Mobilités des Roms albanais et kosovars en Europe

Les Roms, sujets à une exclusion sociale et économique sur les territoires albanais et kosovars, ont migré en nombre en Europe occidentale depuis les années 1990 et plus intensément encore depuis 2010.


En Albanie comme au Kosovo, la population dite « rom » se compose de plusieurs groupes : les Ashkalis et les Égyptiens (ces deux groupes étant des Roms parlant albanais et de confession musulmane), ainsi que des Roms non musulmans et le plus souvent locuteurs du romani[1]. À l’étranger, ces populations, se retrouvent sur les mêmes sites. Leur importance numérique n’est pas aisée à estimer, en raison des mobilités engendrées par le conflit de 1999 au Kosovo, d’une part, et des difficultés d’inscriptions des populations roms sur les registres d’état-civil albanais, d’autre part. Cette communauté compterait à ce jour de 20 000 à 30 000 membres au Kosovo et, suivant les observateurs, de 8 000 (recensement de 2011) à 100 000 (associations roms) en Albanie[2]. Les conditions de vie précaires des intéressés dans leurs pays a poussé plusieurs dizaines de milliers d'entre eux à partir à l’étranger, et à demander à bénéficier de la protection internationale offertes aux réfugiés pour y demeurer.

Des mobilités internes infructueuses

En décembre 1990, la République populaire socialiste d'Albanie fut un des derniers régimes communistes à chuter. Parmi les changements qui ont suivi cet événement et modifié sensiblement le paysage économique, la privatisation brutale des domaines agricoles collectifs et des entreprises publiques, a laissé les ouvriers roms sans emploi. Dotés d'un niveau de formation minimal, plusieurs milliers d'entre eux ont migré vers des zones urbaines – principalement à Tirana, ainsi qu’à Berat, Elbasan, Fier, Fushë-Krujë ou Shkodër. Les intéressés y ont dressé des campements (tentes, cabanes) sur des terrains inoccupés ou ont investi des bâtiments désaffectés. Ils ont également développé des activités de survie dans l’économie informelle (récupération de matériaux, mendicité, nettoyage).

À la suite de la Guerre du Kosovo (1998-1999) et jusqu’en 2010, 51 000 Roms kosovars se sont expatriés, sollicitant la protection internationale, avant d'être pour partie rapatriés dans leur pays d’origine[3]. À son retour, cette population s'entasse dans des quartiers roms, tel que Roma Mahalla (Mitrovica), dans des campements insalubres à la périphérie des villes ou encore dans des camps de réfugiés fondés depuis 1999 au Kosovo, mais également dans les pays frontaliers (Serbie, Macédoine, Monténégro). Dans un environnement peu accueillant, faisant régulièrement l'objet d'expulsions et étant victimes d'actes malveillants, ils recourent au même type d'activité économique que leurs homologues albanais.

Les membres de ces communautés, dispersés dans ces deux pays, connaissent habituellement une situation précaire (avec des difficultés d'accès à l'emploi, au logement, aux soins et à l'éducation, tout en bénéficiant rarement des aides sociales), qui leur offre peu de perspectives d'avenir.

Une migration massive en Europe de l’Ouest

De nombreux départs d'Albanais et de Kosovars vers l'étranger se sont produit entre 1990 et 2010. Cependant, même s'ils ont été de plus en plus visibles en Europe de l’Ouest, les membres de la communauté rom ne représentaient pas la majorité des partants. En effet, au milieu des années 2000 ils formaient à peine 10 % des Albanais sollicitant l’asile en Union européenne et seulement 20 % des demandeurs kosovars[4].

Depuis la fin des années 2000, on observe en Europe de l’Ouest l’arrivée de nombreux « réfugiés » albanais et kosovars, comprenant entre autres plusieurs dizaines de milliers de Roms. D'autres facteurs que la situation socio-économique des membres de la communauté expliquent l'ampleur de ces mobilités internationales: le développement des réseaux de passeurs à partir de la Serbie et du Monténégro, l'implantation durable de communautés d'émigration dans certains pays européens (en 2007, l’Allemagne accueillait sur son territoire 38.000 Roms albanais et kosovars) ou encore l'accès dans le pays d'arrivée à des dispositifs d'accueil et d'hébergement permettant de stabiliser leur situation.

