Monopole économique et défense de l’identité tatare : le modèle  »abliazovien »

Il est un ponte tatar incontournable pour celui qui voudrait comprendre l'influence de cette communauté dans la région de Saratov. Kamil Abliazov cumule deux casquettes officielles : directeur de la florissante entreprise Narat, il est aussi représentant du centre culturel bachkiro-tatar de Saratov. Rencontre.


Impossible de l'éviter : située au cœur de la capitale régionale, la représentation bachkiro-tatare s'élève au 75 rue Moskovskaya, à Saratov. Elle partage ses locaux avec le siège de l'entreprise Narat et de la filiale NaratBank.

Luxueux, le bâtiment est soigneusement gardé par une poignée de vigiles et de gardes du corps. Kamil Abliazov entend dévoiler sa richesse et son haut-rang. Placé parmi les dix personnes les plus influentes de la région, il régule la communauté tatare.

L'homme a des allures de chef de clan : carrure impressionnante, attitude condescendante, financements aux allures intarissables et statut politico-culturel. Au mur de son bureau de représentant, des drapeaux de la République du Tatarstan et de Bachkérie. Mais aussi des plans du futur centre culturel à Ukek, l'ancienne cité mongole, ainsi que des photos immortalisant ses rencontres avec des hauts dirigeants arabes ou centre-asiatiques.

K.Abliazov joue la carte identitaire. Allant même jusqu'à se comparer aux nationalistes corses en France. ''Ils doivent perpétrer leur culture et leur influence, contre le pouvoir central. A l'image de notre communauté'', recommande-t-il, fier d'avoir comparé, l'espace d'un instant et devant une audience française, les Tatars aux Corses. ''Les Tatars ont développé un instinct de survie qui explique aujourd'hui leur pénétration politico-économique sur le schéma régional russe. Son héroisme à travers l'histoire soviètique a révélé un fort pourcentage de soldats, généraux ou officiers d'origine tatare contre les Allemands et les Turcs''.

Représentant des deux républiques voisines du Tatarstan et de Bachkérie pour les oblast de Saratov, de Volgograd et de Penzan depuis trois ans, K.Abliazov entretient des relations directes avec les hauts dignitaires politiques et économiques. Une place en or pour l'entrepreneur qu'il représente. ''En tant que représentant, j'aide à la pénétration des commercants tatares de la région dans le secteur de l'automobile et du pétrole. Nous sommes les premiers dans le secteur saratovien des pneus et dans la production des camions. Le Tatarsan occupe la 4e place dans l'industrie russe. La Bachkérie, la 7ème ou 8ème place. Le potentiel est donc très élevé. Contrairement à Saratov qui, par comparaison, manifeste un potentiel faible'', précise-t-il.

Interrogé sur les avantages que lui offrirait son double emploi, K.Abliazov nie en bloc : ''Narat est un business privé. Ma mission est avant tout politique et culturelle. Je contrôle de nombreux secteurs. Plus de deux cents grandes entreprises participent au holding de Narat, réparties sur l'ensemble du territoire russe. Je n'ai pas besoin de mon statut de représentant pour développer mon entreprise''.

Aujourd'hui, les Tatars représentent 2,8% de la population régionale. L'influence dépasse les chiffres. ''Avant la révolution d'Octobre, 50% de l'industrie étaient aux mains des Tatars'', mentionne K.Abliazov, gonflant largement l'influence économique des Tatars sur la région, celle-ci ne s'étant développé que récemment.

Quant à sa représentation, elle finance une grande partie des activités culturelles, la construction de la grande mosquée, ainsi que la nouvelle maison tatare érigée dans le Parc de la Victoire. Elle est également active en région pour financer la construction et le fonctionnement de quelques dix-sept mosquées. ''Toutes les activités liées aux écoles ou aux mosquées sont aussi sponsorisées par des figures clés de la communauté tatare, moi-même et d'autres comme Tourtaev, Kudashev, Ganiev ou Sogushov'', précise K.Abliazov.

Aujourd'hui, la représentation se concentre sur un projet de grande ampleur : le projet de ''ville bleue'' à Ukek, l'ancienne cité mongole fondée au XIIIe siècle. Enregistrée au patrimoine mondial de l'UNESCO, Ukek pourrait rapidement voir la construction d'un mausolée, entouré de maisons de marbre. ''Financé par la seule communauté tatare, ce projet de deux millions de dollars devrait voir le jour au plus tôt et aboutir pour mes 60 ans. Nous allons bâtir le mausolée selon des modèles anciens''. Un projet n'ayant reçu, aux dires de K.Abliazov, aucun soutien émanant du gouverneur D.Ayastkov ou de l'inspecteur fédéral R.Khalivov. L'unité arborée par les représentants de la communauté tatare commence à se fêler.

Interrogé sur les relations entretenues entre les diverses nationalités de la région, K.Abliazov dévoile une nouvelle casquette : celle, cette fois-ci, de représentant du Kazakhstan pour la région de Saratov. ''L'idéal serait d'unir les leaders des diverses communautés pour mettre en œuvre une politique de financement de création d'écoles communautaires. Un gymnase {enseignement primaire et secondaire, NDRL} est comme un berceau pour une nationalité. Par conséquent, je voudrais demander au gouvernement de notre oblast un budget pour l'éducation proportionnel, à hauteur du pourcentage que représente chaque nationalité'', explique-t-il.

Se faisant ardent défenseur des nationalités, notre interlocuteur avoue pourtant le cloisonnement et l'opacité entre les différentes communautés présentes dans la région. Si les enfants tatars apprennent sur le banc de l'école le tatar, l'arabe ou le farsi, à l'heure du mariage, il est impossible d'envisager une union hors communauté tatare. ''Nous n'avons pas de bonnes relations avec les Caucasiens. Notre islam est différent. Ce sont des sauvages'', lance-t-il au détour d'une réponse. La tolérance théorique a ses limites. Et le racisme n'a pas de couleur.

Quant aux perspectives régionales de la communauté tatare, il les lie à celle de la Russie. Un point sur lequel notre chef d'entreprise rejoint les politiques tatars locaux. ''Nous ne perdrons pas notre fibre patriote, tout en gardant en tête notre identité tatare. Nous organisons régulièrement des soirées discothèque pour les jeunes Tatars. Ce sont des soirées dansantes sans alcool qui permettent de créer un point de rendez-vous dans cette ville où il y a beaucoup de nationalités. Une manière d'encourager les mariages intracommunautaires. Entre Tatars''.

Par Célia CHAUFFOUR