Pologne : la grande oubliée du conflit en Ukraine

La Pologne, qui rêve depuis longtemps d’occuper une place de leader régional, a dû revoir ses ambitions de grandeur au profit de l’Allemagne et de la France, qui ont rapidement repris la main lors des négociations sur le cessez-du-feu dans le conflit à l’est de l’Ukraine.


Fidèle à son engagement auprès de son voisin, dès le début de la crise fin 2013, la Pologne s’est résolument impliquée dans les événements en Ukraine et a beaucoup œuvré sur la scène internationale pour la cause ukrainienne. Mais, lorsque ce qui s’apparentait à une crise s’est transformé en conflit militaire, la Pologne a quasiment disparu des jeux diplomatiques au profit de l’Allemagne et de la France. Ce revirement rime-t-il avec un désengagement de Varsovie vis-à-vis de l’Ukraine voisine et modifie-t-il la nature des relations polono-ukrainiennes ? En outre, obère-t-il la possibilité pour la Pologne d’un retour ultérieur sur le devant de la scène internationale, dans ce rôle tant rêvé du leader régional ?

La Pologne s’est engagée aux côtés de son voisin oriental dès les premiers instants puisqu’elle elle a été le premier pays à reconnaître l’indépendance de l’Ukraine. Par la suite, Varsovie n’a pas arrêté de multiplier des initiatives et des actions afin de développer les relations bilatérales et de renforcer l’intégration des deux pays. Cette politique a été poursuivie et même approfondie après l’adhésion de la Pologne à l’UE. L’illustration la plus parfaite de cette constante est le rôle que Varsovie a joué lors de la Révolution orange de 2004 mais aussi son engagement auprès de l’Ukraine dès le début de la crise actuelle[1].

Pologne, la tribune ukrainienne

La disparition, progressive mais effective, de toute présence polonaise lors des négociations entre l’Ukraine et la Russie concernant la recherche d’une solution pacifique au conflit dans l’est de l’Ukraine, et ce au profit du « format Normandie » impliquant, outre l’Ukraine et la Russie, l’Allemagne et la France, n’empêche pas Varsovie de poursuivre son engagement aux côtés de son voisin ukrainien. Ne pouvant plus agir sur le devant de la scène, Varsovie continue en coulisses, non seulement à témoigner son soutien, mais surtout à approfondir ses relations bilatérales avec Kiev. Même si, à la veille de sa visite officielle en Pologne, le 16 février 2015, le vice-président de l’administration présidentielle ukrainienne, Valeriy Chaly, n’a pas manqué de noter que son pays attendait de la Pologne une nouvelle impulsion dans leurs relations bilatérales, celles-ci s’avèrent d’ores et déjà sérieuses et profondes.

Si elle ne semble plus être aux avant-postes des négociations, la Pologne est en effet devenue en quelque sorte la tribune officielle de l’Ukraine, d’où le président ukrainien Petro Porochenko fait des déclarations dont la portée est aussi bien régionale qu’internationale. La meilleure illustration de cette nouvelle relation nouée entre les deux pays est intervenue dans le cadre de la visite officielle réalisée du 17 au 19 décembre 2014 par le Président ukrainien en Pologne. Le chef de l’État en a profité pour souligner, et cela à plusieurs reprises, l’importance des relations avec la Pologne, sur les plans de la politique tant intérieure qu’extérieure. Après avoir évoqué « l’amitié », voire même la «fraternité», qui lie les deux pays, il a, dans son discours devant les représentants des deux chambres du Parlement polonais, déclaré que sa visite était la confirmation du «partenariat stratégique» entre les deux pays.

C’est en Pologne également, à l’occasion de cette même visite, que P. Porochenko a annoncé son souhait de proposer une nouvelle loi qui permettrait à l’Ukraine de modifier sa doctrine militaire. Il s’agirait en réalité d’abandonner le statut de neutralité du pays, afin de devenir officiellement un pays aspirant à l’adhésion aux structures de l’Otan. En effet, le 23 décembre 2014, la Rada (Parlement ukrainien) a adopté une loi prévoyant l’abandon du statut de non-alignement et exprimé sa volonté d’adhérer à l’Alliance atlantique. Le choix du lieu de cette annonce ne doit rien au hasard, comme l’ont noté de nombreux spécialistes de la question: le dirigeant ukrainien compte sur le fait que la Pologne non seulement pourrait plaider la cause ukrainienne auprès des pays occidentaux, mais aussi devenir un «pont» entre l’Ukraine et l’Organisation atlantique ainsi que l’Union européenne, sorte de facilitateur du rapprochement ukrainien de ces organisations stratégiques.

L’aide polonaise à l’Ukraine 

Mais l’Ukraine ne se contente pas de tabler sur le soutien diplomatique de la Pologne. Elle espère également de Varsovie une aide structurelle et économique, voire même stratégique, dans le cadre du conflit militaire. Les responsables ukrainiens ont en effet déclaré à maintes reprises vouloir se baser sur l’expérience polonaise pour réaliser la transformation politique et économique nécessaire à leur propre pays et s’inspirer de leur voisin pour mettre en place et réaliser nombre de réformes, en particulier dans le domaine de la décentralisation et de la réforme territoriale. Il s’agit là clairement d’une demande de partage d’expériences et de conseils.

