Moldavie: le déclin d’une coalition pro-européenne

Alors que la République de Moldavie était présentée il y a quelques mois comme le meilleur élève du Partenariat oriental, que l’accord d’association avec l’Union européenne devait être signé lors du sommet de Vilnius à l'automne 2013, et que certaines déclarations faisaient miroiter aux citoyens la possibilité de pouvoir circuler dans l’espace Schengen sans visas à partir de 2014, le pays semble aujourd’hui s'enfoncer dans la crise.


Mihai Ghimpu, président du Parti libéral moldave, 19 mai 2013Il y a tout juste quatre ans, la Moldavie connaissait une «révolution twitter», du nom des réseaux sociaux qui auraient accéléré la circulation de l’information dans un pays plombé par le gouvernement du Parti des Communistes de la République de Moldavie (PCRM) et par son leader, le président de l’époque, Vladimir Voronine. Le 7 avril 2009, après la publication des résultats des élections qui donnaient au PCRM la majorité pour une troisième législature d’affilée, de violentes manifestations éclatèrent à Chişinǎu, téléguidées, selon le PCRM, par les services secrets roumains. Le président Voronine, dont le mandat venait à expiration, réussit à reprendre le contrôle de la rue, mais n’arriva pas à imposer un candidat à sa succession. S’ensuivirent des élections anticipées en juillet qui donnèrent majorité aux partis de l’opposition. Ces derniers formèrent une coalition dénommée «Alliance pour l’Intégration Européenne» (AIE) et formée du Parti démocrate de Moldavie (PDM) de Marian Lupu et Vlad Plahotniuc, du Parti libéral démocrate de Moldavie (PLDM) de Vlad Filat et du Parti libéral (PL) de Mihai Ghimpu. Ce dernier déclarait alors vouloir faire revenir la République de Moldavie dans le giron de l’Union européenne.

Les années 2009-2012 furent alors marquées par un double processus politique. D'une part, l’«Alliance pour l’Intégration Européenne» (AIE) entama des pourparlers avec l’UE en vue de marquer le choix pro-occidental de la Moldavie. Tandis que ces années virent aussi un début de dégel dans le dossier transnistrien, avec la reprise des négociations dans le cadre «5+2», la défaite spectaculaire du «président» transnistrien Igor Smirnov en décembre 2011 et surtout la reprise de contacts directs entre Chişinǎu et Tiraspol. D'autre part, malgré un démarrage laborieux mais prometteur, les rivalités politiques parurent l'emporter sur les avancées et le pays s'enlisa dans la crise, les autorités se révélant incapables d'élire un Président. Ce n'est qu'avec l’investiture de Timofti le 23 mars 2012[1] qu'a semblé définitivement se clore le chapitre de l’instabilité chronique en République de Moldavie, impression confirmée par la venue à Chişinǎu de plusieurs personnalités de premier plan, comme Angela Merkel (août 2012), José Barroso (novembre 2012), et Bronisław Komorowski (décembre 2012).

Partie de chasse et débâcle politique

Le début de la débâcle politique survint d’une manière inattendue. Le 23 décembre 2012, alors qu'un groupe d’une trentaine de dignitaires moldaves participait à une partie de chasse, le procureur général de Moldavie, Valeriu Zubco, tira accidentellement sur un jeune homme d’affaires, Sorin Paciu, provoquant son décès. Le drame humain tourna vite au cauchemar politique. Les participants tentèrent d’étouffer l’affaire et S.Paciu fut inhumé en toute discrétion. Ce n’est que le 6 janvier 2013, que Sergiu Mocanu, ancien député et dirigeant d’un petit parti d’opposition, révéla l'affaire. Les principaux responsables de l’État affirmèrent n’être au courant de rien, alors que plusieurs sources officieuses soutenaient le contraire. L’affaire prit de l’ampleur et V.Zubco dut démissionner du poste de procureur général. Mais le scandale eut surtout un volet politique. Selon l’accord de coalition de l’AIE, le poste de procureur général revenait au Parti Démocrate de Moldavie ou, plus clairement, à Vlad Plahotniuc, dont V.Zubco et le malheureux S.Paciu furent considérés comme des proches. À l’origine, V.Plahotniuc aurait arraché en catimini l’accord de Vlad Filat pour garder le secret et sauver V.Zubco. Mais V.Filat profita de la situation et accusa V.Plahotniuc de corruption afin d’affaiblir le dirigeant du PDM. Le 13 février 2013, V.Filat annonça sa sortie de la coalition[2] et deux jours plus tard arracha du Parlement l’éviction de V.Plahotniuc du poste de Premier vice-Président de la chambre.

Le camp Plahotniuc passa immédiatement à la contre-attaque. Dès le 18 février, furent diffusés des enregistrements d’écoutes téléphoniques selon lesquels V.Filat aurait fait pression sur les autorités fiscales du pays afin d’obtenir quelques passe-droits. Le PDM déposa aussi une motion de censure qui, le 5 mars, obtint la majorité des votes, provenant essentiellement du PDM, du PCRM et de quelques députés non-alignés[3]. Le PL ne participa pas au vote, mais son dirigeant Mihai Ghimpu déclara par la suite que son parti s’opposait à une éventuelle reconduction de V.Filat. Pourtant, le 10 avril 2013, le président Timofti désigna Vlad Filat comme nouveau Premier ministre, alors que celui-ci ne disposait pas de la majorité parlementaire nécessaire.

