OTPOR! – RESISTANCE !

Entretien avec deux militants du mouvement Otpor!, Petar Drapsin et Igor Jeremic, contactés par le biais de leur site internet.


"La clé de la relève du régime en Serbie est avant tout liée à l'éveil des personnes, car leur engagement politique n'est pas suffisant. Dans la mer plate du système politique serbe, OTPOR! demeure le pavé dans la mare dont l'effet se répand en ondes concentriques".

Manifeste de OTPOR!

Quand et comment est né le mouvement OTPOR! ? 

Petar Drapsin : Le mouvement OTPOR! est né en octobre 1998 en réponse à la répression grandissante du régime et à l'apathie de la population provoquée par la passivité de l'opposition. En fait, une dizaine d'étudiants de Belgrade ne supportait plus de rester assise à regarder ce qui se passait sans réagir. Notre entrée sur la scène politique a été marquée par l'arrestation de 4 militants qui avaient tagué des poings dressés (symbole de OTPOR!) sur les murs d'immeubles en ruines à Belgrade.

Igor Jeremic : Au début, la majorité des militants d'OTPOR! était composée d'étudiants. Plusieurs organisations estudiantines se sont regroupées pour s'opposer à la nouvelle loi sur l'université. Cette mesure avait été prise par l'état pour sanctionner les étudiants qui avaient pris part aux grandes manifestations de PROTEST en 96-97. Très vite, notre mouvement s'est consolidé et a commencé à revendiquer des changements plus larges au sein de la société. A la suite d'une nouvelle loi sur l'information, le journal Devni Telegraf, par exemple, a du fermer pour avoir publié un tract de OTPOR! Depuis cet incident, nous nous battons pour une réelle liberté de la presse dans notre pays.

Quels sont vos revendications ? 

P.D : Les revendications de OTPOR! sont énoncées dans la Déclaration pour l'avenir de la Serbie rédigée vers la mi-septembre 98 par 40 personnalités marquantes, toutes membres du comité de OTPOR! Onze organisations estudiantines de toute la Serbie ont adopté cette déclaration comme leur programme de base. Le départ de Milosevic, l'organisation d'élections dans le respect des règles démocratiques et l'abrogation de toutes les lois répressives (sur l'université, les médias…) constituent la base des revendications de cette Déclaration.

I.J : Pour le moment, ce sont les prochaines élections qui nous préoccupent le plus. Malheureusement, nous ne pouvons pas dire que nos exigences à ce sujet, c'est à dire l'organisation d'élections libres et démocratiques sous une surveillance internationale, soient respectées.

Combien OTPOR! compte-t-il de membres ?

P.D : OTPOR! n'a aucun membre : il n'est composé que de militants. Nous sommes très attachés à ce type d'organisation. Personne ne sait combien nous sommes réellement car le nombre de nos sympathisants ne cesse de croître, pour ainsi dire chaque jour. Je peux simplement vous dire que nous sommes plus de 20 000 aujourd'hui, c'était le chiffre officiel il y a quelques mois. Actuellement, des dizaines de milliers d'adhérents se répartissent dans 123 agglomérations, et nous comptons 40 bureaux actifs dans les principales villes de Serbie.

I.J : Nous n'avons aucune hiérarchie précise, pas même une carte de membre. Et cela pour plusieurs raisons. La plus importante est la suivante: garantir la sécurité de nos militants. D'après les chiffres en ma possession, on compte environs 50 000 adhérents à OTPOR! En fait, les OTPORistes ne sont pas seulement des gens qui ont adhéré à notre mouvement et à nos idées. Ce sont tous ceux qui nous soutiennent et qui résistent au régime d'une manière ou d'une autre. Ils sont enseignants, journalistes ou autres. Un OTPORiste est celui qui porte notre badge et propage, peu importe comment, les idées et les principes de notre mouvement. Le nombre de militants fait notre force. OTPOR ! n'est toujours pas enregistré en tant que parti politique. Nous travaillons dans l'illégalité, mais nous sommes conscients que la majorité de la population nous soutient.

Quelles ont été vos actions passées et quelles nouvelles actions menez-vous ?

