Quels espoirs pour le Turkménistan?

Comme le titrait RFE/RL en février 2010 à l'occasion du bilan des trois années passées au pouvoir par le président du Turkménistan Gourbangouly Berdymoukhammedov, les espérances que celui-ci avait suscitées en succédant à Saparmourat Niazov, décédé en 2006, n'ont pas (encore) vu le jour. Mais quels éléments pouvaient raisonnablement étayer un véritable espoir ?


La question peut se reposer à la lecture des dernières déclarations du président turkmène, concernant une prochaine réforme de la législation pénale et la création d'un parti d'opposition dans le pays. Mais n’est-ce pas là un «os à ronger» fourni aux médias occidentaux, quelques semaines après sa visite en France, les 1er et 2 février 2010, et juste avant la 13ème session du Conseil pour les Droits de l'homme de l'ONU, qui s'est ouverte le 1er mars à Genève ?

Des paroles destinées aux médias étrangers 

C'est le 18 février 2010, au cours d'une réunion du conseil des ministres élargie aux responsables du corps diplomatique, aux associations et aux médias turkmènes, que le Président a émis le souhait de voir apparaître un parti d'opposition, tout en précisant que, d'une part, « la précipitation n'étant pas dans les habitudes du pays, nous ne hâterons pas les processus politiques en faveur de qui que ce soit » et que, d'autre part, « il pourrait s'agir par exemple d'un parti agrarien ou de toute autre orientation ».
Exception faite de Nourberdy Nourmammedov, chef de file du mouvement Agzybirlik (« Solidarité ») fondé en 1989, les représentants des quatre groupes d'opposition composant le « Front uni »[1] se trouvent actuellement soit en prison au Turkménistan, soit en exil. Et même ces derniers hésitent à critiquer le régime, craignant de mettre en danger parents et amis restés au pays. Quant à rentrer au Turkménistan, ils en connaissent les risques, depuis que le défenseur des Droits de l'homme Goulgeldi Annaniazov y a été arrêté, alors qu’il revenait de Norvège, via le Kazakhstan, au moment des pourparlers qui se déroulaient à Achgabat entre le Turkménistan et l'Union européenne sur les Droits de l'homme, durant l’été 2008. Le 26 novembre 2009, le Parti républicain du Turkménistan, l'un des quatre mouvements du « Front uni » et dirigé par Nourmoukhammet Khanamov, avait appelé depuis l'étranger à libérer et à réhabiliter immédiatement tous les prisonniers politiques. L’opposition en exil commémorait alors une pseudo tentative de coup d'État, qui aurait été organisée contre le Président S. Niazov en novembre 2002 et qui avait entrainé l'arrestation de nombreuses personnes, y compris d'anciens membres du gouvernement.

N.Nourmammedov estime que le pays ne s'est pas encore doté d’une base juridique suffisante pour créer des partis politiques, malgré plusieurs premiers pas effectués dans cette direction. Une première loi avait été votée en 1992 pour prévoir l'enregistrement de mouvements, y compris celui de partis, mais elle n'a jamais été mise en œuvre par le gouvernement. En 2003, un autre texte a été voté, précisant qu'une loi spéciale devrait être prévue pour ces enregistrements. Or, cette dernière n'existe toujours pas. N. Nourmammedov s'interroge sur la signification que pourrait avoir un système multipartiste dans un pays privé de liberté de parole, de liberté des médias et, de façon plus générale, de libertés individuelles.

Des projets de réforme de la législation pénale ont également été annoncés par le chef de l'État le 1er mars 2010 lors d'une réunion du conseil d'État pour la sécurité. Parmi les propositions figurent le renforcement du contrôle des conditions de détention dans les prisons et autres lieux de relégation, l'amélioration de ces conditions et la diminution de la peine maximale de 25 à 15 ans de réclusion. Sont également envisagées des amendes se substituant à des peines d'enfermement, le renforcement du rôle des avocats et la suppression du droit d'amnistie pour les trafiquants de drogues. La direction du ministère de l'Intérieur est chargée de préparer des propositions afin de rendre les systèmes juridique et pénitentiaire turkmène conformes au droit et aux normes internationaux. Ces déclarations officielles n'impliquent pas, par ailleurs, la libération prochaine d'opposants.