Réconciliation et coup de théâtre

Survint alors une série d’événements qui fit penser à une réconciliation Filat-Plahotniuc et à une reprise en main de la situation. Tout d’abord, une majorité sembla retrouvée grâce à une scission inattendue au sein du Parti libéral. Un groupe de sept de ses députés, sur un total de douze, emmenés par Ion Hadârcǎ, figure de proue de la lutte anti-soviétique des années 1980, annonça la constitution, au sein du PL, d’un «groupe réformateur», ainsi que son ralliement à la candidature de Filat. Le groupe de Hadârcǎ fut exclu du PL, mais les sept voix étaient suffisantes pour créer une nouvelle majorité avec le PLDM et le PDM, cette fois-ci sans Mihai Ghimpu. Par ailleurs, le 19 avril 2013, le Parlement élit un nouveau procureur général en la personne de Corneliu Gurin –un autre protégé de Plahotniuc. Le même jour, le Parlement modifia la loi électorale en introduisant un mode de scrutin mixte et non plus proportionnel. Cette disposition fut considérée comme très favorable à Plahotniuc, car les moyens financiers de celui-ci lui permettraient d’entretenir un réseau dense de fédérations dans toutes les circonscriptions uninominales du pays, réseau dont ne dispose pas le PLDM. Filat parvint à redevenir Premier ministre. Il fit ainsi publiquement marche arrière et reconnut s’être trompé en accusant Plahotniuc de corruption[4]. À sont tour, ce dernier déclara ne s’être jamais disputé avec Filat[5]. Selon Lupu, ces déclarations constituèrent un échange de garanties entre les deux personnages[6].

À ce moment précis, un coup de théâtre bouleversa radicalement la donne. Le soir du 22 avril, la Cour constitutionnelle rendit un verdict selon lequel la désignation de Filat comme Premier ministre était contraire à la Constitution, car une personne accusée de corruption ne peut briguer ce poste. Ce verdict provoqua une réaction brutale de Filat. Le 25 avril, le PLDM avec les communistes vota la destitution de Marian Lupu du poste de président du Parlement. Le PLDM, toujours avec le PCRM, vota ensuite plusieurs décisions très controversées. La loi électorale fut abrogée avec un retour vers le plein scrutin proportionnel et Corneliu Gurine fut révoqué du poste de procureur général à peine une semaine après sa nomination[7]. D’autres décisions furent votées le 3 mai 2013 par cette «coalition» PDLM-PCRM: les juges de la Cour constitutionnelle peuvent dorénavant être révoqués par le Parlement, le seuil électoral pour l’obtention est passé de 4 à 6% des voix et le Conseil national anticorruption va être mis sous tutelle du gouvernement. Mais c’est surtout la loi remettant en cause l’inamovibilité des juges de la Cour constitutionnelle qui a éveillé les critiques de l’UE.

Quatre ans après la «révolution twitter», sa figure principale, Vlad Filat, a voté main dans la main avec l’ennemi juré de l’époque, Vladimir Voronine. Cela étant, quelques semaines plus tôt, le PDM faisait de même. Ce ne sont donc pas les étiquettes idéologiques qui permettent d’appréhender la nature du système politique de la République de Moldavie. En fait, l’équation pourrait se résumer au contrôle des avoirs. Comme dans de très nombreux pays de la région, jamais la lumière n’a été faite sur l’origine de la richesse des hommes d’affaires de la République de Moldavie. Selon un scénario très bien rodé, ces hommes semblent profiter de leurs moyens pour dominer la vie politique par une assistance financière, par un engagement politique direct ou par une influence sur l’opinion publique à travers les médias privés. Ceci permet d’une part d’accroître encore les richesses, mais surtout de garder la mainmise sur l’appareil de l’État, au cas où celui-ci aurait l’inopportune idée –par exemple sous l’emprise d’un autre homme d’affaires tout aussi puissant– de faire la lumière sur l’origine des sommes accumulées, afin de mettre en difficulté un personnage non-apprécié. Et comme l’origine des fortunes est dans tous les cas peu claire, il n’est jamais difficile de «trouver quelque chose» contre quelqu’un et de lui faire perdre son influence et son argent. Ainsi, l’instrumentalisation des structures de l’État semble le moyen le plus simple pour pérenniser sa position politique et économique. À l'heure où un nouveau gouvernement vient d'être élu, quel est l'avenir du choix pro-européen ?

Notes :
[1] Vincent Henry, «Moldavie: La fin d’une longue crise politique?», Regard sur l'Est , 1er juin 2012.
[2] Selon Unimedia, 19.05.2013.
[3] Selon Europa Libera, 19.05.2013.
[4] Selon Unimedia, 19.05.2013.
[5] Selon Unimedia, 19.05.2013.
[6] Selon Unimedia, 19.05.2013.
[7] Après l’annonce du verdict de la Cour constitutionnelle, certains députés du PDLM affirmèrent «s’être souvenus» qu’ils n'étaient pas présents lors de l’élection de Gurine dans la salle des séances du Parlement, alors que selon le procès-verbal ils s’y trouvaient bien. Leur absence aurait toutefois signifié que Gurin n’avait pas obtenu la majorité nécessaire pour être élu procureur général. Et ce dernier prétexte fut utilisé pour procéder à l’éviction de Gurine. Par la suite, la Cour constitutionnelle abrogea la destitution de ce dernier.

Vignette : Mihai Ghimpu, président du Parti libéral moldave, 19 mai 2013 (Crédit © Union européenne, 2013).

* Maître de conférences au Département d'Histoire politique moderne de l'Institut d'Études politiques de l'Université de Varsovie.