Macédoine : une crise susceptible de déstabiliser toute la région

Le 27 avril 2017, le Parlement macédonien a été pris d’assaut par près de 200 militants associés à l’initiative Pour la Macédoine partagée (pro-nationaliste). Cette attaque a eu lieu lors de l’investiture de Talat Xhaferi, nouveau président du Parlement macédonien et membre de l’Union démocratique pour l’intégration, mais aussi ancien membre de l’Armée de libération nationale albanaise.


Parlement Skopje Macédoine du nordSi la crise qui dure depuis deux ans en Macédoine reposait jusque-là sur des motifs essentiellement politiques, elle pourrait désormais se transformer en conflit ethnique et se diffuser au reste de la région.

D’un conflit politique au risque de conflit ethnique

Le 7 janvier 2017, les trois partis albanais (l’Union démocratique pour l’intégration, l’Alliance pour les Albanais et Besa) ont adopté à Tirana une plateforme commune dans laquelle ils exigent l’officialisation de la langue albanaise sur tout le territoire macédonien[1]. Puis, le 27 février, ils ont finalement décidé de faire coalition avec l’Union social-démocrate (SDSM) de Zoran Zaev[2] avant que cette formation de gouvernement ne soit refusée par le président macédonien, Gjorge Ivanov, lui-même membre du VMRO-DPMNE (Organisation révolutionnaire macédonienne intérieure-Parti démocratique pour l’Unité nationale macédonienne, majoritaire au Parlement depuis 2006) du chef du gouvernement, Nikola Gruevski. Selon G. Ivanov, la plateforme albanaise représenterait un danger pour « la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance de la République de Macédoine »[3].

La pression de l’Union européenne n’a rien changé. Bien au contraire, avec le soutien de la Russie, le parti de N. Gruevski dénonce des ingérences occidentales en accusant l’Albanie voisine et des organisations civiles macédoniennes financées par l’Open Society, l’ONG du philanthrope américain George Soros. Souhaitant bloquer l’accession au pouvoir de Z. Zaev, le parti conservateur appelle à la mise en place de nouvelles élections et agite le spectre du séparatisme albanais.

Le VMRO-DPMNE avait déjà usé d’une telle stratégie lors des incidents de Kumanovo en mai 2015. Des affrontements armés entre la police macédonienne et un groupe albanais avaient provoqué la mort de 22 personnes et fait 37 blessés. Alors en plein scandale politique, le gouvernement macédonien avait accusé les occidentaux d’avoir joué un rôle dans ces événements dans le but de le déstabiliser. Alors que N. Gruevski avait toujours mené une politique pro-européenne et favorable à l’OTAN, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait alors jugé « triste et dangereux de saper le gouvernement de Gruevski » et affirmé « avoir des preuves tangibles de tentatives extérieures de pousser le pays dans le gouffre d’une révolution de couleur »[4].

Le risque d’une déstabilisation de la région

La crise macédonienne peut avoir des répercussions sur toute la région. Les Balkans occidentaux ont en effet connu un regain de tensions depuis le début de l’année 2017. Les médias serbes proches du pouvoir ont accordé une grande importance aux événements en Macédoine et la menace de création d’une Grande Albanie par le VMRO-DPMNE peut également être utilisée par la Serbie d’Aleksandar Vučić. Le 29 avril 2017, le président serbe a d’ailleurs annoncé un renforcement des mesures de sécurité à la frontière avec la Macédoine.

L’Albanie a elle aussi réagi aux événements macédoniens. Le ministre albanais des Affaires étrangères, Ditmir Bushati, a déclaré que « se préoccuper de la situation des Albanais au-delà des frontières (était) une obligation constitutionnelle »[5]. Lors d’une interview accordée au site américain Politicole 18 avril 2017, le Premier ministre albanais Edi Rama a, quant à lui, déclaré que si l’adhésion européenne était fermée à l’Albanie et au Kosovo, les deux États n’auraient plus d’autre solution que celle de se réunir. Si ce message était plus destiné à l’UE qu’à la Serbie, cette dernière s’en est néanmoins aussitôt saisie pour tirer la sonnette d’alarme quant à la création d’une Grande Albanie.

Les événements de Macédoine s’inscrivent bien dans un climat de tensions régionales, face à une diplomatie européenne impuissante et alors que la Russie ne cache pas son soutien au parti de N. Gruevski.

Les raisons de l’implication russe

Paradoxalement, le VMRO-DPMNE peut en effet compter sur le soutien de la Russie. Le 2 mars 2017, le ministère russe des Affaires étrangères a ouvertement accusé l’UE et l’OTAN d’être responsables de cette crise et de soutenir la création d’une Grande Albanie[6].