Même si les Ukrainiens, qu’il s’agisse des simples citoyens ou des élites dirigeantes, ne manquent pas de souligner toute la reconnaissance qu’ils éprouvent à l’égard de l’État polonais et des habitants de ce pays pour le soutien matériel et la solidarité que ces derniers leur ont manifestés depuis le début de la crise, ils n’en oublient pas pour autant ce qui est, à leurs yeux, essentiel: ils veulent une aide financière et, plus encore sans doute, militaire. La Pologne est ainsi l’un des rares pays de l’UE et de l’Otan à s’être officiellement prononcée en faveur de la vente d’armes à l’Ukraine[2]. Alors que l’armée ukrainienne manque cruellement d’effectifs bien formés, la Pologne envisage aussi l’envoi de formateurs, qui contribueraient à améliorer les compétences du commandement ukrainien. Un projet de mise en place d’une brigade polono-lituano-ukrainienne de 4 500 hommes est également sur le point d’aboutir. La brigade, dont l’idée avait surgi dès les années 1990, pourrait être opérationnelle au plus tard en 2016.

Les perspectives pour la diplomatie polonaise

Le quatuor communément qualifié de « format Normandie », composé de l’Allemagne, de la France, de la Russie et de l’Ukraine, a vu le jour dans le château de Bénouville dans le Calvados en marge des commémorations du 70ème anniversaire du Débarquement allié, le 6 juin 2014. Sous l’impulsion du président français François Hollande soutenue par la chancelière allemande Angela Merkel, les présidents russe et ukrainien se sont alors parlé pour la première fois depuis le début de la crise ukrainienne, ce qui a laissé entrevoir la lueur d’une désescalade éventuelle. Après l’échec du premier cessez-le-feu, signé le 5 septembre 2014 sous l’égide de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la diplomatie française a encouragé les contacts quadripartites entre les pays concernés en estimant que cela pourrait faciliter les négociations et arrêter la détérioration du conflit en Ukraine. La reprise en main des négociations par l’Allemagne et la France concernant le cessez-le-feu est d’une importance cruciale, tant pour Bruxelles que pour Varsovie. Elle dit bien des choses quant à l’Europe élargie qui se construit.

Tout d’abord parce que l’éviction de la Pologne, pourtant pays voisin à la fois de l’Ukraine et de la Russie, par les pays fondateurs de l’UE montre bien que les « anciens » pays membres ne sont pas près d’adopter la vision que les « nouveaux » pays européens, issus pour la plupart de l’ancien bloc soviétique, ont de l’attitude à adopter face à la Russie. Certains reprochent d’ailleurs à Varsovie sa « russophobie » de principe.

Ensuite parce que l’implication directe des dirigeants allemand et français en dépit, d’une certaine manière, de l’UE, a mis en évidence une fois de plus, et cela de façon criante, que les pays membres peinent à mettre en place une politique extérieure commune. D’autant plus lorsqu’il s’agit de la Fédération de Russie. Ces atermoiements ne peuvent que conforter le président Vladimir Poutine dans l’idée qu’il se fait déjà de l’Union européenne, structure qu’il voit essentiellement comme une union économique et nullement comme un acteur à part entière des jeux diplomatiques.

L’absence de la Pologne à la table des négociations a constitué une leçon d’humilité pour Varsovie. Par sa taille, son histoire et sa transformation réussie, l’État polonais a tendance à vouloir s’attribuer un rôle de leader régional qui lui échoirait presque naturellement. Pourtant, les derniers événements l’ont montré, une méfiance viscérale envers la Russie ne peut pas remplacer une vision de la politique étrangère cohérente et réfléchie.

Le cessez-le-feu en Ukraine reste plus que fragile et de nombreux observateurs et politologues craignent la reprise des combats dans l’est de l’Ukraine. Cette évolution négative pourrait, paradoxalement, offrir à la Pologne une opportunité de revenir dans les jeux diplomatiques, cette fois dans le cadre direct de l’UE. Puisque, dans le cas d’un échec du « format Normandie », celle-ci deviendra le seul interlocuteur européen encore fiable.

Note :
[1] Voir Edyta Skora, «La Pologne, avocat des intérêts ukrainiens», Regard sur l’Est, 17 mars 2014.
[2] La Lituanie affirme avoir déjà commencé à livrer des armes à l’Ukraine. Voir Céline Bayou, «Lituanie. Prête pour une guerre hybride?», Regard sur l’Est, 21 février 2015.

Vignette : Visite officielle du président ukrainien Petro Porochenko à Varsovie, 17-18 décembre 2014 (photo: Site de la présidence d’Ukraine, www.president.gov.ua).

* Edyta SKÓRA est étudiante de Master 2 (Inalco).