P.D : Nous avons mené beaucoup d'actions jusqu'à aujourd'hui. Le compte-rendu de quelques unes d'entre elles se trouve sur notre site internet : www.otpor.com. Pour l'instant, et jusqu'aux élections, nous travaillons sur une seule campagne qui porte le nom de "Il est fini !". Celle-ci a pour objectif d'amener aux urnes 4 millions d'électeurs: les chiffres prouvent que dans ce cas de figure, Milosevic est vraiment "fini". Pour y parvenir les militants de OTPOR! envisagent tout d'abord de distribuer des prospectus (en faisant du porte à porte s'il le faut) puis de mobiliser l'opinion en organisant des concerts et autres manifestations culturelles.

I.J : "Ne parle pas, agis!" est le slogan de notre mouvement. Les militants de OTPOR! disent ce que les gens pensent tout bas. Ils ont peur de parler et d'agir car ils risquent de perdre leur emploi ou de rencontrer d'autres problèmes. Depuis que OTPOR! existe, nous avons mené des centaines d'actions autant symboliques que concrètes. En 1999 et en 2000, nous avons organisé des marches de protestations entre les villes de Belgrade et Novi Sad. Des concert de rock ont rassemblé la population autour de nos slogans comme "le travail sera achevé".

Le 13 janvier 2000, le Jour de l'an orthodoxe, nous avons réuni près de 50 000 personnes pour leur dire que les Serbes n'avaient rien à fêter tant que le système et le régime ne changeraient pas. Après ce discours, la foule s'est dispersée en silence, sans manifester aucune joie pour cette fête, pourtant si populaire chez nous. Le premier congrès national (et non plus estudiantin) de OTPOR! s'est tenu le 17 février 2000. Nous menons actuellement la plus grande campagne que OTPOR ! ait jamais connue. En fait, il s'agit de deux campagnes. L'une porte le nom de "Il est fini!", et elle est entièrement tournée contre le régime. La deuxième campagne, en collaboration avec d'autres ONG, vise à mobiliser la population pour les élections. D'après plusieurs analyses, le nombre de voix pour Milosevic risque d'être élevé et constant. En revanche, si nous parvenons à mobiliser au maximum les gens pour qu'ils se rendent aux urnes et qu'ils votent pour l'opposition, alors, nous pensons que par effet de masse, 90% des personnes qui auraient initialement voulu voter pour Milosevic vont changer d'avis et voteront pour le candidat de l'opposition.

Pour cela, il faut impérativement qu'au moins 4 millions de personnes votent pour que Milosevic perde à coup sûr, même en cas de fraude électorale. Parallèlement, nous menons la campagne "il est temps". Notre premier champ d'action est de toucher la population serbe en Serbie par le biais de meetings, de concerts de rock, de distribution de tracts… Nos autres pôles d'intervention concernent les pays étrangers. Le 16 septembre 2000, des manifestations pacifiques auront lieu devant les consulats et les ambassades yougoslaves. Les Serbes de la diaspora y organiseront des élections symboliques. Ce meeting a pour but d'exprimer notre opposition au régime et aux élections irrégulières, mais également d'inciter les Serbes de Serbie à se rendre aux urnes. C'est le seul moyen pacifique de changer les choses.

Que représente OTPOR ! pour les étudiants ?

PD : Pour les étudiants comme pour l'ensemble du peuple écœurés par ce régime, OTPOR! représente la seule force politique solide et sérieuse susceptible de s'opposer au pouvoir. OTPOR! est tout simplement une idée, et c'est peut-être ce qui explique son succès. Il est difficile de combattre une idée. On peut toujours ternir l'image d'un leader, le calomnier, tandis qu'une idée est un terrain glissant sur lequel on n'a pas de prise. C'est pourquoi les membres de OTPOR! n'occupent pas le devant de la scène: ils préfèrent mettre en avant un symbole, celui du poing levé, et une idée, celle de la liberté.

Quel regard portez-vous sur l'avenir de la Serbie (les élections présidentielles, le rôle de l'opposition, les relations de la Serbie avec les pays européens…) ?

