Quel statut pour la transnistrie ?

Bande de terre à l'est du Dniestr, ancien territoire ukrainien peuplé majoritairement de russophones, la Transnistrie a fait sécession de la Moldavie (dont la "roumanisation" était annoncée) en septembre 1990. Une guerre civile s'en suivit, aboutissant à une situation de ni guerre ni paix entre Chisinau, qui aspire à l'intégrité territoriale et Tiraspol, qui défend farouchement sa souveraineté.


Référendum pour une réunification entre Roumanie et MoldavieUne éventuelle réunification entre Roumanie et Moldavie était inacceptable pour les russophones, alertés dès 1989 par la réintroduction de l'alphabet latin sur tout le territoire et la volonté moldave de sortir du giron soviétique. La nouvelle République sécessionniste de Transnistrie désigne alors Tiraspol comme capitale et demande son rattachement à l'URSS puis à la Russie. Alors que Kichinev devient Chisinau (de son nom roumain) en 1991, les tensions, puis les affrontements, sapent les relations entre la République moldave de Transnistrie (RMT) et les autorités moldaves.

On ne dénombrera pas moins de 700 morts lors de la guerre civile de 1991-92. A l'occasion d'un référendum en décembre 1991, la population de Transnistrie se prononce pour l'indépendance pure et simple de sa République.Chisinau décide, en mars 1992, de récupérer la Transnistrie par la force et lance une attaque contre Tiraspol, une opération insensée dans la mesure où la 14e Armée russe, commandée par le Général A. Lebed, est stationnée à Tiraspol et va, en toute logique, défendre sa base. L'échec de l'action moldave débouche, en juillet, sur un cessez-le-feu et le déploiement de forces d'interposition de la Communauté des Etats Indépendants. Le président russe Boris Eltsine et son homologue moldave Mircea Snegur signent un accord stipulant que la province de Transnistrie bénéficiera d'un statut particulier ainsi que le droit à l'autodétermination dans le cas où la Moldavie fusionnerait avec la Roumanie. L'accord autorise également la présence des forces d'interposition le long du Dniestr, garantissant une zone de sécurité.

Moscou et son "étranger proche"

L'omniprésence russe dès le début du conflit en Transnistrie est tout à fait révélatrice de la politique menée par Moscou. La Russie profiterait du conflit pour assurer sa présence militaire dans cette région stratégique.Ainsi, en juin 1995, le Ministre russe de la Défense, Pavel Gratchev à l'époque, avait officiellement proposé d'établir une base militaire en République moldave[1]. Devant le refus net de Chisinau, Moscou tente d'obtenir sa base militaire de facto avant de l'obtenir de jure. Pour reprendre la pensée d'A. Lebed, "la région de Transnistrie est la clé des Balkans. Si la Russie se retire de cette région, elle perdra cette clé en même temps que son influence sur la région"[2]. Cette présence militaire massive russe est une source de tension supplémentaire en Transnistrie. Depuis 1992, Chisinau s'efforce d'obtenir son départ afin de rétablir son contrôle sur la région. L'article 11 de la constitution moldave stipule que "la République de Moldavie déclare sa neutralité permanente et n'admet pas le stationnement d'unités militaires étrangères sur son territoire". Cependant, l'armée russe est toujours là. En novembre 1996, la Douma russe a voté une résolution déclarant la région de Transnistrie "zone d'intérêts stratégiques particuliers", en réponse à l'élargissement de l'OTAN à l'est[3].

