Présence linguistique française dans la ville de Lviv

Lviv, ville située au croisement de multiples cultures, capitale spirituelle d'un grand pays slave à la croisée de l'Orient et de l'Occident, joue depuis des années le rôle de la porte occidentale de l'Ukraine.


Gardée par ses vieilles églises baroques et riche de son histoire qui accuse parfois des traces étrangères (autrichiennes, polonaises, soviétiques), Lviv, patrimoine historique de l'UNESCO, incarne l'esprit même de l'Europe de l'Est. Si cette ville, où chaque rue garde son mystère, reste énigmatique pour bon nombre de touristes étrangers, cela ne l'empêche pas à son tour de connaître la France et même… de parler sa langue.

Comment la France est-elle perçue en Ukraine ?

Dans le cœur des Ukrainiens, la France jouit d'une excellente image, et les Lviviens ne dérogent pas à la règle. Ils sont fiers d'avoir offert à la France une reine, Anne de Kyïv. Ils s'enorgueillissent des cosaques, libérateurs de Dunkerque, d'Orlyk, homme politique du XVIIIsiècle qui a laissé son nom à l'aéroport parisien…

La France est à leurs yeux un ensemble de thèmes récurrents: liberté, industrie du luxe, le vin, la bonne table… Ils connaissent le Paris du début du siècle, de la construction de la tour Eiffel, la France de Dumas et des Trois Mousquetaires, la Gascogne de Cyrano de Bergerac, les châteaux de la Loire,… Mais rien de la France d'aujourd'hui, rien des grands débats, rien de la politique actuelle française, de la technologie française, de l'importance de la France au sein de l'Europe,… Il s'agit d'une France vieillie et jaunie décrite dans les vieux manuels de français. Ce sont les clichés d'un certain rayonnement de la France en Europe.

A qui la faute ? A l'Ukraine ? Non, certainement pas! C'est à la France de mieux communiquer son image actuelle, de s'intéresser à ce nouvel Etat plus grand que l'hexagone. C'est pourquoi l'Institut français d'Ukraine, organe dépendant directement de l'ambassade de France à Kyïv, a fondé les Centres Français de Documentation et de Formation dans les principales grandes villes du pays: Kyïv, Donets'k, Kharkiv, Dnipropetrovs'k, Odessa et Lviv, dont le centre est ouvert depuis 4 ans déjà. Leur objet est de développer les connaissances sur la France et d'assurer une présence linguistique française.

L'enseignement du français

Dans une grande ville culturelle comme Lviv, le français a toujours eu une place à part. Néanmoins, son rôle tend à s'affaiblir sous le coup de la puissance économique d'autres langues. L'enseignement de la langue française au niveau régional est coordonné par un responsable (metodist), M. Eugène Palij. Il coordonne le travail des 190 écoles de la région de Lviv, dont 16 écoles dans la capitale régionale. La langue de Molière y est étudié de la quatrième [1] (dès l'âge de 10 ans) à la 11ème (l'équivalent de notre terminale). S'y ajoutent, trois écoles spécialisé dans l'enseignement du français et présentes dans la capitale halicienne (les écoles numéro 15, 37, 69)[2]; l'apprentissage du français y commence dès l'âge de six ans.

Le nombre total d'enfants étudiant le français dans la région atteint presque 22 000, soit 12% du nombre total d'élèves de l'enseignement primaire et secondaire. Ce taux est supérieur à la moyenne nationale qui s'élève à un peu plus de 9%. Pour comparaison, dans la région, 66% des élèves étudient la langue de Shakespeare et 20% celle de Goethe. Lviv et sa région possèdent environ 290 professeurs de français dans le primaire et le secondaire. La capitale halicienne en compte à elle seule près de 80. Cela s'explique par le fait que les trois écoles spécialisées proposent un enseignement de la langue assez approfondi (les écoles 15 et 37 ont à elles seules respectivement 20 professeurs de français chacune, quant à l'école 69 le nombre de ses enseignants s'élève à 10). Dans l'école numéro 37 (un ancien couvent catholique) spécialisée dans l'enseignement en français depuis 1965, les enfants ont trois heures de cours de français de la première à la quatrième, quatre heures [3]jusqu'à la huitième, et cinq heures jusqu'à la onzième. Dans les autres établissements spécialisés, l'enseignement est sensiblement semblable.

