Relève difficile en République tchèque

En 2002 et en 2003, des élections législatives et présidentielle seront organisées en République tchèque. Le Premier Ministre Zeman et le Président Havel sont sur le départ. L'occasion pour les jeunes générations de s'affirmer sur la scène politique. La vieille garde composée d'opposants historiques au régime communiste devrait toutefois maintenir son influence.


Lorsqu'on parle de politique en République tchèque, la figure de Vaclav Havel s'impose immédiatement. Président hors du commun, il n'a jamais appartenu à aucun parti, s'efforçant coûte que coûte de demeurer au-dessus de la mêlée. Havel est politiquement inclassable. Son aura d'opposant et d'intellectuel lui valurent d'être élu Président de la Tchécoslovaquie le 29 décembre 1989. Au lendemain de la séparation entre Tchèques et Slovaques, le 26 janvier 1993, il devint le premier Président de la République tchèque. Doté de pouvoirs limités, il a dû cohabiter avec une série de Premiers ministres, le dernier en date étant le social-démocrate Milos Zeman.

En charge du gouvernement depuis 1998, Milos Zeman, 67 ans, est un autre poids lourd de la scène politique tchèque. Il a participé à la création du Forum Civique, mouvement d'opposition à l'origine de la Révolution de velours qui mit fin au régime communiste, en 1989. Un aboutissement logique pour cet homme qui s'était opposé à la normalisation de l'après-1968. Leader du CSSD (parti social-démocrate) depuis 1993, il s'entend relativement bien et parvient à collaborer sans heurts avec Havel. Les personnalités des deux hommes sont pourtant opposées. Le Premier ministre est un homme charismatique, "grande gueule" et grand buveur ; Havel, au contraire, est l'archétype de l'intellectuel tourmenté.

Autre grande figure de la scène politique tchèque, l'ancien Premier ministre (1992 et 1996-1997), et actuel président de l'Assemblée nationale, Vaclav Klaus, 60 ans, est également issu de la dissidence. De décembre 1989 à juillet 1992, cet ancien responsable du Forum civique a été le premier ministre des Finances de l'ère post-communiste. Président de l'ODS (Parti démocratique civique, droite) il n'a rien perdu de son ambition et ne fait pas mystère de ses visées présidentielles.
Ces trois "ténors" appartiennent à une même "caste" : celle des anciens opposants au régime communiste. Forts de leur passé de dissident, ils cadenassent l'exécutif tchèque depuis dix ans. Leur monopole commence toutefois à s'effriter.

Un besoin évident de "nouvelles têtes"

Au plus haut sommet de l'Etat, la figure tutellaire du Président est aujourd'hui contestée. Les discours récurrents de Vaclav Havel sur l'amour et le droit ont fini par lasser. Les Tchèques ont d'autres soucis. Leur niveau de vie moyen n'a pas progressé aussi vite qu'on le leur avait promis. La situation personnelle du Président, par ailleurs, ne lui est pas favorable. A 65 ans, son remariage le dessert auprès des franges les plus conservatrices de son électorat. Tandis que sa grave maladie, ses malaises récurrents, les soins lourds auxquels il est astreint, ont fini par éroder son capital-confiance. Qu'il le veuille ou non, son avenir en politique paraît aujourd'hui compromis.

De son côté, Milos Zeman est critiqué pour ses emportements jugés peu convenables de la part d'un Premier ministre. Impliqué dans plusieurs affaires "controversées", il a d'ores et déjà annoncé qu'il ne briguerait pas un nouveau mandat.
Quant à Vaclav Klaus, de forts soupçons pèsent sur sa gestion des privatisations. Une bonne proportion des fonds générés par la vente des entreprises publiques aurait fini dans les caisses de son parti, l'ODS. Acculé à la démission en 1997, sa réputation reste définitivement ternie. De plus, son autoritarisme et la politique économique menée sous son gouvernement ont laissé de mauvais souvenirs dans la population.

Résultats économiques médiocres, corruption, arrogance, gestion à l'identique en dépit des alternances... Les reproches se multiplient à l'encontre des hommes au pouvoir depuis 1989 Une pétition a même été lancée par les mouvements étudiants pour demander à Zeman et Klaus de se retirer. 120 000 signataires se sont réunis pour dire "Merci, maintenant partez !" aux deux "éléphants" de la politique tchèque.
Dans la population, le besoin de "nouvelles têtes" est évident. Profitant de cet "appel", une nouvelle génération d'hommes et de femmes politiques sont prêts à succéder aux pères de la démocratie. Reste à savoir quand.