Un culte de la personnalité en chasse un autre

Parmi les récriminations communément adressées au chef de l'État turkmène, on trouve de façon récurrente dans les médias russophones basés en dehors du Turkménistan, ainsi que dans les médias occidentaux, la question de la persistance du culte de la personnalité, qui s'est déplacée du défunt S. Niazov vers l'actuel dirigeant. En témoigne l'inauguration, en février 2010, à l'Académie militaire du pays, de la statue de son père, précédée par celle, dans son village natal, du buste de l’un de ses aïeux. Ces inaugurations viennent démentir les rumeurs qui avaient circulé lors de la prise de fonction de G. Berdymoukhamedov, selon lesquelles ce dernier pouvait être un fils «caché» de S. Niazov. La thèse selon laquelle les Turkmènes auraient voulu voir ainsi une sorte de dynastie s'instaurer se trouve donc battue en brèche. Il n’en reste pas moins que le culte de la personnalité, instauré par S. Niazov, s’est maintenu dans le pays, mais en s’exerçant désormais au profit de l'actuel Président.

Affaires de famille 

Après Mourad Niazov, fils de l’ancien Président, propriétaire d'une société enregistrée à Chypre par laquelle transitent des règlements pour la livraison de gaz turkmène à l'Ukraine, c'est le gendre de G. Berdymoukhamedov, Dovlet Atabaev, 35 ans, qui vient d'être nommé à la tête de la représentation de l'Agence gouvernementale pour les hydrocarbures turkmènes, à Londres. Il avait exercé jusqu'alors la fonction d'attaché commercial à l'ambassade du Turkménistan en France. Devenu figure incontournable, dans le domaine des hydrocarbures, pour tous les partenaires du Turkménistan, il prend ainsi la suite de l'ancien ministre de l'Industrie des hydrocarbures et des ressources minérales de 2002 à 2003, Tatchberdy Tagiev qui, tombé en disgrâce, doit se contenter depuis 2009 du poste de directeur d'une raffinerie de pétrole.

Un changement notable en matière de politique étrangère 

Les relations internationales du Turkménistan sont le seul domaine à avoir réellement évolué. Tout au long des années 1990, le pays drapé dans sa neutralité s'était isolé, refusant notamment d'adhérer aux grandes organisations régionales. Mais sous la présidence de l'actuel dirigeant turkmène a été signé, en mai 2008, le mémorandum de coopération énergétique entre le Turkménistan et l'Union européenne. Depuis, G. Berdymoukhammedov multiplie les voyages officiels, comme tout récemment à Rome en novembre 2009 puis en France en février suivant, pour y signer des contrats dans le secteur de l'énergie, bien sûr, mais peut-être aussi pour envisager le développement de projets dans d'autres domaines comme l'industrie légère et le tourisme.
Grande est donc la tentation de soulever la question: quelles conséquences bienfaisantes la population turkmène peut-elle attendre d'une éventuelle intensification de ces échanges et à quelle échéance ? Si l'on rappelle le départ, en décembre 2009, de la dernière ONG en activité dans ce pays, Médecins sans frontières, la réponse ne peut être que très réservée. Présente depuis 1999, MSF a finalement décidé de quitter le Turkménistan parce que le gouvernement ne l'autorisait pas à mettre en œuvre ses programmes de lutte contre la tuberculose. Et l'ONG de dénoncer la sous-estimation, par les autorités, du danger que représentent les formes multi-résistantes de cette maladie, causes d’un inquiétant niveau de morbidité.

[1] Outre le Parti républicain du Turkménistan, le «Front uni» se compose de l'Opposition unie et démocratique du Turkménistan (ODOT), créée à Moscou en 1997, du Mouvement populaire démocratique du Turkménistan et du Mouvement Vatan (Patrie).

* Alexandra MJEDLOVA est consultante indépendante

Vignette : www.turkmenistan.gov.tm

244x78