La position du français par rapport aux autres langues dans l'enseignement supérieur reflète la situation dans le secondaire. L'université Nationale Ivan Franko [4], la plus ancienne université ukrainienne, fait autorité en la matière avec sa chaire de français qui propose une formation pour de futurs professeurs de français (plus de 60 étudiants). A ce nombre, s'ajoutent les étudiants de toutes les facultés qui suivent un cursus de langues étrangères. Le français est également enseigné dans tous les autres établissements supérieurs. C'est la "vieille" méthode, si bien ancrée, qui y domine assez souvent encore. Il reste difficile d'encourager les professeurs à réfléchir sur leurs conceptions pédagogiques, car ils sont encore durablement marqués par les traditions de l'ancien régime. Un universitaire n'a, par exemple, qu'une vague idée de ce qu'est un résumé de texte, une composition, une dissertation et n'enseigne pas à structurer les idées, ni à formuler une pensée, encore moins à défendre un point de vue. La majorité des étudiants ukrainiens sont à l'image des élèves, sans grande initiative. Les changements positifs qui arrivent peu à peu avec la nouvelle génération sont indiscutables. Il est important de signaler aussi que les connaissances en français des étudiants ukrainiens sont souvent excellentes, et que le désir d'étudier ne manque pas.

Mettre en place une dynamique

Beaucoup de choses restent à faire dans le domaine éducatif. L'enseignement des langues en général, et du français en particulier, reste assez obsolète, moins par l'absence de désir de modernisation, que par le manque flagrant de moyens pour acheter des nouveaux manuels et du matériel audiovisuel. En effet, les professeurs sont prêts à changer, à se former, à évoluer. Toutefois, la situation économique de l'Ukraine ne lui permet pas de financer les nécessaires changements du système scolaire. Le manque de moyens financiers constitue un frein considérable à cette avancée. Sans manuel, sans accès à l'information, sans cartes de France, sans stages, l'évolution ne peut être qu'extrêmement lente. Il n'est malheureusement pas rare de voir encore des manuels datant de l'époque soviétique, et donc en russe.

Le Centre français de Lviv a pour mission la formation des professeurs dans une autre approche de l'apprentissage des langues. Il privilégie le jeu, la découverte de la langue par la logique qu'il tente de faire accepter par le plus grand nombre de professeurs qui pour beaucoup sont habitués à apprendre par cœur des textes et la grammaire française.

Ajoutons à cela le manque d'intérêt de la France qui nuit à l'évolution du français en Ukraine. Pourquoi si peu d'écoles françaises acceptent-elles de correspondre avec des écoliers ukrainiens? Ne serait-ce pas là une manière simple, et peu coûteuse d'encourager les Ukrainiens à parfaire leur français, sans parler de l'enrichissement mutuel pour les étudiants des deux pays? Il est temps de réagir si l'on ne veut pas que la langue et la culture françaises ne disparaissent des écoles ukrainiennes.

Par Jean-Baptiste VITALE

 

 

 

[1] Le système ukrainien diffère de celui qui existe en France. Le décompte des classes débute par la première (6ans) jusqu'à la onzième (terminale).
[2] Deux autres écoles de la région pourraient également avoir un enseignement spécialisé à moyen terme. Il s'agit de l'école numéro 18 de Stebnyk et l'école de village de Bibrka.
[3] La durée d'une leçon est de 45 minutes.
[4] Le Centre français de documentation et de formation y a ses locaux.