République tchèque : la culture du colza, une affaire très politisée

Dans les campagnes tchèques, le colza est une culture qui ne passe pas inaperçue : tous les printemps, des surfaces de plus en plus étendues se couvrent de jaune vif, couleur caractéristique de cette plante à l’odeur particulière.


L’huile de colza peut être utilisée en cuisine, mais également comme biocarburant, dont la production est aujourd’hui soutenue par l’Union européenne afin d’augmenter la part d’énergies renouvelables dans notre consommation énergétique. Mais, en République tchèque, la production de colza est aujourd’hui un thème qui a largement dépassé les milieux agricoles et écologistes.

Malgré sa superficie modeste (moins de 79 000 km²), la République tchèque fait partie des grands producteurs mondiaux de colza : en 2013, elle se situait à la 11e place, derrière le Canada, la Chine ou la France, mais avant la Russie[1]. À l’échelle du pays, les parcelles ensemencées en colza représentent 16 % de la surface agricole utilisée, juste après le blé. C’est le résultat d’une longue évolution depuis la fin du régime communiste en 1989 : en un peu plus de 25 ans, la surface ensemencée a été multipliée par près de quatre (voir le graphique). « C’est une plante peu exigeante qu’on peut faire pousser même dans les régions moins propices à l’agriculture, tels le plateau tchéco-morave ou la Bohême occidentale », explique le représentant de l’Association agricole tchèque Miroslav Jírovský.

Une culture peu appréciée par certains

Certains, dans le pays, considèrent cependant que cette culture défigure le paysage. D’autres parlent de « déserts de colza », de « mer jaune » ou encore de « mauvaise herbe jaune qui sent mauvais ». Ceux qui souffrent d’allergies ne l’apprécient pas non plus, car les pollens de colza peuvent provoquer des allergies respiratoires.

Compte tenu de sa forte progression, le colza est accusé de prendre la place, dans les campagnes tchèques, des cultures traditionnelles jugées plus «utiles», telles la betterave ou la pomme de terre[2]. Miloš Porč, directeur de la Chambre agricole d’Olomouc, est amer : « La région de Haná [en Moravie centrale] fait partie des terres les plus fertiles dans notre pays et même en Europe. Le sol y est idéal pour la culture de la betterave. Mais nos agriculteurs sont obligés de suivre les tendances dans le monde et se sont mis à cultiver le colza. »

Les gardes forestiers s’ajoutent à cette longue liste d’opposants : « Le colza pousse tôt au printemps et devient souvent la première plante verte. Si les cerfs la mangent en grande quantité, ils peuvent en mourir. À mesure que les champs de colza s’étendent, ce problème devient de plus en plus pressant », explique Josef Pubal, porte-parole de l’Union tchéco-morave des gardes forestiers[3]. De plus, au début du printemps, les feuilles de colza peuvent être atteintes par des champignons contenant des substances toxiques, dangereuses pour les animaux. Pourquoi donc élargir sans cesse les surfaces de culture ?

Une culture rentable grâce aux biocarburants, mais controversée

Comme ailleurs en Europe, le colza doit son succès à l’essor des biocarburants, considérés depuis quelques années comme une alternative au pétrole dans les transports. Ainsi, une directive publiée par l’Union européenne en 2009[4] a fixé la part des biocarburants à 10 % du total des carburants utilisés dans les transports d’ici 2020. En plus de lutter contre le réchauffement climatique, cette politique s’inscrivait dans la volonté des États européens de réduire leur dépendance vis-à-vis du pétrole russe. Depuis, Bruxelles a fait marche arrière. En octobre 2012, la Commission a reconnu que la production de biocarburants avait un effet néfaste sur la sécurité alimentaire mondiale ainsi que, finalement, sur la lutte contre le réchauffement climatique en raison de sa forte consommation d’énergie. Ainsi, l’objectif de 10 % prévu en 2009 a été ramené à 7 %, sans pour autant que soit complètement abandonnée l’utilisation des biocarburants dits de « première génération », dont l’huile de colza[5].

