Panorama de la scène politique yougoslave

Juin 1999 : le feu d'artifice de l'OTAN cesse. Les médias, toujours prompts à créer une actualité-spectacle, s'orientent définitivement vers un Kosovo où de nombreux épisodes "croustillants" sont à l'affiche : retour de 1,3 million de réfugiés, découverte de charniers, vengeance des Albanais du Kosovo... Mais à propos du reste de la Serbie, plus rien. Analyse, depuis Belgrade, de la situation politique yougoslave.


Si les raids de l'OTAN avaient pour but supplétif de déstabiliser le pouvoir central de Belgrade, c'est un zéro pointé… M. Milosevic contrôle encore le pays d'une main de maître.

Une coalition gouvernementale diversifiée et soudée

La coalition gouvernementale, composée du Parti socialiste de Serbie (SPS) de Milosevic, de la Gauche yougoslave (JUL) de Mira Markovic (l'épouse de Milosevic), du Parti radical serbe (SRS) de Sesejl et du Parti socialiste monténégrin (SNP) de Bulatovic, ne montre aucun signe de désaccord et d'instabilité, contrairement à ce que laissent entendre certaines allégations de journalistes occidentaux. Cela pour une raison simple: ces trois partis ont été créés par Milosevic et pour Milosevic. Ce ne sont que des instruments du SPS visant à rallier un électorat très divers que le président yougoslave n'aurait pu attirer sous l'étiquette unique du SPS : les sympathisants communistes avec la JUL, les ultra-nationalistes avec le SRS et les Monténégrins avec le SNP.

En revanche, au sein même du parti de Milosevic (SPS), il existe plusieurs fractions : la fraction historique regroupant des membres qui ont toujours soutenu Milosevic, la fraction proche du parti radical de Seselj (SRS) et la fraction proche des radicaux de gauche (JUL). Ces trois groupes d'acteurs politiques forment le noyau dur du SPS. Cependant, deux autres fractions pourraient par la suite engendrer des conflits et provoquer une scission en cas de crise interne. D'abord, la fraction dite "pragmatique", composée de dirigeants de grosses entreprises, d'usines et d'organismes divers qui se sont enrichis à l'aide du SPS. Ils ne cherchent pas le pouvoir en premier lieu. Ils souhaiteraient simplement occuper ces mêmes fonctions après la chute de Milosevic -son mandat prend fin en 2001- et bénéficier de bonnes relations avec le futur dirigeant de la RFY.

Au sein de cette fraction, il n'y a pas de politiciens d'envergure ; il s'agit plutôt d'un second niveau en politique. Actuellement, Milosevic arrive à contenir les personnes de cette fraction désireuses de quitter le SPS. L'ancien président du parlement de Serbie, actuel directeur de Nis Oil Industrie of Serbia, a tenté de quitter le SPS en août dernier. Milosevic, avec des moyens d'intimidation convaincants (chantage, confiscation de biens, emprisonnement), a su lui "faire entendre raison".

La cinquième et dernière fraction, dite ex-historique, regroupe entre autres Zoran Lilic et Miodrag Vucelic (ancien directeur de la télévision nationale et ancien vice-président du SPS). Ces dernières années, leur situation se dégradait au sein du SPS. En février dernier, ces personnes avaient pour projet la création d'un nouveau parti politique aux cotés de Momcilo Perisic, actuel président du mouvement pour une Serbie démocratique (PDS), et de Slavko Cruvija (tué durant les bombardements).

Actuellement, cette fraction du SPS ne travaille pas activement car Milosevic a gelé toutes ses activités. Vucelic et Lilic bénéficient cependant d'une influence suffisamment importante pour réanimer rapidement cette fraction du SPS et prétendre à mieux si le noyau dur du SPS présentait un signe de fébrilité.

Une opposition atrophiée

L'opposition se compose principalement de trois groupes politiques : l'Alliance pour le Changement, coalition de trois partis présidée par M. Djindjic, le Mouvement Serbe du Renouveau (SPO) de M. Obradovic, et le Parti Démocratique de Serbie (DSS) de Vojislav Kostunica. Il existe depuis peu une nouvelle coalition regroupant trois partis sans grande influence, le DAN, présidé par M. Mihajlovic. Ces quatre blocs de l'opposition ont tous le même programme (élections anticipées). Ils ont d'ailleurs décidé d'établir fin septembre une table ronde hebdomadaire afin de trouver une ligne politique et une coordination au sein de l'opposition. Lors des sept premières réunions, ils ont établi une déclaration en cinq points sur les conditions électorales:

- une demande d'établissement des lois approuvées par l'opposition et le gouvernement de 1992 mais annulées par la suite. Ces lois distinguaient 9 circonscriptions et non pas 29 comme actuellement. Le retour à 9 circonscriptions avantagerait les petits partis dans un scrutin proportionnel.
- l'annulation de la loi sur les médias.
- la mise en place d'un comité pour contrôler l'impartialité des médias durant les campagnes électorales.
- l'envoi d'une demande officielle à l'OSCE pour le monitoring des élections.
- la définition préalable des modalités des élections par l'opposition et le gouvernement.
Cette table ronde fonctionne correctement depuis sept semaines car le sujet qui oppose les différents leaders de l'opposition n'a pas encore été traité : la désignation d'un leader commun de l'opposition. Il paraît peu probable que M. Draskovic et M. Djindjic (leaders les plus populaires de l'opposition) puissent trouver un accord pour désigner ce leader. Car chacun sait que ce poste sera le tremplin pour accéder au poste de président de la RFY. M. Micunovic, président du Parti centre démocratique et président de la table ronde, espère pouvoir entamer les discussions à ce sujet rapidement de façon à désigner officiellement un leader avant la fin de l'année 1999.