La Moldavie et la Russie ont signé un accord en octobre 1994 prévoyant le retrait des troupes sur trois ans à compter de la ratification[4]. Or, les députés de la Douma, à majorité communiste, refusent cette ratification. L'accord prévoyait également une synchronisation entre le retrait militaire russe et le règlement du conflit en Transnistrie. La Moldavie a dès lors accepté, de facto, la présence militaire russe sur son sol et ce pour plusieurs années. Lors du référendum illégal de mars 1995, la population de la République séparatiste s'est prononcée à 93,3 % pour le maintien des troupes russes. Les autorités de Tiraspol, opposées à un éventuel retrait russe, ne se pressent donc pas pour trouver une issue au conflit. Plus récemment, en février 1998, les élus de la ville de Tiraspol ont demandé à la Douma russe de ne pas ratifier l'accord de 1994 car la Moldavie regarderait "avec trop d'insistance" en direction de la Roumanie, de l'Occident, de l'OTAN et ne respecterait pas les droits de la population russophone[5]. En effet, outre leur position stratégique et le moyen de faire pression sur la politique moldave, les unités russes en Transnistrie sont, selon le Kremlin, les défenseurs de la population russophone de la région.

Nous savons quelle est l'importance qu'accorde la Russie à ce qu'elle appelle son "étranger proche", surtout quand celui-ci possède une minorité russe. Cependant, les représentants de nombreuses organisations internationales estiment que c'est la population moldave et non russe (ou russophone) qui est menacée en RMT[6]. Les russophones vivant sur le territoire moldave ne souffrent pas de discrimination. Force est de constater que la question de la 14e Armée, rebaptisée "groupe opérationnel des forces russes "et actuellement commandée par Mikhaïl Bergman, empoisonne les relations entre la Moldavie et la Russie et encourage le séparatisme de la Transnistrie. Au-delà de ces données politiques et stratégiques, se posent les questions logistiques d'un éventuel retrait russe : que faire des quelque 7 000 hommes présents en Transnistrie et surtout, que faire des munitions ? Des milliers de tonnes d'explosifs seraient intransportables et il faudrait plusieurs millions de dollars pour les traiter. La 14e Armée reste l'un des plus dangereux dépôts de munitions en Europe. De plus, l'Ukraine réclame quelque 200 $ pour chaque wagon de matériel qui passe son poste de douane[7].A l'occasion du septième anniversaire de la RMT, en septembre dernier, un groupe de députés russes et biélorusses, ainsi que des représentants de Vinnytsia (région d'Ukraine) se sont rendu en Transnistrie, faisant une série de déclarations explosives (promesse de reconnaissance de l'indépendance de la RMT, de son admission dans l'union russo-bielorusse, etc.), déclarations condamnées et dénoncées par le Ministère des Affaires Etrangères moldave[8].

Un dialogue de sourds

Outre ces relations ambiguës entre Chisinau et Moscou, comment s'organise l'après-guerre entre les autorités moldaves et celles de la RMT ? Depuis 1992, la situation a beaucoup évolué. Tout d'abord, la Moldavie a renoncé à sa réunification avec la Roumanie. Sa récente Constitution de 1994 prévoit un statut particulier pour la région. Chisinau a en outre ratifié la Convention européenne sur la protection des minorités et a publié une série de décrets protégeant chaque minorité présente sur son sol. L'élection en décembre 1996 du nouveau président Lucinschi, partisan d'une solution politique constructive, a débloqué la situation. Du moins a t-elle permis une série de négociations.

Mais la partition entre RMT et Moldavie est effective : chacune possède sa constitution, son drapeau, son hymne, son président, son Parlement, son gouvernement, son armée, sa monnaie, son alphabet. Cependant, aucun pays (pas même la Russie) ne reconnaît l'indépendance de la Transnistrie.Le dirigeant de la région, Igor Smirnov, exclut toute idée de large autonomie, tout juste accepte-t-il celle d'une confédération. Après plusieurs années de statu quo, Chisinau et Tiraspol signent enfin à Moscou, en mai 1997, un mémorandum (parrainé par les présidents russe et ukrainien et par l'OSCE) destiné à normaliser leurs relations. Le mémorandum prévoit une coopération qui devrait permettre, à terme, de résoudre la question du statut de la Transnistrie. Il prévoit également la possibilité pour la région de participer aux prises de décisions en matière de politique étrangère et d'établir ses propres contacts internationaux. Le mémorandum prévoit enfin la construction d'une coopération "dans le cadre d'un même Etat", précision ajoutée à la demande du président moldave qui doit lui-même composer avec une opposition qui l'accuse de trahison et de brader le territoire.Bien que le statut définitif de la république autoproclamée ne soit pas arrêté, l'accord consacre ainsi l'intégrité du territoire moldave. Le président Lucinschi a d'ailleurs précisé que "dans un même Etat, il ne pouvait y avoir deux monnaies ni deux armées"[9].

