Pologne: une décennie dans l’Union européenne

Le 1er mai dernier, la Pologne a fêté les dix ans de son adhésion à l’Union européenne. Quel bilan les Polonais peuvent-ils en tirer ? Les progrès accomplis par le pays sont-ils aussi spectaculaires que les politiciens essaient de le faire croire ? Ou constate-t-on des «ratés» et des zones d'ombre liés à cette intégration ?


La Pologne dans l'UEUn «Chêne de la Liberté» planté par les soins du Président Bronisław Komorowski et ses deux prédécesseurs, L.Wałęsa et A.Kwaśniewski. Une balade en compagnie des ambassadeurs de pays membres de l'UE dans les allées du parc royal Łazienki de Varsovie, couronnée par un concert symphonique. Un gâteau d'anniversaire de 10 kilos que le Premier ministre Donald Tusk a partagé avec les habitants d'Elbląg avant d’entonner, joyeusement mais faux, Hey Jude des Beatles. Des colloques, des concours, des discours… Voici comment la Pologne a fêté, le 1er mai dernier, le 10ème anniversaire de son adhésion à l'UE.

Les bienfaits de cette adhésion recueillent l’unanimité en Pologne. B.Komorowski l’a souligné dans son discours du 1er mai: dans l’opinion publique, 89% des personnes interrogées considèrent cette intégration comme une «bonne chose». Les responsables politiques ont le même avis et, en dépit de leurs différends idéologiques, ils en ont toujours fait une priorité absolue. Le Président l’a aussi précisé, «aux yeux non seulement de la Pologne et des Polonais mais de toute la région, il n’y a qu'une conclusion: il n'existe pas et il n'existera pas pendant encore longtemps de meilleure alternative, plus rassurante, plus intéressante ou qui offre autant d'opportunités que celle de l'intégration de l'UE»[1]. Les déclarations du ministre des Affaires étrangères Radosław Sikorski vont dans le même sens: «En signant au nom de la Pologne le traité d’adhésion à l'UE, le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères savaient qu'ils avaient pris la bonne décision. En revanche, ils ne pouvaient pas prévoir que le succès, tant pour la Pologne que pour l'UE, serait aussi important»[2].

Des avancées économiques réelles

L'entrée de la Pologne dans l'UE a indéniablement offert de nouvelles perspectives, notamment sur le plan économique. La croissance constatée ne peut évidemment être mise au seul compte de l’intégration qui doit être considérée comme une opportunité qu’il s’agit de saisir plus que comme une garantie de succès ou encore comme un outil pour recevoir de l’argent. Mais force est de constater que la Pologne semble avoir mieux profité de son intégration que la plupart des autres pays qui ont adhéré en 2004 et 2007. Le PIB a doublé (+48,7%) au cours des dix dernières années, performance qui, aux côtés de celle de la Slovaquie, constitue le meilleur résultat non seulement de la zone centre-européenne mais aussi de l’ensemble de l'Europe[3]. Qualifiée d’«îlot vert», la Pologne a d’ailleurs été le seul État qui n’ait pas sombré dans la récession suite à la crise économique mondiale de 2008. Entre 2008 et 2013, le PIB polonais a connu une augmentation de 20%, ce qui représente incontestablement le meilleur résultat en Europe.

Cette croissance a permis à la Pologne de réduire l'écart du niveau de richesse qui la sépare de la moyenne communautaire. En 2003, le PIB par habitant du pays représentait 48,8% de la moyenne de l'UE-27 (projection); en 2013, il était passé à 66,9%. Par cet indicateur, la Pologne est parvenue à dépasser en une décennie la Hongrie qui, au moment de l'adhésion, était l'État le plus riche de la région. Au cours de ces dix ans, le PIB polonais a quasiment doublé, passant de 884 milliards de zloty (soit 221 milliards d'euros) à 1.600 milliards de zloty (400 milliards d'euros). La stabilité économique a généré une amélioration de la fiabilité sur les marchés internationaux qui s'est traduite à son tour par une amélioration de l’appréciation de la Pologne par les agences de notification telles que Standard and Poor's ou Fitch: elle est ainsi passée de BBB+ à A-.

Le réveil économique a également permis une nette amélioration des revenus des Polonais. Selon le site internet Bankier.pl, le revenu mensuel moyen est passé d'environ 500 euros en 2004 à plus de 1.000 euros en 2014. La productivité des employés polonais n’est pas en reste puisque si, en 2004, un employé produisait en une heure des biens et des services d'une valeur de 8 euros, aujourd'hui il produit pour un montant de 10 euros, soit une hausse de 20%. En comparaison, en République tchèque cette augmentation de la productivité est de 18% et de seulement 12,8% en Hongrie. La croissance économique a eu un impact notable sur le marché du travail: en dix ans, 2 millions de nouveaux emplois ont été créés, tous secteurs confondus. Entre 2005 et 2012, le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté a diminué de 7 millions (sur une population totale est de 38,5 millions d’habitants) et on estime que 1,3 million de personnes ne sont plus «menacées de pauvreté et d’exclusion sociale». Actuellement, 6,8% de la population polonaise vit en dessous du seuil de pauvreté.