Le véritable élément déclencheur de ce phénomène a été la levée par Bruxelles de l'obligation de visa pour les ressortissants albanais et kosovar le 8 novembre 2010, une décision qui leur permet une libre circulation dans l’espace Schengen, suivi de la diffusion de cette information auprès de plusieurs clans roms. Plusieurs milliers d'entre eux ont traversé progressivement l'Europe en autobus ou en camionnettes, non pour se rendre dans les pays d'accueil traditionnels de populations albanophones (Grèce et Italie), mais pour rejoindre ce qu'ils croyaient être, certains passeurs entretenant l’illusion, l'Eldorado du vieux continent (Allemagne, France, Suède, Belgique, Suisse principalement), car les partants pouvaient y bénéficier en principe de dispositifs d’accueil comprenant hébergement, restauration, prise en charge sociale et soins médicaux. Les Roms albanais qui tentent l'aventure sont principalement originaires du Nord de l'Albanie, de Tirana, même si on trouve également en Allemagne des personnes originaires de Durrës. Une concentration importante de Roms kosovars est observée dans le Land de Rhénanie-Westphalie.

Mais en 2013, l'Allemagne, principal pays d'accueil, a commencé à fermer ses portes aux migrants originaires des Balkans occidentaux. Elle privilégie dorénavant l'accueil de réfugiés en provenance de Syrie dans le cadre d'un programme lancé la même année. Cette même année, Berlin a tenté de rapatrier 12 000 Roms (et Ashkali) au Kosovo. Malgré ces changements dans sa politique d'accueil (raccompagnements, traitement accéléré des demandes d'asile, ...), l’Allemagne conserve un attrait certain auprès de ces populations balkaniques et les tentatives de migration se poursuivent à ce jour.

Arrivée de Roms albanais en France...

Depuis 2012, alors que l’économie albanaise montre des signes manifestes de ralentissement, les Albanais et Kosovars candidats à l’émigration bénéficient d’un contexte politique plus favorable pour tenter d’obtenir l’asile en France. En effet, le 26 mars 2012, le Conseil d’État (décision N°349174) a retiré l’Albanie et le Kosovo de la liste des pays « sûrs », motivant sa décision par les violences auxquelles « certaines catégories de leur population étaient exposées » dans ces deux pays, faisant référence implicitement à la situation des Roms. Après ce revirement, les demandes de protection internationale déposées auprès des autorités françaises par les ressortissants de ces deux pays se sont multipliées. Au dernier trimestre 2012, 2 703 ressortissants albanais et 1 225 Kosovars avaient déposés leurs dossiers[5]. Les premiers points de fixation des ressortissants albanais se situaient autour de Lyon[6]. À proximité de ces villes, des membres de la communauté rom albanaise ont rapidement dressé des campements improvisés. L’année suivante, les autorités françaises ont accordé un titre de séjour régulier à 663 Albanais. Ce mouvement migratoire s'est ensuite prolongé les années suivantes.

Notons cependant que jusqu'au milieu des années 2010, les arrivées de Kosovars sur le territoire français furent plus massives que celles de leurs voisins albanais. Sur la période de janvier à juin 2015 la première place des primo-demandeurs d’asile en France était occupée par les Kosovars (1 535 enregistrements). Cependant, depuis cette date, il a été observé un renforcement important du flux de migrants albanais sollicitant une protection internationale auprès des autorités françaises (5.769 demandeurs d'asile en 2015, 7 432 dépôts de dossiers en 2016). Les Albanais représentent alors jusqu'à 75 % de la demande d'asile. En quelques mois, 30 000 de leurs compatriotes, sensibles aux arguments des passeurs, ont quitté le pays pour se rendre dans différentes villes françaises. Les Roms sont les principaux acteurs de ce mouvement migratoire.

Au début de l’été 2017, le gouvernement français s'est rapproché de l’Albanie, désireuse d'adhérer à l'Union européenne et qui pour ce faire a besoin de l'appui de Paris. Le 20 juillet 2017, le ministre albanais des Affaires étrangères Ditmir Bushati a présenté un plan d’action visant à réduire sensiblement l’immigration albanaise en France. Le ministre de l'intérieur Gérard Collomb doit se rendre en Albanie en octobre 2017 pour s'assurer de la mise en œuvre de ces mesures.

Notes :
[1] Différents clans sont ainsi présents en Albanie tels que les Kallbuxhinjs, les Meçkares, les Kurtofets et les Cergarets.
OFPRA, Rapport de mission en République d’Albanie, 2014, Paris.
[2] Human Rights Watch, « Kosovo : Les Roms renvoyés vers ce pays par divers gouvernements européens sont confrontés à la détresse à leur retour », New York, 28 octobre 2010 ; HRW, « Rights Displaced: Forced Returns of Roma, Ashkali and Egyptians from Western Europe to Kosovo », New York, 27 octobre 2010.
[3] European Asylum Support Office, « Demande d’asile des Balkans occidentaux », Luxembourg, 2014.
[4] Eurostat.
[5] Forum réfugiés-COSI, « Mission exploratoire en Albanie du 1er au 6 avril 2013 », Villeurbanne, 2013.

Vignette : Prizren, Albanie (Charles Roffey, 2008)

* Stéphan ALTASSERRE est Docteur en Études slaves, spécialiste des Balkans.

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