L'inconvénient majeur de ce mémorandum réside dans le fait qu'il est interprété si différemment, au gré de leurs aspirations, par la Moldavie et la RMT que l'on peut se demander si les parties ont bien lu le même texte. En effet, les journaux moldaves ont salué le consentement des séparatistes à l'intégrité territoriale et à la réunification, tandis que les médias de la RMT clament la reconnaissance de sa souveraineté par Chisinau. Après la signature du mémorandum, le "Ministre" des Affaires Etrangères de la RMT, Valeri Litskay, a parlé de reconnaissance du concept de deux Etats indépendants de facto, dans le cadre d'une même aire géographique. Gregori Masakutsa, Président du Soviet Suprême de la RMT, a déclaré que "la RMT et la Moldavie sont des sujets égaux et souverains, qui basent leurs relations sur des traités et des lois constitutionnelles"[10]. Les autorités de la RMT subissent une certaine pression de la droite extrême locale, pro-indépendante et pro-russe (ou plus exactement pro-opposition russe) et bénéficie d'une réelle assise politique aux Conseils Municipaux de Tiraspol et Bendery, deux villes qui regroupent à elles seules plus de la moitié de la population. Moldavie et RMT connaissent chacune ces pressions politiques qui limitent énormément leur marge de manœuvre pour la construction d'une paix durable et négociée. L'accord de 1997 est suffisamment ambigu et imprécis pour satisfaire toutes les parties. Aucune solution réelle n'est apportée, aucune concrétisation n'est observée. On y retrouve la même logique que celle appliquée au conflit tchétchène : un statut provisoire flou, en attendant une solution définitive ultérieure…

L'attentisme et les faux règlements sont de rigueur. Dans ces conditions, une résolution rapide du conflit est à exclure. Boris Eltsine a d'ailleurs déclaré que le mémorandum "ne signifiait pas que tous les problèmes étaient résolus"[11]. Le Président moldave envisage cependant des négociations destinées à abroger la "frontière" entre Moldavie et RMT (en proposant de poster des gardes communs à la frontière ukrainienne), et à restaurer rapidement les ponts sur le Dniestr, détruits en 1992. La République de Transnistrie préfère quant à elle se pencher sur des négociations économiques.

Le quotidien en République Moldave de Transnistrie

En effet, la situation économique et sociale en RMT est déplorable. L'économie est délaissée depuis 1991, laissant place à un dénuement à la soviétique, avec des salaires moyens variant de 5 à 10 $ par mois, des cartes de rationnement, des files d'attente. La Transnistrie est devenue une des régions les plus pauvres d'Europe après avoir été, pendant la période soviétique, une zone de forte activité industrielle. Aujourd'hui, le chômage est important. La RMT est fortement endettée, principalement auprès de l'Ukraine et de la Russie. Ainsi, juste pour l'importation de gaz naturel, la région doit plusieurs centaines de millions de dollars à Gazprom.Toutefois, la République séparatiste possède sa propre monnaie : le rouble transnistrien (ou Souvoriki). Ces roubles circulent par millions en liasses de 100, l'inflation galopante leur a ôté toute valeur, la chute est constante. On s'accroche pourtant à ce symbole absolu de souveraineté. Il est souvent difficile de convaincre les commerçants d'accepter le rouble transnistrien. Le leu moldave est omniprésent et a l'avantage d'être stable.