Pour atteindre ces objectifs, l’UE ainsi que l’État tchèque subventionnent depuis 2009 la production de biocarburants dans le pays. De plus, la loi oblige les raffineries à ajouter 2 % d’huile de colza par litre de pétrole. En conséquence, un tiers de la production de colza est aujourd’hui transformé en biocarburant. Ceux qui tirent leur épingle du jeu sont les automobilistes, contents de payer leur carburant moins cher, et les agriculteurs. En effet, l’augmentation de la demande pousse les prix à la hausse. « Le colza représente pour les agriculteurs la culture la plus rentable », explique le président de la Chambre d’agriculture Jan Veleba. Par ailleurs, ce qui n’est pas consommé sur le marché tchèque est exporté, essentiellement en Allemagne où la proportion de biocarburants dans le pétrole est fixée par la loi à 4 %.

Le colza au cœur d’un conflit d’intérêts

La production de biocarburants en République tchèque est un marché estimé à 2,5 milliards couronnes par an (environ 92 millions d’euros). La production de colza est donc devenue un thème très débattu dans les milieux politiques. D’autant plus que l’actuel ministre des Finances, Andrej Babiš, deuxième fortune du pays et homme fort du gouvernement tchèque, dirige un véritable empire agroalimentaire et chimique, le groupe Agrofert. Il est à la tête de plus de trois cents entreprises ainsi que du groupe de presse Mafra qui détient plusieurs journaux importants dans le pays. Depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2014, A. Babiš s’est fait connaître comme un défenseur actif de la législation encourageant la production de biocarburants. On peut soupçonner que ses motivations écologiques n’arrivent qu’au second plan, la principale raison étant d’en faire profiter les entreprises d’Agrofert qui contrôle plus de la moitié du marché des biocarburants…

Son principal opposant politique, membre du parti de droite TOP 09, Miroslav Kalousek, parle depuis plusieurs mois d’un conflit d’intérêts. Il n’est pas le seul. « Dans un pays normal, ce conflit d’intérêt serait suffisant pour faire tomber le gouvernement et le ministre en question ne pourrait plus jamais obtenir un mandat politique », estime le journaliste Martin Černý dans un article publié en avril 2015 dans l'hebdomadaire Reflex. Mais cette affaire n’est pas passée inaperçue à Bruxelles : fin 2015, l’Office européen de lutte antifraude a ainsi ouvert une enquête concernant des subventions européennes accordées au groupe Agrofert.

Pris au piège, les députés tchèques ont cependant décidé en novembre 2015 de continuer à soutenir la production de biocarburants par des subventions et réductions d’impôts au moins jusqu’en 2020. Sans ces subventions, le prix final des biocarburants serait trop élevé pour les consommateurs, qui reviendraient à la consommation de pétrole. Dans ce cas, la République tchèque n’arriverait jamais à remplir l’objectif des 7 % de biocarburants fixé par l’Union européenne pour 2020.

Notes :
[1] Faostat, 2013.
[2] La culture des pommes de terre traverse une période critique. Depuis 1990, la surface agricole utilisée est passée de 110 000 hectares à 30 000 hectares. En conséquence, la République tchèque doit importer un tiers de sa consommation de pommes de terre, aliment incontournable pour la préparation de nombreux plats tchèques typiques.
[3] Un pâturage de colza peut provoquer des troubles toxicologiques chez les cervidés, car cette plante contient des toxines qui ne leur conviennent pas. En l'absence d'autres plantes vertes au début du printemps, le colza représente de plus en plus souvent l’essentiel de leur ration, ce qui provoque des taux de mortalité importants.
[4]« Directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil », Journal officiel de l’Union européenne, 23 avril 2009.
[5] Après les biocarburants dits de « première génération » (le colza, le soja ou le maïs), l’Union européenne soutient aujourd’hui la développement des « biocarburants avancés » à base de déchets agricoles ou de micro-algues. Jugés plus vertueux pour l’environnement, ils n’entrent pas en concurrence avec les usages alimentaires.

Vignette : Champ de colza (source : Wikimédias Commons/Tcherome)

* Zuzana LOUBET DEL BAYLE est chargée de cours à l’Inalco et professeur d’histoire-géographie au lycée Richelieu à Rueil-Malmaison.
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