L'opposition souhaite donner d'elle l'image d'un mouvement reconstruisant une identité commune, mais ses leaders poursuivent des objectifs séparés, convaincus que, vu l'état d'esprit de la population, le SPS et les partis de l'actuelle coalition gouvernementale ne pourront remporter les prochaines élections. Ainsi personne ne veut réellement céder le pas ou perdre du terrain vis à vis des autres leaders de l'opposition. Un accord a été signé par tous les représentants de partis pour ne pas faire coalition après les élections avec un des partis de l'actuelle coalition gouvernementale. Cependant les leaders de chaque parti n'ont apparemment aucune confiance entre eux et chacun avoue que cette signature n'apporte aucune garantie.

Par ailleurs, l'opposition semble convaincue que des élections anticipées auront lieu au plus tard à la fin du mois de mai 2000 et cela pour deux raisons: d'une part, le temps dessert M. Milosevic, qui pourrait donc accepter ces élections anticipées. D'autre part, si l'opposition reste unie, elle sera en mesure de soulever le peuple et d'organiser des manifestations comme en 1996 pour imposer des élections. Le premier argument paraît recevable, bien qu'il faille prendre en compte, au-delà du sentiment anti-Milosevic, les votes qui se porteront par défaut sur M. Milosevic. Le second semble présomptueux au regard de l'état d'esprit de la population.

L'état d'esprit de la population

Depuis la fin du mois de juin, la population commence à parler librement de politique et, tendance apparue après les bombardements, n'hésite pas à critiquer le pouvoir en place. Les gens qui sont contre Milosevic espèrent une coalition de l'opposition. Ils aimeraient voir M. Djindjic et M. Draskovic s'allier, non pas par sympathie pour eux mais parce qu'ils apparaissent comme les seuls à pouvoir renverser M. Milosevic. L'opinion à l'égard de M. Draskovic reste mitigée, car l'homme passe pour versatile et plus attaché au pouvoir qu'aux idées. Il bénéficie toutefois d'une grande notoriété dans le pays. Tel n'est pas le cas de M. Djindjic, qui préfère jouer sur l'image d'un homme intègre n'ayant jamais renié ses idées au profit du pouvoir.

La population serait donc globalement contre Milosevic, aussi bien en ville qu'à la campagne. Même si la situation quotidienne est meilleure à la campagne, les destructions des mois d'avril à juin ont eu pour conséquences des débuts de manifestations en province. Ces manifestations sans grande ampleur mais nombreuses peuvent s'expliquer par un phénomène à double facette. Depuis le mois de juin, il y a eu une profusion de radios locales privées et de chaînes télévisées locales indépendantes. Ce mouvement est généralisé en Serbie. Même s'il émerge lentement, les Belgradois sont attentifs à son évolution.

Il y a deux ans, ils ont été déçus de ne pas avoir été soutenus par la province. Aujourd'hui ils semblent amorphes, frappés par un fatalisme lié aux difficultés du quotidien (coupures d'électricité et de chauffages fréquentes, salaire aux alentours de 60 Dm). Ils ne souhaitent plus perdre de forces gratuitement et attendent que l'opposition populaire émerge cette fois-ci de la campagne. Pourtant, une lueur d'espoir apparaît: à Belgrade, un mouvement étudiant essaye de lutter et de se faire entendre. Odpor (résistance) organise régulièrement des concerts en ville et compte 4 000 membres actifs en Serbie. Il n'est pourtant pas encore en mesure d'organiser des manifestations similaires à celles de 1996.

Pour l'heure, la population est donc à la fois victime des choix de son président et incapable d'accéder au sentiment d'être représentée par l'opposition, qui malgré tous ses efforts ne peut cacher rivalités et luttes internes.

Impression

A Belgrade, la population ne parle plus des bombardements. La plupart des gens veulent les oublier pour mieux affronter l'hiver et les problèmes quotidiens. Les ressentiments, toutefois, demeurent. La France et les Français en sont souvent l'objet, mais de manière moins prononcée que les États-Unis. L'impression d'avoir été trahis par la France est nuancée par deux éléments, récurrents dans les discours:

- L'intervention de M. Chirac pour protéger les ponts de Belgrade.
- La volonté de se convaincre que l'engagement de la France aux côtés des autres forces de l'OTAN s'explique par son impuissance et/ou sa crédulité face aux États-Unis. Sur les murs ou sur les cartes postales satiriques, il est rare de trouver une quelconque offense envers la France ni même envers les autres pays européens. En revanche, les États-Unis sont une cible de choix. Vis-à-vis de l'Angleterre ou de l'Allemagne, une certaine indifférence règne. Pays à l'égard desquels le facteur affectif intervient peu ou négativement, leur rôle dans la guerre n'a suscité aucun étonnement.

Par François GREMY

Vignette : Slobodan Milošević en 1996 (U.S. Air Force, Domaine public)

 

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