Le montant des investissements directs, en hausse constante, atteint plus de 405 milliards de zloty (soit 101 milliards d'euros) en stock. La Pologne est le pays qui attire le plus d’investisseurs comparativement aux autres pays de la région. L'adhésion à l'UE s'est également avérée bénéfique pour les échanges commerciaux. Du jour au lendemain, les entrepreneurs ont eu accès à un marché de 500 millions de consommateurs et ils ont su en tirer avantage. Le montant des échanges commerciaux réalisés par la Pologne au sein de l’UE a même triplé en dix ans, dynamique qui a permis au pays de devenir le premier exportateur parmi les nouveaux États membres. En dix ans, les entreprises polonaises ont exporté des biens et services pour un montant global de 3 milliards de zloty, ce qui représente environ le double du PIB polonais. De plus, la balance commerciale avec les pays de l'UE est passée d’un déficit représentant 2% du PIB en 2003 à un excédent représentant 6% du PIB en 2013 (soit plus de 100 milliards de zloty, ou 25 milliards d'euros).

Entre 2004 et 2012, les exportations de biens et services en provenance de Pologne et à destination d’autre pays de l’UE ont permis de dégager un bénéfice commercial de 550 milliards de zloty (135 milliards d'euros). La Pologne reste non seulement le premier exportateur parmi les pays d’Europe centrale et orientale, comptant pour environ 30% des exportations réalisées par les pays de la région, mais c'est également le pays dont le taux d'exportation a augmenté le plus rapidement entre 2004 et 2012 (la valeur des exportations a grimpé de 160%). En 2012, plus de 75% des exportations polonaises se dirigeaient vers les pays de l’UE et environ 70% en provenaient[4].

L’agriculture est sans aucun doute le secteur qui a le plus bénéficié de l'adhésion. Selon les statistiques du ministère de l'Agriculture, en dix ans la Pologne a reçu 29 milliards d'euros dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC), dont la moitié sous la forme de paiements directs, ce qui a permis aux revenus des agriculteurs de tripler. La Pologne est devenue le 1er producteur de pommes de l'UE, le deuxième de seigle et le troisième de colza et de betteraves à sucre. Elle occupe également une forte position dans l'exportation de blé, de lait et de viande porcine. Les exportations de produits agricoles ne cessent d'augmenter. Si, en 2003, elles ne représentaient en valeur que 4,1 milliards d'euros, en 2013 elles ont dépassé 20 milliards d'euros. Dans l'ensemble, l'UE reçoit 75% de la production agro-alimentaire polonaise, elle-même en hausse de 30%.

Quelques ombres au tableau

Même si le bilan de cette décennie de présence polonaise au sein de l'UE est donc globalement positif, il reste cependant quelques domaines dans lesquels des progrès restent encore à faire.

C’est le cas dans le secteur des infrastructures, notamment en ce qui concerne le réseau routier et autoroutier. Les aides européennes ont permis de construire plus de 673 km d'autoroutes et de moderniser 868 km de routes express ce qui, à première vue, peut être perçu comme une amélioration compte tenu du fait qu'en 2003 la Pologne ne possédait que 405 km d'autoroutes et 226 km de routes express. Cependant, les experts soulignent que Varsovie dépense cet argent avec parcimonie. De plus, la mauvaise gestion des appels d'offres publics ne prenant jusque récemment en compte qu'un seul critère –le prix– a provoqué une vague de faillites d’entreprises et de sous-traitants locaux auxquels ont été préférées des entreprises chinoises. Qui plus est, il n’est pas rare que ces dernières ne respectent pas les termes des contrats, voire les rompent carrément, laissant les travaux inachevés. Cependant, c'est dans le domaine ferroviaire que les choses vont le plus mal. Polskie Koleje Państwowe (PKP, la SNCF polonaise) n’a utilisé en dix ans que 15% des fonds européens qui lui ont été attribués. Cette inertie se traduit par un état plus que déplorable de l'infrastructure ferroviaire actuelle.

