » [Résultats des élections législatives de 2016 publiés sur le site internet du Parlement macédonien].
[6] « Manual për zgjedhjet Parlamentare në Republikën e Maqedonisë 2016 », Fondation Konrad Adenauer, 2016.
[7] « Legjislatura e deputeteve » [Résultats des élections législatives de 2014 publiés sur le site internet du Parlement macédonien].
[8] « Menduh Thaçi quits as Macedonia Party Chief », Balkan Insight, 23 décembre 2016.
[9] « Besa Movement Takes on Macedonia’s Albanian Establishment », Balkan Insight, 09 mai 2016.
[10] « S’kemi lidhje me Erdoganin, Turqia shtet mik », Zëri.info, 10 décembre 2016.
[11] Christophe Chiclet, «L’ambiguité des accords d’Ohrid », Confluences Méditerranée, 3/2007 (n°62), p. 106.
[12] « Macedonia’s Junior Rulin Party Accused of Corruption », Balkan Insight, 16 juin 2015.
[13] « Macedonian Albanians urge their parties to shun Gruevski », Balkan Insight, 16 juin 2015.

[14] « Macedonia’s Albanians Urged to Reject Gruevski Coalition », Balkan Insight, 18 janvier 2017.

Vignette : Le Premier ministre d’Albanie Edi Rama (Photo : domaine public).

* Jasha MENZEL est spécialiste des Balkans occidentaux.

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