P.D : Nous pensons que l'avenir de la Serbie sera celui que le peuple choisira. Bien sûr nous serons toujours là pour inciter les gens à se battre pour une vie meilleure. En ce qui concerne les prochaines élections présidentielles (le 24 septembre), OTPOR! ne s'intéresse qu'à un seul candidat, Slobodan Milosevic. Toute notre campagne est concentrée sur lui, c'est-à-dire contre lui. Peu nous importe que le président qui lui succédera soit de tel ou tel parti. De toute façon le nouveau gouvernement accédera au pouvoir par des voies non démocratiques. Or rappelez-vous des revendications de OTPOR!: départ de Milosevic, élections libres et démocratiques… S'il ne souhaite pas voir OTPOR! agir contre lui, le nouveau président, à son arrivée au pouvoir, devra procéder immédiatement à de nouvelles élections.
I.J : OTPOR! a pour but d'ouvrir la voie à la formation d'une nouvelle génération politique. Nous avons envisagé pour cela un plan avec trois phases:

1) La première phase a été de créer et de maintenir dans tout le pays des cellules soutenant les idées de OTPOR!
2) La deuxième phase consiste à amener la population à voter aux prochaines élections. Si rien ne change, OTPOR ! reviendra à sa première phase, à quelques modifications près.
3) La troisième phase serait que OTPOR ! soit enregistré comme une organisation légale. Cela ne posera pas de problèmes si le régime change. A partir de là, nous mènerons plusieurs campagnes, notamment contre les modes superficielles qui défigurent notre culture. La majorité de la population se laisse séduire par les mauvaises séries latino-américaines diffusées sur la chaîne TVPink ou par les mélodies serbes vulgairement orientalisées. La majorité de la jeunesse a grandi dans ce cadre culturel médiocre et pour elle, tout cela est normal. OTPOR! voudrait offrir aux nouvelles générations un environnement plus sain et surtout plus riche. Sur le plan politique, nous espérons former une élite jeune et dynamique qui ne sera pas corrompue car elle ne sera pas le produit du régime actuel.

En ce qui concerne les élections présidentielles, nous allons soutenir le candidat du parti de l'Opposition Démocratique (DOS), Vojislav Kostunica, non pour sa personnalité et ses idées, mais parce qu'il a été choisi par la majorité des partis d'opposition. Et comme je l'ai déjà dit, pour nous ces élections n'ont aucune chance réelle de se dérouler dans la légalité. Nous demanderons alors au nouveau pouvoir en place d'organiser de nouvelles élections, cette fois-ci honnêtes.
Nos attentes concernant les relations internationales de la Serbie sont très claires; il faut que notre pays s'ouvre au monde et que le monde s'ouvre à nous. La situation actuelle ne convient qu'à Milosevic, et à personne d'autre, car cela lui permet de rester au pouvoir.

Qu'avez-vous l'intention de faire si Milosevic remporte les élections présidentielles ?

P.D : Nous ne pensons pas que Milosevic puisse gagner si bien que nos projets ne reposent pas sur cette éventualité. Bien qu'il n'ait aucune chance, bien qu'il soit "fini", nous organiserons au moins de grandes manifestations pour protester contre les fraudes électorales.

I.J : Nous sommes sûrs que Milosevic ne gagnera pas , sauf s'il vole suffisamment de voix. Mais si cela se produit, nous protesterons, et même si rien ne change pour autant, OTPOR! continuera dans la même voie.

Recevez-vous de l'aide de l'Occident (par exemple des universités, des ONG, des associations…) ?

P.D : Bien sûr nous recevons de l'aide aussi bien de l'Ouest que de l'Est. Nous sommes soutenus par tous ceux qui souhaitent nous aider dans notre combat pour la liberté.
I.J : Oui, nous recevons de l'aide de l'Occident, et nous n'en avons pas honte. Nous travaillons avec plusieurs organisations estudiantines, des associations et des ONG.
Leur soutien se concrétise soit sous la forme de voyages organisés qui nous permettent de rencontrer nos militants étrangers et d'échanger des idées, soit sous la forme d'aide financière. Le plus grand appui vient bien entendu de la diaspora serbe à l'étranger.

 

Par Milana CHRISTITCH et Angélique RISTIC

 

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