De façon générale, l’arrivée des dotations européennes a très souvent été l’occasion de révéler l'incompétence et le manque de professionnalisme des responsables politiques au niveau local, mais aussi national. Le manque d'expérience, la naïveté et parfois aussi la cupidité des fonctionnaires ont conduit au gaspillage de l'argent européen, englouti dans des projets pharaoniques mais parfaitement inutiles tels que les thermes de Lidzbark Warmiński que la presse allemande ont qualifiées de «plus grand échec d'investissement financé par l'UE»[5]

Autre sujet d’inquiétudes, on a assisté à une grande vague d'émigration qui a suivi d'abord l'adhésion à l'UE et ensuite l'ouverture des marchés du travail dans des pays comme le Royaume-Uni ou encore la France. Entre 2004 et 2014, près de 2 millions de personnes ont fait le choix de quitter la Pologne et d'aller chercher une vie meilleure à l'étranger. À titre comparatif, entre 1990 et 2008, seulement 1 million de citoyens polonais ont choisi l'émigration économique. Même si l'argent envoyé dans le pays par ces émigrés a contribué à améliorer considérablement le niveau de vie des familles restées au pays (il s'agit en effet d'environ de 130 milliards de zloty, soit 32,5 milliards d'euros), il ne faut pas négliger le fait que, très souvent, ceux qui partent sont des jeunes fraîchement diplômés des universités (généralement, niveau Master ou Licence). Cette « fuite des cerveaux » est d'autant plus regrettable que ces jeunes diplômés travaillent pour la plupart largement au-dessous de leurs qualifications, en exerçant des métiers manuels ou physiques dans la restauration, le bâtiment ou les services à la personne.

Ces départs mettent aussi en évidence un autre aspect de la transition socio-économique polonaise. Ils témoignent d'une manière assez troublante de l'incapacité des élites politiques à créer un sentiment de sécurité et de confiance quant à l’avenir du pays. Les jeunes gens qui choisissent le départ ne voient pas de perspectives leur permettant d’envisager de construire une vie décente dans leur pays. Malgré tous les progrès qui ont été réalisés, les dirigeants politiques ont jusqu’ici échoué non seulement à endiguer cette hémorragie mais aussi à convaincre les émigrés de rentrer.

Il n’en reste pas moins que le bilan de dix premières années de présence de la Pologne au sein de l'UE reste globalement positif. Les auteurs d’un rapport réalisé au sein du ministère des Affaires étrangères sur cette période ont proposé une simulation afin de montrer où en serait le pays si l'intégration n'avait pas eu lieu[6]. Il en ressort que la Pologne aurait certes connu une certaine croissance, mais que celle-ci n'aurait pas été aussi fulgurante. À titre d'exemple, si le pays n'avait pas adhéré à l'UE, le PIB serait inférieur de 11% à ce qu’il est aujourd’hui, les exportations de 25% et le niveau d'investissement de 7,8%. Dans les faits, cela veut dire que la Pologne n’aurait atteint le niveau de croissance qu’elle a connu en 2009… qu’en 2013 seulement. Compte tenu du fait que la Pologne a habilement négocié les futures dotations européennes, tout semble indiquer que l'économie polonaise devrait poursuivre sa croissance à long terme: en effet, les négociateurs polonais ont réussi à obtenir 441 milliards de zlotys (110 milliards d'euros) d’aides communautaires au titre de la période 2014-2020. Il n’en reste pas moins que certains économistes, dans le pays, posent la question de savoir ce que deviendra cette économie une fois le robinet de l'argent européen fermé. La Pologne connaîtra-t-elle alors le sort de l'Irlande ou encore celui de l'Espagne qui, après un boom économique, ont sombré dans une terrible crise? Dans l’immédiat, l’urgence porte surtout sur la poursuite des efforts de modernisation et de restructuration, ainsi que sur la mise en œuvre des réformes dans les domaines des retraites, de l'éducation et de la santé.

Notes :
[1] M. Zubrzycki, «Prezydent: nie ma lepszej alternatywy niz intergracja europejska», Rzeczpospolita, 1er mai 2014.
[2] «Dobrze wykorzystana szansa» («La chance bien saisie»), 30 avril 2014.
[3] Polskie 10 lat w Unii, Raport, Ministerstwo Spraw Zagranicznych, Warszawa 2014.
[4] Marek Belka, «How Poland’s EU Membership Helped Transform its Economy», Occasional Paper n° 88, Group oh Thirty, Washington D.C, octobre 2013.
[5] Lidzbark Warmiński est une ville située au nord de la Pologne, dans la région de Varnie-Mazurie. Pour la dynamiser et y créer des emplois, le Conseil régional a décidé d’y construire des thermes, ainsi qu'un centre de remise en forme et un spa pour un coût total de 23,5 millions d'euros, dont 16 ont été pris en charge par les fonds européens. Le non-sens de l'investissement réside dans le fait que l'eau des thermes n'est que de 21°C, ce qui implique de constamment la chauffer.
[6] Voir note 3.

Vignette : Logo de l'initiative préparée conjointement par le ministère des Infrastructures, du Développement et des organismes locaux afin de promouvoir les changements survenus grâce aux fonds européens (http://www.10latwue.pl).

* Étudiante de Master 2 à l’Inalco.