Depuis les incidents de Kumanovo, la diplomatie russe a progressivement apporté son soutien à N. Gruevski et à son parti, abandonnés et critiqués par les Occidentaux. Si la Russie n’a pas a priori d’intérêts particuliers en Macédoine, apporter son soutien à N. Gruevski, qui avait refusé de s’aligner sur les sanctions occidentales à son encontre, lui permet de contrer l’influence européenne.

Par ailleurs, la Macédoine pourrait jouer un rôle important dans le projet de gazoduc Turkish Stream, qui doit via la mer Noire acheminer du gaz russe vers l’Europe. Le 7 avril 2015, les ministres des Affaires étrangères de cinq pays, dont la Macédoine (les autres sont la Turquie, la Grèce, la Hongrie et la Serbie) ont signé à Budapest une lettre d’intention exprimant leur intérêt pour ce projet alternatif au South Stream qui, lui, devait passer par la Bulgarie. C’est la société russe Stroytransgaz de l’oligarque Guennadi Timtchenko, placé sur la liste des personnalités soumises à embargo par les États-Unis en mars 2014, qui devrait construire le tronçon macédonien[7].

Turkish Stream prévoit d’acheminer le gaz russe via deux pipelines en passant sous la mer Noire, l’un pour alimenter le marché turc, l’autre devant être prolongé vers l’Europe de l’Ouest[8]. Même si le projet a été fragilisé par la destruction d’un bombardier russe par l’aviation turque en novembre 2015, puis par l’assassinat de l’ambassadeur russe à Ankara en décembre 2016 ou encore par les divergences entre les deux États sur le dossier syrien, il reste important pour les deux partenaires. Il doit permettre à la Russie d’accéder au marché européen et d’asseoir son influence énergétique en Turquie, déjà confortée par les gazoducs Blue Stream et Trans-Adriatic Pipeline (TAP), qui doit partir de la frontière turco-grecque[9]. La Turquie, de son côté, connaît une hausse de sa consommation de gaz et donc de ses besoins. La construction du gazoduc devrait en outre renforcer son importance régionale en tant que pays de transit.

Une diplomatie occidentale impuissante

L’Union européenne ne semble plus bénéficier de son attractivité initiale. La Macédoine est candidate à l’adhésion européenne depuis 2005, mais le processus piétine notamment en raison de l’opposition systématique de la Grèce qui exige un changement préalable de nom de la Répubique (Athènes considère en effet que la Macédoine est le nom d’une région historique grecque). L’Union européenne ne devrait, quoi qu’il en soit, plus intégrer de nouveaux États jusqu’en 2020.

Alors que de nombreux pays balkaniques perçoivent la diplomatie européenne comme impuissante, l’enjeu du transit de gaz russe peut apparaître comme particulièrement attractif pour certains États de la région, dont la Macédoine.

Après avoir longtemps encouragé le processus d’intégration euro-atlantique des pays de la région afin, entre autres, de maintenir la Russie à distance, les États-Unis sont, eux aussi, désormais en retrait dans cette crise. Le nouveau président Donald Trump n’a fait aucune déclaration publique à propos de la crise macédonienne, tout concentré qu’il était au même moment sur la question du nucléaire nord-coréen, et il est encore trop tôt sans doute pour juger de ce que pourrait être sa diplomatie dans la région.

Ce retrait de la présence américaine et européenne ouvre donc une brèche dans laquelle la Russie ne devrait pas manquer de s’insérer, faisant notamment valoir ses plans énergétiques.

Notes :
[1] « Macedonian Opposition Claims Coalition Deal With Ethnic Albanians », Radio Free Europe, 27 février 2017.
[2] Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin, « Macédoine. Des affrontements, une crise régionale et une tourmente pour l’UE », Alencontre, 30 avril 2017.
[3] Benoît Vitkine, « En Macédoine, le pouvoir dénonce les ingérences occidentales », Le Monde, 11 mars 2017.
[4] Jean-Baptiste Naudet, « Le grand jeu de Moscou et des Occidentaux dans les Balkans », L’Obs, 13 juillet 2015.
[5] Ognen Teofilovski, « La Macédoine, nouvelle pierre d’achoppement entre l’Occident et la Russie », Geopolis, 21 mars 2017.
[6] Andrew Rettman, « EU and Russia step into Macedonian crisis », Euobserver, 3 mars 2017.
[7] Céline Bayou, « Turkish Stream: la bataille ne fait que commencer », Diploweb, 9 juin 2015.
[8] Elisabeth Studer, «Russie/Turquie: rapprochement financier, commercial et militaire, Turkish Stream en arrière plan», Le blog finance, 10 mars 2017.
[9] Alexey Khlebnikov, «Why the Turkish Stream pipeline could unite Russia, Turkey in Syria», Russia Direct, 25 janvier 2017.

Vignette : Le Parlement à Skopje (photo Wikimedias Commons)

* Jasha MENZEL est spécialiste des Balkans occidentaux.

244x78