La population accepte aussi volontiers les dollars et les roubles russes. Par ailleurs, le crime organisé est extrêmement présent en Transnistrie, corridor vers l'Europe occidentale pour les exportations illégales. La RMT est également souvent montrée du doigt pour sa corruption généralisée. Alexandre Lebed parlait d'une "clique mafieuse et totalement corrompue"[12].Un autre point est à soulever quant au fonctionnement politique de la République, celui du Ministère de la Sécurité d'Etat. Crée en 1992, souvent comparé au KGB, il dispose de pouvoirs illimités dans la région. Le Ministère compterait parmi ses "employés" d'anciens membres du KGB ou encore des personnes recherchées pour crimes dans l'ex-URSS et résidant en RMT sous un nom d'emprunt. La revue Transition, en novembre 1996, prétendait même que le "Ministre" Vadim Chevtsov est recherché par Interpol pour crimes commis en Lettonie à la fin des années 80.

Ce Ministère serait connu pour ses affinités avec les théories nazies sur la supériorité d'une race sur une autre et pour ses convictions panslavistes. Corruption, contrebande, mafia, intimidations, assassinats : le Ministère serait impliqué, relayé à l'occasion par l'agence Bezopasnost (Sécurité) qu'il contrôle. Par ailleurs, Vadim Chevtsov serait le réel dirigeant de la RMT, le "président de facto" déclarait Mikhaïl Bergman[13].

1990 sept. : la Transnistrie fait sécession.

1991 : Début de la guerre civileAoût : Kichinev devient Chisinau.Déc. : le " oui " l'emporte au référendum pour l'indépendance en République Moldave de Transnistrie.

1992 Mars : la Moldavie lance une attaque contre TiraspolJuil. : accord russo-moldave sur la Transnistrie. Les premières unités des forces d'interposition arrivent en RMT. Création de la Commission de contrôle unifiée en Transnistrie.

1994 28 juill. : nouvelle constitution moldave10 oct. : accord russo-moldave sur le retrait des troupes russes.

1995 26 mars : le " oui " l'emporte au référendum pour le maintien des troupes russes en RMT

1996 1 déc. : élection de Lutchinski. Réélection de Smirnov.

1997 8 mai : signature d'un mémorandum entre RMT et Moldavie pour normaliser leurs relations

Photo : Transnistrie - © Yann BRAND

* auteur de l'article : Carole CHARLOTIN

 

[1] GRIBINCEA Mihai, "Challenging Moscow's Doctrine on Military Bases", Transition, 20/10/1995, pp. 4-8.
[2] cité dans WATERS T., "Instabilities in Post-Communist Europe: Moldova", Royal Military Academy at Sandhurst (janvier 1995).
[3] Revue Générale de Droit International Publi, Tome 101/1997/3.
[4] Revue Générale de Droit International Public, Tome 98/1994/4.
[5] Actualités Russes 13/2/1998
[6] GRIBINCEA Mihai, "Challenging Moscow's Doctrine on Military Bases", Transition, 20/10/1995, pp. 4-8.
[7] VINEGRADOV Boris, "Moscou joue l'enlisement entre la Moldavie et la république du Dniestr", Courrier international, 18/04/1996.
[8] Déclaration officielle du ministère des Affaires Etrangères moldave, 9/10/1998.
[9] Actualités Russes, 16/05/1997.
[10] GOTTFRIED Hanne, "Playing Two Different Tunes as Usual, in Moldova", Transition, décembre 1997, pp. 68-71.
[11] DAUCE Françoise, "L'espace Baltique-mer noire : une zone tampon pour la Russie ?", Problèmes politiques et sociaux, N°809, ED. La Documentation française (25/09/1998), p. 18.
[12] Le Monde, 12/08/1994.
[13] IONESCU Dan, "Lethal Expansion in The Dniester Security Ministry", Transition, 1/10/1996, pp. 6-8.