Conflit générationnel dans les partis

L'ascension des jeunes politiciens au sein des partis traditionnels tchèques s'avère en effet difficile. Le conflit générationnel est particulièrement aigu au sein de l'ODS, Vaclav Klaus s'opposant de manière ouverte à son jeune vice-président Ivan Langer (34 ans). Ce dernier, admirateur de Reagan et de Thatcher, incarne la ligne néo-libérale du parti. Comme ses "pères", il s'est engagé dans la vie politique en réaction à l'ancien régime. Leader étudiant pendant la Révolution de Velours, il a été élu député en 1996 à l'âge de 29 ans. Un parcours sans fautes qui pâtit toutefois de sa non-appartenance à l'entourage de Klaus. Or, "L'ODS est concentré sur l'entourage de Vaclav Klaus" confirme la politologue Rudolf Kucera. Bien que Langer se défend de toute rivalité avec Klaus, ce dernier l'accuse régulièrement d'arrogance. En fait, le président de l'ODS reproche à son dauphin de ne pas lui avoir prêté allégeance. Vaclav Klaus n'accepte aucune voix dissonante dans son entourage proche. Quoi qu'il en soit, Langer compte bien être réélu au poste de vice-président de l'ODS l'année prochaine, et obtenir le ministère de l'Intérieur en cas de victoire de son parti[1].

Milos Zeman, également taxé d'autoritarisme, semble mieux gérer l'équilibre entre les anciens et les jeunes au sein du CSSD. Il n'a pas hésité à placer des nouveaux venus au gouvernement tel que le ministre de l'Intérieur Stanislav Gross, 32 ans. Zeman sait reconnaître ses "jeunes pousses" les plus prometteuse... et les mettre en valeur lors des élections. Reste que d'une manière générale, la cohabitation entre générations politiques demeure difficile.

Des jeunes peu actifs politiquement

Les ambitions, d'ailleurs, ne s'entrechoquent pas seulement entre "nouveaux" et "anciens". Au sein de la génération montante, les inimitiés sont également nombreuses. Le Parti des Quatre, coalition de centre-droit réunissant plusieurs jeunes dissidents de l'ODS, est ainsi miné par la rivalité opposant Ivan Pilip, ancien ministre de l'Education de Vaclav Klaus à Karel Künhl, le nouveau président du mouvement. Künhl a déjà fait savoir qu'il souhaitait occuper le poste de Premier Ministre dans l'hypothèse -envisageable- d'une victoire de la coalition. Cette déclaration a été jugée quelque peu hâtive par nombre de ses partenaires, qui s'inquiètent de l'ambition dévorante de leur Président.

Le poids des "jeunes loups", toutefois, ne doit pas être surestimé. Les cas de Pilip et Künhl, sont relativement isolés. Les jeunes élites tchèques préfèrent tenter l'aventure dans le privé, un secteur plus rémunérateur, et plus policé. En fin de compte, on trouve peu de jeunes "professionnels de la politique", les partis recrutant la plupart de leurs cadres parmi les anciens opposants au régime communiste. Rares sont ainsi les politiciens issus des formations universitaires - sciences politiques, droit - prédisposant traditionnellement à l'exercice de fonctions publiques.

Ce tour d'horizon de la scène politique tchèque n'incite guère à l'optimisme: certes, les jeunes générations ont gagné en visibilité ces dernières années mais leur intégration dans le champ politique se fait encore de manière lente et délicate. Les échéances électorales à venir ne devraient guère modifier la donne. Tout juste devrait-on noter la promotion de certaines individualités. Même privées de leurs fonctions actuelles, les deux têtes de l'exécutif conserveront une forte influence sur la politique tchèque. L'actuel Premier ministre par le biais de son parti, et l'emblématique Président à travers ses amis, ses contacts et ses écrits.

Compte tenu de la lenteur du renouvellement du personnel politique, le désintérêt croissant des Tchèques à l'égard de la chose publique devrait se confirmer. Le débat d'idées risque de se réorienter vers un champ politique extra-parlementaire, les partis perdant de leur influence au profit des mouvements émergents de la société civile[2].

 

 

[1] - Prague Post, 28 mars 2001
[2] - Le Courrier des Pays de l'Est, août 2001

Par Benjamin HUBER

Vignette : Vaclav Havel (Photo Credit: jakubrosenberger Flickr via Compfight cc)